Nvidia : les trois menaces qui pèsent sur l'incroyable succès du géant des puces

Nvidia est le premier grand gagnant de la révolution de l'intelligence artificielle générative. L'entreprise écoule ses processeurs comme des petits pains, ce qui lui a permis de réaliser plus de 13 milliards de dollars de chiffre d'affaires et plus de 6 milliards de bénéfice sur les trois derniers mois. Si elle semble en position pour réitérer ces performances au moins jusqu'en 2024, de premières menaces commencent à apparaître pour sa pérennité au long court. Explications.
François Manens
Plusieurs menaces planent sur l'exceptionnelle santé financière du géant des processeurs Nvidia.
Plusieurs menaces planent sur l'exceptionnelle santé financière du géant des processeurs Nvidia. (Crédits : Nvidia)

Les incroyables chiffres de vente de Nvidia au deuxième trimestre, présentés dans la nuit de mercredi à jeudi, affolent Wall Street. Et pour cause : l'exceptionnelle santé financière du géant des processeurs traduit concrètement l'engouement généralisé pour l'intelligence artificielle générative, propulsée au cœur des préoccupations des entreprises depuis la sortie de ChatGPT fin 2022. Avec plus de 10 milliards de dollars rien que sur son activité datacenter, l'entreprise justifie la mise des investisseurs sur cette nouvelle vague technologique.

Et ce n'est que le début ! Nvidia a déjà annoncé qu'il prévoyait des performances financières encore meilleures au prochain trimestre, et même jusqu'au début de 2024. Mais de premiers nuages pointent à l'horizon, et pourrait affecter cette trajectoire exceptionnelle à moyen terme. « Forcément, les chiffres du second trimestre vont alimenter encore plus l'engouement sur l'intelligence artificielle. Mais il convient d'émettre certaines réserves, car il existe plusieurs risques significatifs, encore difficiles à chiffrer », nuance Xiadong Bao, co-gérant du fonds Big Data chez Edmond de Rothschild.

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Une situation de pénurie à double tranchant

Première menace : le risque du contrecoup de la pénurie. Comme le relève The Guardian, les analystes estiment que la demande pour les puces de Nvidia spécialisées en IA dépasse de plus de 50% les capacités de production des usines de TSMC, où sont fabriqués l'intégralité des processeurs dernier cri de l'entreprise, les H100. Ce déséquilibre entre offre et demande devrait perdurer sur au moins les trois prochains trimestres selon les projections.

Et pour cause : les machines de Nvidia n'attirent pas seulement la convoitise des géants de la tech comme Microsoft, Google ou Meta. Tout un écosystème émergent de startups (Cohere, Anthropic, Stability AI, Inflection AI...) , financées à coup de centaines de millions de dollars, se rue également sur ses produits. Même de grandes entreprises non spécialisées en IA, par exemple dans le secteur bancaire, le luxe ou encore la grande distribution se dotent de processeurs, par peur de rater la révolution en marche. Comme si ce n'était pas suffisant, à cette demande colossale s'est récemment ajoutée celle de pays comme l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. En résumé, tout le monde veut son lot de H100, et les alternatives des concurrents ne sont pas encore au niveau.

Problème : cette pénurie affecte déjà la trajectoire du secteur, certaines startups n'arrivant pas à acheter le volume suffisant de processeurs pour mener leurs projets à bien. D'après SemiAnalysis, même OpenAI est contraint de revoir sa feuille de route car il n'arrive pas à s'équiper à hauteur de ses ambitions. Le créateur de ChatGPT a déjà retardé le déploiement de certaines déclinaisons de ses modèles, faute de disponibilité sur ses machines de calcul. Autrement dit, les géants de la tech pourraient concéder une croissance moindre, tandis que la situation menace déjà la pérennité de startups prometteuses. La peine serait double pour Nvidia qui investit à tour de bras dans le secteur, et perdrait donc sa mise en plus d'une partie de sa clientèle.

En bout de chaîne, Nvidia s'expose à moyen terme à un contrecoup de la pénurie. L'entreprise sait déjà qu'elle va écouler sa production sur plus de neuf mois sans faire de stock, et elle tente d'augmenter ses capacités de production pour atteindre l'objectif de 400.000 H100 livrés par trimestre. Mais si à la sortie de la pénurie, la demande ne suit pas, elle subira un grand contrecoup. « A long terme, il semble évident que l'intelligence artificielle générative est un 'game changer'. La question est de savoir si à court terme, les entreprises ont trop anticipé dans l'achat de processeurs », résume Xiadong Bao.

Le succès à prouver de l'intelligence artificielle générative

Deuxième menace : le risque d'échec des entreprises du logiciel. Si Nvidia a le rôle de vendeur de pelles dans la ruée vers l'or qu'est la révolution de l'IA générative, il faut que ses clients parviennent à trouver de l'or pour investir dans de nouvelles pelles. Ces derniers, à commencer par Microsoft et OpenAI, semblent bien avoir trouvé des pépites avec leurs modèles d'IA (comme GPT-4) , mais ils n'ont pour l'instant pas prouvé qu'ils feront fortune avec. Tant que ce ne sera pas le cas, un risque à long terme continuera de peser sur la trajectoire de Nvidia.

« Certes la commande est visible chez Nvidia, mais la question de la commande chez leurs clients, et notamment les hyperscalers [Microsoft, Google, Amazon, ndlr], va commencer à se poser. Si ces derniers ne trouvent pas de profitabilité dans leur Capex [investissements en capital, ndlr], vont-ils continuer à investir ? », questionne Xiadong Bao. En réponse à ces interrogations, le dirigeant Jensen Huang défend que les entreprises auront quoi qu'il en soit besoin de ses processeurs pour accélérer tous les calculs, et pas seulement pour l'intelligence artificielle. Une façon pour lui de nier, ou du moins nuancer, la dépendance de l'activité datacenter de son entreprise à l'engouement actuel pour l'IA.

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Chez les entreprises à la pointe des logiciels nourris à l'intelligence artificielle générative, à commencer par Microsoft, les retombées de la révolution annoncée ne sont pas encore visibles dans les résultats financiers. Par exemple, l'entreprise pilotée par Satya Nadella mise à court terme sur deux principales sources de revenus liées à l'intelligence artificielle générative. D'un côté, la fourniture d'accès aux modèles d'OpenAI au sein de son cloud, avec une facturation selon le nombre d'utilisations. De l'autre, le déploiement d'assistants connectés, les Copilot, au sein de pratiquement tous ses logiciels, pour un prix entre 20 et 30 dollars par mois par utilisateur.

Les premières démonstrations impressionnantes de Copilot 365 (l'assistant dédié à la suite de bureautique composée de Word, Excel, PowerPoint...), accompagnées de promesses de gains de productivité inédits, ont de quoi faire saliver les entreprises. Mais le taux de pénétration de ces assistants au coût significatif reste un grand point d'interrogation, puisque Microsoft n'a pas encore donné de date de déploiement. De son côté, OpenAI espère enregistrer un milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2023, après avoir perdu plusieurs centaines de millions de dollars chaque année depuis sa création en 2015. Avec son abonnement et ses offres d'API [des connecteurs qui permettent d'utiliser ses IA], le créateur de ChatGPT commence à ouvrir des canaux de monétisation. Mais Meta, avec l'ouverture gratuite de ses modèles d'IA pour des usages commerciaux, pourrait déjà perturber ce début de dynamique.

La guerre économique entre la Chine et les Etats-Unis menace les exportations

Troisième et dernière menace, la plus à même de se concrétiser : le risque du renforcement des sanctions américaines contre la Chine. L'administration Biden multiplie les restrictions sur les exportations, et la prochaine vague de limitations, esquissée mi-août, devrait mener à l'interdiction de la vente de puces vers la Chine dans les prochains mois. En octobre 2022, Nvidia était déjà contraint de créer une puce spécifique pour le marché chinois, afin de se plier aux restrictions, et il n'a pas pu y commercialiser ses H100, malgré l'intérêt des géants de la tech et startups chinoises.

Interrogée sur le sujet lors des résultats trimestriels, la directrice financière de Nvidia, Colette Kress, affirme que même une interdiction n'aurait pas d'effet immédiat sur l'activité de l'entreprise, tant la demande est élevée. En revanche, elle avertit depuis plusieurs mois l'administration américaine sur le grand manque à gagner qu'une telle mesure générerait sur le long terme.

Comme le relève Xiadong Bao, Nvidia réalise entre 20% et 25% de l'ensemble de ses exportations en Chine. « Les entreprises chinoises sont de très bon clients pour Nvidia : ils acceptent d'acheter l'ancienne génération de processeurs, les H800, pour quasiment le même prix que la nouvelle, alors qu'ils sont bien plus lents », ajoute-t-il. En prévision des éventuelles sanctions, les entreprises chinoises ont déjà commencé à stocker, à l'instar de Bytedance. L'entreprise mère de TikTok aurait ainsi passé une commande de puces A800 et H800 à hauteur de plus d'un milliard de dollars.

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 27/08/2023 à 10:42
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On se doute que le prix va être forcément un frein les incitant à augmenter leurs marges pour les actionnaires freinant d'autant plus les ventes ce qui se passe aussi bien pour les processeurs que pour les petits pois, sans parler du fait d'une activ...

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