Pour une véritable politique d’Etat pour la logistique

LE MONDE D'APRÈS. La pandémie de la Covid 19 nous révèle que dans cette situation d’urgence et de survie, deux activités essentielles ont permis à la société de tenir : le système de santé et le système logistique. Par François-Michel Lambert, député (Liberté & Territoires) des Bouches-du-Rhône et président de la commission nationale Logistique 2015-2019, et Philippe Duong, directeur de Samarcande et professeur associé en logistique au CNAM.
(Crédits : C.A.)

Si l'importance de la santé est amplement valorisée dans le débat public, c'est moins le cas de la logistique, qui, même bénéficiant d'une reconnaissance inédite, n'en reste pas moins méconnue.

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Pourtant la logistique a fait la démonstration qu'elle était une fonction vitale pour les activités de survie, grâce à une agilité de ses opérateurs : approvisionnement des lieux de soin et des magasins en produits de première nécessité, traitement des déchets, transport en général... Ce sont les « premiers de corvée », maillons anonymes de la chaine logistique (manutentionnaires, chauffeurs, caissier(e)es, éboueurs, logisticiens de terrain...), qui ont assuré, à côté du personnel soignant, le maintien à flot du pays.

Mais la tension extrême des chaines logistiques mondialisées et la minimisation des stocks, l'alpha et l'oméga des logisticiens depuis quelques décennies, ont atteint leurs limites. Elles peuvent être à l'origine de catastrophes comme la pénurie de masques et de médicaments, paralyser des filières entières très dépendantes de nombreux fournisseurs répartis sur l'ensemble de la planète.

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Un défaut d'anticipation au niveau logistique

Plus encore, même si cette pandémie était imprévisible, de nombreux pays, comme la France, ont souffert d'un défaut d'anticipation, tant au niveau sanitaire qu'au niveau logistique. Pourtant, ce n'était pas inéluctable comme le montre la situation de nombreux pays comme le Japon, Singapour ou l'Allemagne, dont le bilan est moins dramatique. Ce sont des pays mieux positionnés dans la hiérarchie logistique mondiale, où l'anticipation est mieux intégrée par les gouvernements.

Face au quasi-arrêt des chaines de valeur depuis l'éclatement de l'épidémie, des voix de plus en plus nombreuses requestionnent un système productif mondialisé à l'excès devenu trop complexe et trop fragile. L'efficacité et l'agilité de la logistique lui permet certes de fonctionner en période « normale ». Mais cela la rend particulièrement vulnérable en période d'aléas. La question du raccourcissement des chaines et de la valorisation de la proximité est posée. En témoigne l'avance prise par l'Allemagne, qui maintient un tissu industriel bien plus dense que le nôtre. Faute de vision industrielle, la France s'est mise dans une situation de vulnérabilité pour un certain nombre de filières et d'activités stratégiques, nous rendant dépendants de fournisseurs étrangers pour lesquels nous ne sommes pas prioritaires.

Une activité trop marginalisée au niveau de l'appareil d'Etat et des décideurs publics

Tout un modèle de production et de consommation vacille, ce qu'annonçaient de nombreux signes avant la pandémie : remise en cause de la consommation irraisonnée, retour à la qualité et à la santé, pratiques respectueuses de l'environnement, valorisation de la proximité, respect des producteurs, réduction des inégalités, lutte contre les gaspillages, économie circulaire, etc... autant de valeurs qui deviennent dominantes. Cela impose de fait de revoir en profondeur le paradigme logistique.

L'importance économique et sociétale de la logistique et la conscience de ses lacunes en France, nécessitent une vision et une approche stratégique inédites et partagées par les acteurs publics et privés.

Or, la logistique reste une activité trop marginalisée au niveau de l'appareil d'Etat et des décideurs publics: elle ne donne lieu ni à une vision globale, ni à une démarche stratégique, et n'est connectée à aucune stratégie industrielle ou d'aménagement du territoire. Le rejet de la planification logistique publique est un non-sens, alors même que les entreprises en font un fondement de leurs stratégies.

Une politique d'Etat à articuler avec les régions et les professionnels

Une telle situation n'est aujourd'hui plus admissible. C'est pour cela que nous demandons une véritable politique d'État, articulée avec les régions et les acteurs professionnels, intégrant les autres objectifs stratégiques (transition écologique, industrie, aménagement du territoire...).

Cette démarche s'appuie sur les orientations suivantes :

-    Initier une démarche d'organisation durable et de planification logistique du territoire, articulée avec la nouvelle politique industrielle. Ceci impose une stratégie renouvelée d'aménagement du territoire, du transport et des infrastructures, réorientée sur les échanges nationaux, européens et méditerranéens.

-    Accompagner logistiquement la relocalisation d'un certain nombre d'activités industrielles, en encourageant l'économie de proximité et la clusterisation industrielle et en renforçant des supply chains plus courtes, plus réactives et plus résilientes. Une nouvelle coopération industrielle et logistique, plus équilibrée avec nos voisins du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.

-    Entamer un processus visant à détendre flux, moins sensibles aux aléas, en acceptant des niveaux de stocks plus élevés et une plus forte massification qui favoriserait la multimodalité, tout en préservant l'agilité des chaines. Pour cela il faut développer une fiscalité incitative remontant aux donneurs d'ordre, pour que les flux physiques soient en adéquation avec les objectifs de la Nation en matière de climat, d'impacts environnementaux et sociétaux.

-    Mettre en place une règlementation cohérente et un soutien continu pour la transformation du transport et améliorer très nettement les systèmes d'informations, les deux piliers d'une logistique durable.

-    Revaloriser financièrement et professionnellement les métiers de la logistique pour renforcer les compétences tout au long de la chaîne, depuis le producteur jusqu'au distributeur.

Pour que la France et l'Europe retrouvent une souveraineté, la logistique doit être prise en compte au plus haut niveau de l'Etat, avec une gouvernance et des moyens adéquats. Nous devons mettre en œuvre aussi une nouvelle organisation, de nouvelles procédures, des compétences renforcées, des règles clarifiées entre les différentes parties prenantes et un investissement majeur dans la performance de l'information du producteur jusqu'au consommateur, pour développer une logistique plus efficace et plus durable.

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Commentaires 4
à écrit le 19/05/2020 à 9:11
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beaucoup de mots pour ne rien dire au Japon la poste fonctionne, j'ai toujours des paquets perdus depuis 1 mois Les pays d'Asie ont des trackings, qui marchent sont de loin les premiers en 5 G c'est pas compliqué la logistique

le 19/05/2020 à 16:20
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Si ca veux dire Y-a bon ne nous oubliez pas pour les subventions. En france les énarque ne comprennent rien à l'industrie, mais il comprenne un beau plaidoyer pro domo rédigé par une agence de com. Rien à ajouter votre honneur

à écrit le 19/05/2020 à 8:44
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l'etat stratege obese, qui pese 60% du pib francais, a encore su demontrer ses qualites lors de l'histoire des masques! hormis de la bureaucratie et de l'ouverture de parapluie a tous les etages, va y avoir quoi? je ne vois pas comment des ronds de...

le 19/05/2020 à 10:29
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Désolé j'ai cherché une définition de ton modèle de pensée économique, qui est donc Jacques Attali (je peux te garantir que là je me fais bien rire ! :-) afin d'illustrer ton commentaire mais décidément je ne peux pas, je suis tombé déjà sur sa citat...

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