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Santé : préserver notre bien commun

La crise sanitaire a mis en lumière une réalité oubliée en temps normal : la santé est un bien commun essentiel pour les individus mais aussi pour la société. De fait, l’engagement des entreprises du secteur – laboratoires, assureurs, mutuelles – est indispensable pour soutenir les professionnels de santé dans leur combat perpétuel contre la maladie et la précarité. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°4 Avril 2021)
(Crédits : Jolygon / Istock)

L'engagement, s'il est intrinsèque au monde associatif, n'est pas réservé à la société civile, aux bénévoles ou aux associations. Les entreprises s'engagent, elles aussi, de plus en plus. C'est le cas dans le secteur de la santé, sous les feux des projecteurs depuis le début de la pandémie. La crise sanitaire a rappelé à tous l'importance vitale de ce bien commun qui, s'il vient à disparaître, ébranle les fondements mêmes de nos sociétés. Premiers concernés, les laboratoires. Leur mobilisation a permis la mise au point de vaccins en un temps record - moins d'un an contre dix habituellement. Un effort qui a redoré le blason de ces entreprises qui font d'habitude l'actualité pour de mauvaises raisons. Entre les scandales (Mediator, Dépakine, Levothyrox) et les pénuries de certains médicaments, l'image de la big pharma n'est pas reluisante. Et encore moins depuis le début de cette crise, avec d'un côté la montée du complotisme qui a nourri une défiance accrue à l'encontre d'une partie des experts médicaux accusés d'être à la solde des labos, et de l'autre, les polémiques sur l'approvisionnement chaotique en vaccins. Pour le docteur Thomas Borel, directeur Recherche, Innovation, Santé publique et Engagement sociétal du Leem (l'organisation professionnelle des entreprises du médicament opérant en France), cette suspicion à l'égard des entreprises pharmaceutiques « est un phénomène très français. Et les laboratoires ont tendance à faire profil bas ». Pourtant, ceux-ci œuvrent dans l'ombre pour améliorer la situation sanitaire des populations en France et à l'étranger. Par exemple en soutenant financièrement la recherche dans leur domaine d'expertise à travers des fondations d'entreprise, comme le fait la Fondation La Roche-Posay pour la recherche en dermatologie. Ou en se consacrant à une mission humanitaire, à l'instar de la Fondation Pierre Fabre qui facilite l'accès aux soins et aux médicaments des populations des pays les moins avancés.

L'engagement des entreprises du médicament

Le Leem a créé en 2008 la Fondation des Entreprises du Médicament pour l'accès aux soins, une structure abritée par la Fondation de France. Sa mission : soutenir ou récompenser les projets et actions les plus innovants portés par des organismes d'intérêt général à but non lucratif qui s'occupent des personnes en situation de vulnérabilité de santé, dont le délégué général est le docteur Borel.

« La Fondation conduit des actions collectives sur l'accès aux soins, avec deux champs d'activité : l'un qui concerne le soutien à des projets de recherche ou d'accompagnement des familles avec des enfants souffrant du cancer, et l'autre, la mise en place de parcours de soins innovants, notamment à destination des populations démunies » explique le docteur Borel.

Le Leem soutient aussi Tulipe, une association d'urgence et de solidarité internationale dont l'objectif est de recueillir des médicaments auprès des entreprises pour les mettre à disposition de populations en situation de détresse sanitaire. Ces traitements sont fournis au gouvernement ou à des ONG lors de situations critiques : catastrophes climatiques, guerres, famines, etc. Le Leem fait des appels à besoin tous les trimestres auprès de ses adhérents pour constituer des malles d'urgence entreposées dans un hangar près de l'aéroport Charles-de-Gaulle afin de pouvoir les acheminer rapidement par la voie des airs vers les pays concernés. Tulipe a déjà distribué 445 kits (soit plus de 20 tonnes de médicaments) et 10 tonnes de produits en vrac dans 22 pays. Les kits de médicaments non attribués aux missions d'urgence font l'objet de dons à des organismes sélectionnés dans le cadre d'autres programmes d'aide humanitaire. Par ailleurs, les entreprises financent la recherche : « en amont, avec la recherche fondamentale, et en aval, pour l'accompagnement des patients dans leur parcours de soins » précise Thomas Borel, qui insiste sur le fait que ces fonds de dotation sont déconnectés des partenariats publics privés visant à l'élaboration de nouvelles molécules. Depuis le début de l'épidémie du coronavirus, les entreprises du médicament ont multiplié les gestes en direction des professionnels de santé. Car les laboratoires sont au cœur de cette activité sanitaire et donc les mieux placés pour pallier les manques de matériel qui sont apparus au début de la crise. Le Leem a ainsi distribué en mars/avril 2020 un million de masques aux membres de la Croix-Rouge Française. Par ailleurs, une bonne partie des 100 000 collaborateurs des entreprises du médicament sont des professionnels de santé qui se sont eux aussi mobilisés, par exemple en rejoignant la réserve médicale. Les labos ont fait tourner leurs 200 lignes de production 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour approvisionner les pharmacies et les hôpitaux en médicaments, et pas seulement ceux à destination des patients Covid comme le curare, les anti-infectieux ou les anticoagulants. « Il a fallu mettre à disposition, dans des conditions très compliquées, les médicaments nécessaires aux patients chroniques qui ne pouvaient pas arrêter leur traitement. Il n'y a pas eu de pénurie et c'est quand même un exploit. On a frôlé la catastrophe » rappelle le docteur Borel. Enfin, une Coalition Innovation Santé a été créée en trois semaines par une vingtaine d'adhérents du Leem. Son objectif : trouver des solutions innovantes, notamment digitales, pour le suivi des patients chroniques. Un budget d'environ 20 millions d'euros a permis de financer une vingtaine de projets de start-up.

Assureurs engagés

Parmi les autres acteurs de l'écosystème de santé, les assureurs s'engagent eux aussi. Chez Axa, cet engagement existe de longue durée. Devenu leader mondial, l'entreprise n'a pas oublié qu'elle est née sous le nom de L'Ancienne Mutuelle de Rouen en 1817, dont la fonction principale était de couvrir les risques agricoles en Normandie. Aujourd'hui, cet engagement est incarné par l'association Axa Prévention et le Fonds Axa pour la Recherche. « Dans le cadre de la crise de la Covid-19, nous nous sommes réorientés dans l'urgence pour pouvoir répondre aux besoins de l'ensemble des parties prenantes : le secteur hospitalier, les entreprises et les Français » explique Catherine Chazal, directrice RSE & Mécénat Axa France. Une des premières actions de l'assureur a été de proposer son soutien aux hôpitaux qui souffraient de pénurie de matériel au début de l'épidémie. Une décision fortement encouragée par les salariés du groupe qui ont manifesté leur désir de contribuer à cet effort. Cette envie d'engagement s'est concrétisée par un défi sur les réseaux sociaux, Tous Solidaires. L'entreprise a proposé de reverser 5 € aux hôpitaux pour chaque acte de solidarité effectué par un collaborateur, et a ajouté une subvention de 1,3 million d'euros au titre du mécénat. « Avec ces fonds, 24 hôpitaux ont acquis des tests sérologiques, des appareils de réanimation, des blouses, etc. » détaille Catherine Chazal. Axa a aussi révisé dès le début de la crise le plan d'action de l'association Axa Prévention. Le service gratuit de décodage des fake news Intox Detox, lancé il y a un an et demi sur le site de l'association, a ainsi été entièrement dédié à la Covid-19, avec un expert santé qui répondait aux questions sous 48 heures. « Nous avons atteint 2 millions de visiteurs, soit une hausse de 54 % par rapport au trafic normal » apprécie la directrice RSE & Mécénat. Côté recherche, le groupe a financé 492 projets dans 33 pays avec des chercheurs de 51 nationalités différentes pour plus de 149 millions d'euros. L'assureur a aussi élargi les critères d'attribution de son programme d'assurance « offre citoyenne » aux produits d'épargne. « Toute nouvelle offre intègre dès le départ des critères RSE. Quand les clients entrent dans une agence Axa, nous devons être capables de leur parler d'engagement sociétal en même temps qu'on leur vend un produit d'assurance ou d'épargne » précise Catherine Chazal. Soit 6 millions de contrats « citoyens » vendus chaque année.

Mutuelles au cœur de l'écosystème

Les mutuelles représentent un autre rouage essentiel de l'écosystème sanitaire français. Certaines ont décidé de devenir entreprise à mission, comme la Maif et plus récemment Harmonie Mutuelle.

« Harmonie Mutuelle est depuis sa création engagée pour la transformation sociale. Aujourd'hui, nous souhaitons devenir une entreprise mutualiste à mission en inscrivant nos engagements de toujours dans nos statuts » a ainsi récemment expliqué son président Stéphane Junique.

Une quarantaine de mutuelles, dont la Matmut, Harmonie Mutuelle, le groupe Aesio, se sont réunies pour financer la recherche à travers la Fondation de l'Avenir. Cette association d'économie sociale et solidaire se consacre à la recherche médicale appliquée, passerelle entre la recherche fondamentale et l'application concrète du soin au bénéfice des patients. « Il s'agit de l'expression directe de la volonté mutualiste de faire évoluer l'organisation médicale de notre pays. Notre objectif est de faire la prise en charge médicale dans notre pays en répondant au mieux aux besoins de financement et d'accompagnement des chercheurs porteurs de projets » décrit la présidente du directoire de la Fondation de l'Avenir Marion Lelouvier, qui a occupé récemment la fonction de directrice de cabinet du président du directoire de la Fédération nationale de la Mutualité Française. Créée en 1987, la Fondation de l'Avenir s'est d'abord consacrée au soutien des chirurgiens avant d'élargir sa mission à l'ensemble de la recherche appliquée. Elle a financé 1 200 projets qui ont débouché sur des découvertes capitales, comme la greffe de cellules cardiaques dérivées de cellules-souches embryonnaires humaines sur une patiente atteinte d'insuffisance cardiaque, une première mondiale. Les mutuelles gèrent aussi 2 800 établissements de soins dont une vingtaine d'hôpitaux, dont le plus important est l'Institut Mutualiste Montsouris (IMM) dans le XIVe arrondissement de Paris. Durant la crise, les mutuelles ont été au premier rang pour soutenir les soignants et d'abord ceux des établissements qu'elles gèrent. La Fondation Paul Bennetot Matmut a aidé à la mise au point de l'application Covid Minute, conçue par un médecin exerçant en Chine et qui délivre des informations fiables et vérifiées sur l'épidémie. Une initiative salutaire alors que de nombreuses fake news, potentiellement dangereuses, circulent sur les médias sociaux. Si les entreprises du secteur de la santé se sont fortement engagées dans cette période difficile, elles n'ont pas été les seules. Le 21 mars 2020, un groupe d'entrepreneurs de la tech discute d'une idée toute simple lancée dans un fil de discussion par Thomas Clozel : « Et si on aidait les hôpitaux en acheminant ultra rapidement le matériel médical dont ils auraient besoin ? » Cet appel de l'hématologue de 36 ans créateur de la start-up Owkin, qui utilise le machine learning pour améliorer la recherche médicale et biologique, devient le hashtag #ProtegeTonSoignant. Médecins, experts medtech, spécialistes du sourcing en Chine, communicants se mobilisent pour créer une cagnotte citoyenne afin de collecter un maximum de dons pour financer ces achats de matériel. Résultat : près de 7,5 millions d'euros collectés pour répondre à 1 801 demandes envoyées par 396 établissements de santé. Près de 4 millions ont été dépensés en matériel médical ; 2,5 millions en matériel de protection ; 500 000 euros pour apporter des repas aux soignants et 500 000 euros pour les frais de l'opération. Sans oublier des dons en nature de la part d'une centaine d'entreprises : des tonnes de boissons, des vêtements, des kits d'hygiènes, des micro-ondes, des frigos, des iPad, des transports et hébergement gratuits, etc. Un mouvement de solidarité facilité par les outils digitaux : les réseaux sociaux, une newsletter envoyée aux donateurs deux fois par semaine, un site Internet. Une initiative qui prouve plus que jamais l'efficacité de la mobilisation des professionnels.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°4 - S'engager et agir - Avril 2021 - Découvrez la version papier

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Commentaire 1
à écrit le 26/08/2021 à 11:54
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Non c'est la nourriture saine qui permet d'être en bonne santé donc le discours reste largement hypocrite tant que l'on mangera tout ces produits malsains voir empoisonnés sur la volonté de préserver notre santé. Le capitalisme nous aura rendu malade...

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