Paris La Défense pousse 10 propositions pour transformer et décarboner ses tours

Un tiers du parc de bureaux du premier quartier d'affaires européen sera bientôt obsolète. Plutôt que démolir et de reconstruire des gratte-ciel, l'établissement public Paris La Défense pousse ses utilisateurs à rénover les tours. Sauf qu'il s'agit d'opérations complexes sur les plans économiques, financiers et techniques. Aussi, son directeur général Pierre-Yves Guice défend une adaptation de la fiscalité immobilière, mais aussi l'ouverture des pieds d'immeuble et des toits au public. Explications.
César Armand
Avec 1 million de tonnes de CO2 émises chaque année, les tours représentent à elles seules « près de la moitié du bilan carbone annuel » du premier quartier d'affaires européen aux 52.000 habitants, 180.000 salariés et 245.000 m² de commerces et services (photo d'illustration).
Avec 1 million de tonnes de CO2 émises chaque année, les tours représentent à elles seules « près de la moitié du bilan carbone annuel » du premier quartier d'affaires européen aux 52.000 habitants, 180.000 salariés et 245.000 m² de commerces et services (photo d'illustration). (Crédits : Reuters)

Entre la remontée des taux d'intérêt et le télétravail, La Défense est-elle toujours attractive, trois ans après le premier confinement lié à la Covid-19 ? Le premier quartier d'affaires européen compte 3,7 millions de mètres carrés de bureaux. Aux dires du directeur général de l'établissement public qui le gère, en 2021 puis en 2022, 210.000 m² ont été pris à bail, des niveaux records sur une période de dix ans. Sauf que depuis 2023, le taux de vacance a, lui, atteint un nouveau record de 15%.

« C'est le signe d'un marché à deux vitesses, où des entreprises vont et viennent, et où d'autres vont rencontrer de grandes difficultés à trouver de la place », décrypte, pour La Tribune, le directeur général de Paris La Défense, Pierre-Yves Guice.

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Réduire les émissions de gaz à effet de serre

Peut-être est-ce aussi la faute de gratte-ciel, qui ne sont plus adaptés aux usages d'aujourd'hui ? Toujours est-il que, dès février 2021, peu après sa prise de fonctions, le patron du quartier admettait que des tours étaient « plus obsolètes que d'autres ». « J'ose croire que les questions de reconversion se préciseront » », affirmait-il alors à La Tribune.

Aussi, dès l'automne 2021, annonçait-il son ambition de construire « le premier quartier d'affaires post-carbone ». Pour ce faire, il avait alors fixé l'objectif de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Parmi les pistes justement : des « États généraux de la transformation des tours ». Car même si l'équation économique reste compliquée à résoudre, il vaut mieux d'un point de vue environnemental transformer les gratte-ciel plutôt que de les détruire.

Son calcul est fait. Avec 1 million de tonnes de CO2 émises chaque année, les tours représentent, à elles seules, « près de la moitié du bilan carbone annuel » du premier quartier d'affaires européen aux 52.000 habitants, 180.000 salariés et 245.000 m² de commerces et services. Pour inverser la tendance, Paris La Défense a décidé de faire plancher 800 acteurs publics, propriétaires, locataires, promoteurs et architectes.

Un tiers du parc de bureaux bientôt obsolète

Il en ressort ce lundi 26 juin dix propositions pour « rendre économiquement possibles les projets de rénovation », mais aussi et surtout, « inciter les tours ainsi transformées à innover et à adopter de nouveaux usages ». D'autant qu'un quart des gratte-ciel construits dans les années 1970, 1980 et 1990, soit 1 million de mètres de carrés de bureaux et un tiers du parc de bureaux, « risquent d'arriver à obsolescence dans les prochaines années ».

La première idée consiste donc à créer le « premier outil commun de calcul d'impact carbone » à l'échelle de La Défense, pour mesurer et anticiper son empreinte CO2.

« Nous avons une vraie difficulté à parler la même langue d'un immeuble à l'autre. Il nous faut donc un langage commun pour comparer différents scénarios de prospective et mesurer l'impact de la construction et de l'exploitation des bâtiments », explique à La Tribune Pierre-Yves Guice.

Deuxième piste sur la table, la planification de la décarbonation des réseaux de chaleur et de froid, sachant que la consommation d'énergie des immeubles existants représentent 15% des émissions de GES annuelles. Son syndicat mixte chargé du sujet, Generia, va donc étudier les perspectives de développement du réseau pour « décarboner les sources d'énergie », et surtout mutualiser la production.

Vers une adaptation de la fiscalité immobilière ?

Troisième levier, intégrer les opérations de restructuration dans les critères des « Green Bonds », le marché des obligations vertes. C'est à la fois une demande des investisseurs pour être plus crédibles et des propriétaires pour financer leurs projets.

« Il y a des liquidités abondantes à l'échelle mondiale, mais la sélectivité environnementale est beaucoup plus stricte. Paris La Défense jouerait le rôle de tiers de confiance auprès des émetteurs », décrypte le directeur général.

Quatrième préconisation, adapter la fiscalité immobilière pour avantager les opérations de rénovation bas-carbone. Il ne s'agit pas de créer un régime d'exception, mais d'inclure ces chantiers dans le dispositif d'« engagement à construire ». Autrement dit, de les faire bénéficier de cet avantage fiscal combinant TVA et droits de mutation fixes.

« Aujourd'hui, pour des raisons fiscales [taxe foncière, taxe sur les bureaux, ndlr], un investisseur est plus incité à démolir qu'à rénover..., », dénonce Pierre-Yves Guice, qui a déjà évoqué le sujet avec le cabinet du ministre des Finances Bruno Le Maire.

Bientôt des pieds d'immeubles et des toits ouverts au public ?

Les cinquième et sixième recommandations relèvent, elles, de l'attractivité du quartier d'affaires. Le directeur général pousse à l'inscription, dans les plans locaux d'urbanisme de La Défense, le principe d'ouverture au public des pieds d'immeubles et, le cas échéant, des derniers étages. Objectif, créer un opérateur public-privé d'intérêt général spécialisé dans une offre commerciale de proximité.

Dans le même esprit, Pierre-Yves Guice défend la création d'une marque et d'un organisme « Campus La Défense », afin de réunir les acteurs de l'enseignement supérieur du territoire. « Nous voulons clamer sur la place publique que nous avons 70.000 étudiants, soit deux fois le campus de Jussieu. Cela peut convaincre quelques investisseurs de s'installer », insiste-t-il.

Dur, dur, de faire des gratte-ciels en bois

Les huitième et neuvième propositions relèvent de la réglementation. Paris La Défense se fait l'avocat du permis multidestination pour les opérations de restructuration. Sauf que le permis d'innover créé par la loi Elan (2018) existe déjà. « C'est un super outil, mais il n'y en a eu qu'un à Bordeaux-Euratlantique. Il faut étudier sa généralisation dans la durée », défend Pierre-Yves Guice.

Ce dernier plaide aussi pour le rapprochement des réglementations environnementale et incendie, dans le cadre de la restructuration des immeubles de grande hauteur. Il ne croit pas si bien dire : depuis les nouvelles règles de construction dites RE2020, le bois est mis sur un piédestal. Les pompiers du quartier d'affaires ne sont pas contre, mais ils demandent à mettre du béton par-dessus pour éviter tout départ de feu.

Qui va payer 20 millions d'euros pour ouvrir les sous-sols ?

Avant-dernière idée : rendre possible l'accès à des disponibilités foncières pour des opérations de rénovation particulièrement ambitieuses. Il s'agirait de lancer un appel à projets pour des opérations de rénovation-transformation, couplées à la création d'aménagements collectifs. Paris La Défense propose de faire bénéficier les acteurs privés d'accès à des volumes vacants pour y développer des bars, des restaurants, du coworking... En clair, « de les aider à tenir l'équilibre économique du projet ».

Ultime suggestion, créer un fonds de dotation mêlant investisseurs et entreprises pour financer des actions de dynamisation du territoire. Pierre-Yves Guice aurait-il oublié le projet de feu Patrick Devedjian et de l'ex-DG de l'établissement public Marie-Célie Guillaume, à savoir l'ouverture des 20.000 m² situés sous la dalle ? Point du tout, rétorque-t-il.«  Il n'y a pas de modèle économique. Il faut les rendre accessibles en établissement recevant du public (ERP). Rien que ça, cela coûte 20 millions d'euros... », conclut-il.

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A quand le parc de 5 hectares ?

L'établissement public poursuit en parallèle ses autres aménagements, à commencer par ses cinq emprises foncières baptisées « Empreintes » et dévoilées en mars 2022 au Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim). Situés aux frontières du quartier d'affaires, ces terrains devront mixer excellence environnementale et mixité des usages.

Pour les sites baptisés Jean-Moulin et Ségoffin, les lauréats seront ainsi connus à la rentrée de septembre 2023, tandis que pour Demi-Lune, Gambetta et Liberté, les porteurs de projet seront choisis fin 2023 et dévoilés au Marché international des professionnels de l'immobilier (Mipim) de mars 2024.

Le parc urbain de 5 hectares sur 600 mètres de long pour réduire les îlots de chaleur est, lui, « en fin d'études de projet », tant est si bien que les consultations auront lieu au second semestre 2023 avant le démarrage des travaux début 2024. Soit juste avant les Jeux olympiques et paralympiques...

César Armand

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Commentaires 3
à écrit le 27/06/2023 à 7:24
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Qu'ils délocalisent au Bangladesh ! Allez ouste du balai les pollueurs !

à écrit le 26/06/2023 à 18:56
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"décarboner ses tours" : Bah déjà, fallait pas les construire. Les grandes tours sont des aberrations du point de vue écologique. Aucune tour ne devrait dépasser six étages

le 26/06/2023 à 19:34
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Pourquoi 6 étages et pas 7 ou 3 ? "Fallait pas", mais étant là, autant essayer de faire durer en mieux que tout démolir et reconstruire. En chauffage électrique, le bilan CO2 va s'effondrer. Ce genre d'endroit est spécial, des tours, des tours, mais...

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