Arm peut-il vraiment compter sur l'engouement de l'IA pour réussir son IPO ?

En introduisant Arm en Bourse ce jeudi, SoftBank espère surfer sur l'engouement autour de l'intelligence artificielle générative. Mais contrairement à Nvidia, son rôle dans la révolution technologique en cours reste à démontrer.
François Manens
Arm entre en Bourse ce jeudi et SoftBank espère bien le faire passer pour une entreprise d'intelligence artificielle.
Arm entre en Bourse ce jeudi et SoftBank espère bien le faire passer pour une entreprise d'intelligence artificielle. (Crédits : DADO RUVIC)

Avec l'introduction en Bourse de Arm ce jeudi, qu'est-ce que les investisseurs achètent ? C'est la grande question qui déterminera le succès de l'action, présentée à 51 dollars. Géant du marché des processeurs, Arm commercialise uniquement de la propriété intellectuelle. Concrètement, l'entreprise britannique vend des licences d'exploitation pour ses architectures de puces. Parmi ses clients se trouvent Apple, Qualcomm, Nvidia ou encore Amazon. Plus de 30 milliards de puces fabriquées l'an dernier disposent d'une architecture Arm, présentes par ailleurs sur plus de 99% des smartphones, dans les automobiles ou encore dans les ordinateurs.

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Mais le dirigeant de SoftBank, Masayoshi Son, promeut un autre visage de l'entreprise, dont sa société détient 100% des parts : Arm serait d'après lui incontournable dans la révolution de l'intelligence artificielle, sujet dont les investisseurs sont devenus friands. L'entreprise jouerait « un rôle central » dans l'accélération du développement de l'IA, au point de faire de l'homme d'affaires un « architecte du futur de l'humanité ». Mais pour l'heure, cette vision d'Arm ne correspond pas à la réalité.

Pour preuve : sur son dernier exercice annuel, terminé en mars, l'entreprise britannique a réalisé un chiffre d'affaires de 2,68 milliards de dollars, en très légère baisse (-0,7%) par rapport à l'année précédente. Dans le même temps, le constructeur de processeurs Nvidia, réellement au centre de la révolution de l'IA, a multiplié son chiffre d'affaires par deux à 13,6 milliards de dollars et ses bénéfices par huit, rien que sur le dernier semestre.

Jusqu'où Arm peut-il surfer sur la vague Nvidia ?

Dix mois après la sortie de ChatGPT, la ruée vers l'intelligence artificielle se traduit par une extrême demande en processeurs spécialisés, un marché sur lequel Nvidia fait course seul en tête. Arm joue un petit rôle dans ce succès : le produit phare de l'entreprise fondée par Jensen Huang, la « super puce » Grace Hopper, embarque une puce (CPU) construite sur une architecture Arm. Mais ce n'est qu'un composant parmi une multitude, et surtout, le CPU Arm n'est pas la seule option qui s'offre à l'entreprise star de l'IA.

« Les composants bâtis sur des architectures Arm intégrés aux derniers processeurs de Nvidia ne représentent qu'une petite partie de la valeur ajoutée du produit. Les investisseurs ne peuvent pas acheter des actions Arm comme si elles étaient indexées sur le succès de Nvidia », tranche auprès de La Tribune Jacques-Aurélien Marcireau, co-responsable de la gestion actions chez Edmond de Rotschield.

Autrement dit, si Arm peut profiter de la vague Nvidia avec plusieurs licences adaptées aux futurs processeurs, il peut aussi être laissé à quai. L'entreprise doit donc apporter d'autres preuves si elle souhaite prouver son rôle central dans l'IA et profiter de l'appétence des investisseurs pour le sujet.

Historiquement, son succès s'est construit sur la capacité de ses architectures à réduire la consommation en énergie des processeurs. Après avoir écrasé le marché des smartphones et s'être imposé dans l'Internet embarqué grâce à cet argument, l'entreprise britannique tente depuis plusieurs années de s'en servir pour percer sur le marché bondissant du cloud.

Avec un certain succès : depuis 2018, Amazon Web Services, numéro 1 mondial du secteur, exploite une architecture Arm (Neoverse) dans la création de sa gamme de processeurs, les CPU Graviton, qui équipent ses datacenters. Dans le but, justement, de baisser la consommation d'énergie, et donc les coûts de fonctionnement de ses serveurs. Problème : si ce type de processeur peut faire tourner les modèles d'IA -de l'inférence, dans le jargon-, il n'est ni spécialisé dans ces tâches, ni incontournable. Autrement dit, Arm se range plutôt du côté de l'exécution des IA, et non de celui de son développement, comme le promeut Masayoshi Son.

Arm, une entreprise d'intelligence artificielle, vraiment ?

La ruée vers les processeurs dont profite tant Nvidia concerne l'entraînement des IA. Lors de cette première phase du développement de ChatGPT et consorts, les ingénieurs font ingurgiter à leurs modèles des volumes colossaux de données, ce qui nécessite de très grandes capacités de calcul. Les processeurs de Nvidia (les GPU) sont pour l'instant sans concurrence sur cette phase, ce qui permet à l'entreprise de dégager des marges inégalées dans le secteur. « Aujourd'hui, il n'est pas possible de faire de l'entraînement des grands modèles de langage sur des architectures Arm, ce qui limite son rôle dans le secteur », rappelle ainsi Jacques-Aurélien Marcireau, avant de conclure, « avec AWS, Arm a réussi un galop d'essai sur sa capacité à équiper les datacenters. Mais sa promesse sur l'intelligence artificielle reste pour l'heure incertaine. »

Quelques pistes de développement émergent tout de même : comme le souligne The Verge, Arm semble en bonne position pour s'insérer dans les projets de processeurs concurrents à Nvidia grâce à ses compétences. Mais encore faut-il que cette concurrence parvienne à se frayer une place, tant le géant de l'IA semble incontournable. Quoi qu'il en soit, l'entreprise britannique devrait jouer un rôle essentiel dans l'intégration des IA dans les appareils électroniques par son omniprésence. Mais ce rôle est bien moins central au développement de l'IA que celui envisagé par Masayoshi Son.

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Déjà de premières menaces sur Arm

Si le marché n'achète pas les perspectives de Arm dans l'intelligence artificielle, l'entreprise britannique devra trouver des gisements de croissance ailleurs. D'autant plus qu'elle doit se confronter au ralentissement significatif du marché des smartphones, causé par la baisse du pouvoir d'achat et le changement des habitudes de consommation.

Le gisement de revenus le plus évident n'est autre qu'une augmentation du prix de ses licences. D'après le cabinet Creative Strategies, cité par The Verge, Arm gagnerait entre cinq et quinze centimes de dollars par puce, un montant qu'il pourrait augmenter sans trop d'effets négatifs sur le volume de vente. L'entreprise britannique est également très bien placée sur le marché de l'Internet embarqué, mais ce dernier peine à décoller.

En parallèle, deux menaces viennent obscurcir le tableau présenté aux investisseurs. La première est d'ordre technologique : une architecture rivale, RISC-V, ne cesse de gagner en popularité et de grignoter des parts de marchés. Et pour cause : en plus d'être open-source -c'est-à-dire de publier en accès libre ses détails techniques-, elle peut être exploitée gratuitement.

L'autre menace est politique : le plus gros client d'Arm n'est autre que Arm China, une entité indépendante, contrôlée à seulement 48% par SoftBank, le reste du capital appartenant à des investisseurs liés au gouvernement chinois. Le montage financier entre les deux institutions manque de clarté, et la branche chinoise accuse des retards de paiements. Alors que Joe Biden durcit la ligne politique sur les échanges entre Etats-Unis et la Chine, et plus particulièrement sur le marché des processeurs, cette dépendance à Arm China se traduit en risque pour Arm.

François Manens

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Commentaires 2
à écrit le 15/09/2023 à 15:51
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Sans doute la société AMD prendra la réponse à son concurrent avec des puces encore plus performantes.

à écrit le 14/09/2023 à 10:30
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Comme vous dites, nous n'en sommes pas encore à l'industrialisation de masse de l'IA mais plutôt à un captage général de subventions publics pour sa recherche donc pour l'instant c'est n'vidia qui tire son épingle du jeu, le marché étant encore trop ...

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