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"Nous nous considérons comme le service public de la transition écologique", Marianne Laigneau (Enedis)

Marianne Laigneau, énarque et conseillère d’État, connaît bien les problématiques du secteur énergétique pour avoir occupé des postes à responsabilité chez Gaz de France, EDF, RTE et désormais Enedis. Elle revient sur les actions du distributeur d’électricité pour réduire son empreinte carbone et celle de ses clients usagers et collectivités territoriales. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°4 Avril 2021)
Marianne Laigneau, Présidente du directoire d'Enedis
Marianne Laigneau, Présidente du directoire d'Enedis (Crédits : © Pierre-Olivier / Capa Pictures / Enedis)

Votre trajectoire professionnelle vous a amenée à diriger de grandes entreprises publiques dans le domaine de l'énergie. À quel moment la dimension RSE vous est-elle apparue prépondérante ?

Marianne Laigneau J'ai un parcours au service de l'intérêt général. J'ai eu d'abord des fonctions au sein de l'État, en particulier dans le domaine diplomatique puisque j'ai occupé le poste de premier conseiller à l'ambassade de France à Tunis. J'ai aussi effectué dans les années 1990 des missions pour l'ONU au Mozambique et pour l'Union européenne à Gaza (Palestine). J'ai ensuite rejoint le secteur de l'énergie, d'abord à Gaz de France, puis EDF en 2005, époque où l'on commençait à parler de ces problématiques RSE, pour les mettre au cœur de la gouvernance. J'ai aussi été directrice de l'international pendant près de trois ans. Les activités se déroulaient essentiellement dans des pays sans électricité ou avec une fourniture de mauvaise qualité, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Pour impliquer les populations, en s'appuyant sur leurs attentes tout en adoptant une approche client, nous avons insisté sur le développement des énergies renouvelables.

Vous avez été nommée en février 2020 présidente du directoire d'Enedis. Quels sont vos missions et votre rôle ?

M.L. Enedis, c'est l'opérateur du réseau de distribution d'électricité qui raccorde tous les Français. C'est un réseau qui a beaucoup évolué. Il est aujourd'hui truffé d'objets connectés, d'intelligence artificielle, de datas. Il est aussi devenu bidirectionnel. Dans le modèle centralisé précédent, on produisait de l'électricité dans les centrales nucléaires ou hydrauliques et on l'envoyait sur le réseau de transport puis de distribution. Ce modèle existe toujours, mais il fonctionne désormais dans les deux sens du fait des énergies renouvelables décentralisées. L'usager devient également producteur de sa propre électricité grâce à l'éolien et au solaire. C'est ce qu'on appelle l'autoconsommation, qui connaît une croissance exponentielle : en 2015, nous comptions à peine 3 000 clients autoconsommateurs individuels sur le réseau. Cinq ans après, ils sont 90 000. Aujourd'hui, 90 % de la production d'énergies renouvelables sont raccordés au réseau opéré par Enedis, dont 60 % d'entre elles, on ne le dit pas assez souvent, sont produites dans des communes de moins de 2000 habitants. Soit 475 657 sites de production d'électricité décentralisée qui représentent 22 % de la capacité totale du parc de production d'électricité. Nous opérons le plus grand réseau européen de distribution avec 1,4 million de kilomètres de lignes, soit l'équivalent de 35 fois le tour de la Terre, et nous sommes présents sur 95 % du territoire grâce à nos 800 sites pour desservir 37 millions de clients.

Vous avez exercé des responsabilités à Gaz de France puis EDF. Comment le secteur de l'énergie a-t-il évolué depuis vingt ans ?

M.L. Nous nous sommes rendu compte que si lutter contre le changement climatique, c'est décarboner l'économie, et j'en suis convaincue, il faut alors développer des usages plus nombreux de l'électricité. C'est le cas pour les transports par exemple. Le réseau qui amène l'électricité jusqu'au client final est vraiment la colonne vertébrale de la transition écologique : rien ne peut se faire sans lui. Nous avons à cœur ainsi de contribuer à l'atteinte des objectifs de la stratégie nationale bas carbone (la neutralité carbone en 2050, ndlr). Entreprise responsable, nous nous sommes engagés à arriver à notre propre neutralité carbone en 2050 et à réduire notre empreinte carbone dès 2025.

Pourquoi le réseau électrique est-il un maillon incontournable en matière de lutte contre le dérèglement climatique ?

M.L. Parce qu'il va partout, des métropoles aux territoires les plus reculés. De plus, un haut niveau de technologie nous permet d'être agiles, par exemple de maintenir nos ouvrages en limitant l'impact sur l'environnement avec des robots et des drones. Nous expérimentons aussi des groupes énergétiques qui fonctionnent à l'hydrogène ou avec des batteries mobiles. Demain, les ZFE (zones à faibles émissions) et les centres-villes ne toléreront plus les équipements polluants comme les groupes diesel. Nous testons actuellement ces groupes verts, sous forme de prototypes, qui seront industrialisés et utilisés lors des Jeux olympiques de 2024. C'est une vraie prouesse technologique. Nous essayons aussi d'être le plus environemental friendly possible.

Comment comptez-vous remplir cet objectif de neutralité carbone ?

M.L. D'abord en rendant le réseau plus résilient aux aléas climatiques : épisodes de tempêtes, canicule, froid intense, etc. Nous y consacrons 1 milliard d'investissement chaque année. Le compteur communicant Linky, lui, aide les 30 millions de Français équipés, soit 4 Français sur 5, à maîtriser leur consommation, ce qui participe à la lutte contre le changement climatique. Nous nous considérons comme le service public de la transition écologique au service des territoires puisque nous sommes présents partout. Nous investissons 4 milliards d'euros par an, dont la moitié bénéficie aux TPE et PME, soit 57 000 emplois indirects.

En février a eu lieu au Texas un de ces épisodes de froid extrême qui a laissé deux millions d'habitants sans électricité. Un tel chaos est-il possible en France ?

M.L. Ce serait inimaginable. Cette année, nous avons eu 58 minutes de coupures en moyenne par client durant toute l'année ! Au Texas, l'arrêt de l'alimentation a duré plusieurs jours car il y a d'autres causes liées à la production. Les opérateurs ont été obligés de délester le réseau (supprimer l'alimentation d'un groupe d'appareils ou de clients afin d'éviter la saturation de l'alimentation électrique) pour qu'il tienne le coup. En France, le service public répond présent en cas de catastrophes naturelles, comme nous l'avons prouvé dans l'arrière-pays niçois après la tempête Alex. En quatre jours, nous avons mobilisé une centaine de rotations d'hélicoptères pour acheminer les groupes électrogènes. Une opération délicate que nous n'avions pas l'habitude de faire.

D'ERDF en 2008 devenue Enedis en 2016, comment l'entreprise s'est-elle adaptée à la transition énergétique ? Quelles ont été les étapes de cette adaptation aux nouvelles exigences environnementales ?

M.L. Nous nous sommes résolument engagés en considérant que nous étions un facilitateur pour les fournisseurs d'électricité. Mais que c'était aussi notre responsabilité en tant qu'acteur industriel. Il y a dix ans, on attendait du réseau qu'il soit performant et professionnel, c'est-à-dire capable de dépanner les usagers le plus vite possible, sur le modèle de ce que nous avons fait lors des grandes tempêtes en créant une force d'intervention rapide. Un modèle efficace, que les parlementaires aimeraient d'ailleurs voir reproduit dans le service public téléphonique. Mais ce rôle n'est plus suffisant. Nous devons être un acteur qui s'engage sur des technologies innovantes et qui sensibilise ses clients aux écogestes. Nous voulons être un opérateur transparent, qui associe les populations à ses investissements. Nous avons aussi électrifié notre parc de véhicules, avec 3 000 VE (véhicules électriques) soit 15 % du parc, et nous voulons arriver à 100 % de VE légers en 2030.

Quelles technologies innovantes utilisez-vous ?

M.L. À quoi devons-nous nous préparer d'ici 30 ans ? Les risques principaux sont les tempêtes, mais aussi la neige collante, particulièrement lourde et qui fait tomber les lignes. Et le froid et le chaud extrêmes, avec des canicules plus nombreuses, ce qu'on appelle le risque californien. Nous ciblons notre programme d'investissement pour diminuer ces risques avec un plan aléas climatiques. Ce qui passe par une digitalisation accrue. Les smart grids (réseaux intelligents) nous permettent de gérer les 475 000 sites de production d'énergies renouvelables. Comment éviter que tout le monde ne produise et consomme en même temps ? Comment stocker provisoirement cette électricité ? C'est un métier complètement différent. Grâce aux données de consommation obtenues avec le compteur Linky, nous pouvons également aider les collectivités locales et les bailleurs sociaux à cibler leurs opérations de rénovation énergétique. Nous l'avons fait à Paris dans le XIIIe arrondissement et dans le quartier de la Chapelle, pour des projets concernant des écoles et dans l'habitat social notamment. Nous sommes les seuls à savoir le faire. Tout cela, on n'en parlait pas il y a cinq ans. Nous voulons passer d'un usage expérimental de ces solutions à une vision industrielle de cet usage de la data. C'est au cœur de notre projet d'entreprise.

Le réseau est-il prêt à accompagner une montée en puissance du véhicule électrique ?

M.L. Aujourd'hui, il existe 30 000 bornes de recharge publiques. Le gouvernement vise 100 000 bornes fin 2021 et 1 million en 2023. Nous savons faire, il n'y aura pas de problème. Mais ce qui n'est pas suffisamment développé, c'est la recharge à domicile, qui représente 90 % des besoins de recharge. En maison individuelle, il est assez facile d'installer une prise. Pour l'habitat collectif, c'est un peu le parcours du combattant. Sur 180 000 copropriétés éligibles, seulement 1 % ont installé des bornes dans leur parking. Un faible taux d'équipement qui pourrait devenir un frein à l'essor du véhicule électrique.

Où en êtes-vous dans l'intégration des énergies renouvelables ? Et quels sont vos projets ?

M.L. Fin 2020, nous avions 30,2 GW (gigawatts) d'énergies renouvelables (EnR) connectées au réseau opéré par Enedis sur 135,2 GW au total. Dans les quatre ans qui viennent, nous allons raccorder en EnR l'équivalent en puissance de dix centrales nucléaires ! C'est colossal. D'ici 2024, nos investissements vont de ce fait augmenter de 20 %.

Vos infrastructures sont présentes sur tout le territoire, y compris rural. Quels sont vos engagements en faveur de la biodiversité ?

M.L. Qui dit infrastructures dit impact potentiel sur l'environnement. Dans nos activités quotidiennes, la plupart de nos travaux consistent à réaliser des tranchées en bord de route pour poser de nouveaux câbles. L'impact sur la faune et la flore est très faible. En revanche, l'impact sur la biodiversité est plus significatif pour la construction des postes sources (ouvrages qui se trouvent à la jonction des lignes électriques de haute et moyenne tension), et l'entretien de leurs abords. Nous avons prévu d'arrêter l'usage des produits phytosanitaires pour l'entretien des abords des postes sources d'ici 2024. Nous nous appuyons sur le plan d'amélioration de notre performance environnementale 2019-2022 en cours. Par ailleurs, Enedis est partenaire de l'initiative Act4nature/Entreprises Engagées pour la Nature, et s'engage à ce titre à apporter des solutions concrètes pour la préservation de la biodiversité dans le cadre de ses activités. Évidemment, on rencontre des oiseaux sur nos lignes à haute tension dont une partie est en aérien. Il y a un risque de mortalité des oiseaux de grande envergure. Nous nous appuyons sur les associations nationales comme la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux), avec qui nous avons un partenariat très actif, y compris à l'échelon local, et nous cartographions ensemble les zones à protéger. Nous identifions les lignes et les pylônes qui peuvent être dangereux et nous définissons un plan d'action, qui peut passer par exemple par un enfouissement de la ligne. Nous nous occupons aussi d'espèces plus spécifiques, comme les gypaètes barbus dans le cadre du projet européen LIFE Nature.

Et pour les autres représentants de la faune ?

M.L. La direction régionale Aquitaine Nord participe à un projet LIFE Environnement piloté par le parc naturel régional Périgord-Limousin qui vise à protéger les abeilles sauvages. Il concerne les cinq parcs régionaux de Nouvelle-Aquitaine et vise à restaurer sur des milieux très variés, des « corridors écologiques » favorables à l'implantation et au développement des populations d'abeilles sauvages, situés sous les emprises de nos lignes électriques. Des populations en risque d'extinction, alors même qu'elles constituent un maillon essentiel de la chaîne de la biodiversité et de notre agriculture.

Dans la RSE, il y a aussi une dimension sociale. Quelles sont vos actions dans ce domaine ?

M.L. Au cœur de l'approche sociétale d'Enedis, les PIMMS (Points d'information et de médiation multiservices), créés il y a 25 ans avec d'autres services publics, permettent d'accéder rapidement à des dispositifs d'aide et d'éviter ainsi une suspension de la fourniture d'électricité pour les personnes en difficulté. Ils facilitent les actions de sensibilisation à la maîtrise de l'énergie, notamment grâce aux services proposés par le compteur communicant Linky et aident à informer sur les écogestes. Concernant nos 38 000 salariés, nous nous engageons dans la formation, l'insertion, les carrières des salariés en situation de handicap qui étaient 700 en 2008 et sont 1 600 aujourd'hui. Et nous signons régulièrement des accords collectifs ambitieux avec les organisations syndicales sur ce thème. Nous consacrons aussi 15 millions d'euros pour les achats au secteur protégé[1]. Notre Label Relations Fournisseurs et Achats Responsables vient par ailleurs d'être renouvelé et nous en sommes très fiers. C'est d'autant plus important avec cette crise sanitaire qui a fortement touché nos prestataires TPE et PME. Nous avons consenti 300 millions d'euros d'effort de trésorerie envers ces petites structures. Nous les avons payées bien plus vite que les 60 jours légaux et nous avons commandé du matériel dont nous n'avions pas besoin tout de suite. Ce qui nous a valu d'être reconnus comme une des dix entreprises les plus responsables pendant la crise économique par le ministère de l'Économie.

Diriez-vous qu'Enedis est une entreprise engagée socialement ?

M.L. Nous sommes fiers d'entretenir ce qu'on appelle l'ascenseur social. Il n'y a que 15 % de cadres chez Enedis, qui est en majorité une entreprise de cols-bleus. Un tiers des salariés entrés dans le cortège exécution, le premier échelon, accèdent au niveau maîtrise dix ans plus tard. Et un tiers de ceux qui sont en maîtrise sont cadres vingt ans après. On parle de plusieurs milliers de personnes. Cela représente sur ces cinq dernières années 3 300 salariés exécution passés en maîtrise et 1 300 de la maîtrise au statut cadre. Pendant la crise, nous avons conservé nos apprentis, en nombre aussi élevé que les autres années. Nous nous sommes occupés de nos salariés, de nos fournisseurs et de nos clients à qui nous avons envoyé des millions de SMS. En situation de crise, on s'aperçoit à quel point c'est important de rester connectés avec toutes ses parties prenantes. C'est une autre manière de faire de la RSE. Et si vous interrogez n'importe quel salarié d'Enedis sur ce sujet, il vous dira la même chose sans que la direction de la communication ait besoin de lui donner des éléments de langage.

Quelles sont vos initiatives à venir dans ce domaine de la RSE ?

M.L. Nous avons créé il y a cinq ans un conseil des Parties Prenantes que nous allons décliner dans chaque région, à la demande des salariés. Nous voulons développer les nouvelles technologies, qui nous ont aidés durant la crise : de 5 000 de nos salariés en télétravail un ou deux jours par semaine avant la crise sanitaire, nous avons pu étendre ce dispositif à plus de 30 000 salariés dès le début du premier confinement. Nous voulons continuer d'être un service public de proximité engagé, fier de son utilité sociale.

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[1] Les Établissements et services d'aide par le travail (ESAT) et les Entreprises adaptées (EA) qui permettent à des personnes lourdement handicapées d'exercer une activité professionnelle dans des conditions de travail aménagées.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°4 - S'engager et agir - Avril 2021 - Découvrez la version papier

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