Est-il normal que des entreprises dans lesquelles l'Etat a des participations choisissent de soutenir des acteurs américains du cloud, en l'occurrence Amazon Web Services ? Le député vendéen Philippe Latombe (Modem) s'en est ému jeudi à l'Assemblée nationale, via la procédure de question écrite au gouvernement. « De grandes entreprises, dans lesquelles l'Etat a de très importantes participations et possède pourtant une minorité de blocage, continuent de confier l'hébergement de leurs applications et de leurs données à des hyperscalers non européens », s'est-il indigné.
Amazon choisi par la SNCF et commercialisé par Orange
A l'origine de cette sortie médiatique, symbolique du la grogne du secteur français du cloud depuis le début de l'année, se trouvent deux récents événements. Le 8 décembre, la SNCF a fièrement annoncé qu'elle venait de passer la quasi-totalité de ses serveurs dans le cloud d'Amazon Web Services (AWS), alors qu'elle les gérait elle-même auparavant.
Puis, le 14 décembre, plusieurs éditeurs de logiciels ont reçu des emails de démarchage de la part d'Orange Cloud for Business, avec pour objet la vente de services d'AWS. « Nous avons signé un partenariat fort avec AWS qui nous engage sur plusieurs années et nous migrons les entreprises vers AWS et assurons un service managé de qualité », annoncent les commerciaux du géant des télécoms français.
L'Etat ne fait pas de préférence nationale dans ses commandes cloud
Autrement dit, deux grandes entreprises françaises -détenues par l'Etat français à hauteur de 13,4% pour Orange et 100% pour la SNCF- font la promotion du géant américain, pourtant large numéro 1 de son secteur avec plus de 33% du marché mondial (d'après Synergy Research). Forcément, les acteurs français de l'écosystème s'énervent de cette mise en avant de leur concurrent et de l'inaction de l'Etat. Mais le gouvernement a déjà répété à de multiples reprises qu'il ne mènerait pas de politique protectionniste dans le secteur, contrairement aux Etats-Unis.
Par exemple, le mois dernier, à l'occasion de l'annonce d'un plan d'investissement de 1,8 milliard d'euros dans le cloud, le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, Cédric O, avait balayé la demande insistante d'une politique de commandes publiques. Il promouvait une "concurrence loyale" et refusait d'envisager une "stratégie autarcique", un discours qui s'inscrit dans la continuité de la stratégie gouvernementale depuis le début du quinquennat.
Mais de son côté, le député Philippe Latombe voit dans le laisser-faire du gouvernement une incohérence politique : « L'Etat ne peut pas prétendre soutenir l'émergence de champions européens du logiciel cloud, à travers la stratégie nationale pour le cloud annoncée le 17 mai dernier, tout en continuant à tolérer de tels renoncements. »
La SNCF convaincue par Amazon
Dans La Revue du Digital, Arnaud Monier, directeur technologie chez eVoyageurs SNCF (filiale numérique de la SNCF) justifie le choix d'héberger ses 7.000 serveurs dans trois data center d'Amazon, situés en région parisienne. « Nous avons fait le choix d'AWS, c'est un choix d'ingénierie. Quand nous avons regardé le profil de risque et les garanties de services, en toute sincérité, nous avons été convaincus. Le ratio entre coût et bénéfice était en faveur d'AWS. » Autre argument avancé par le dirigeant : la capacité à monter en charge lors des pics de demandes clients, comme lors de la vente des billets pour les départs de noël. A aucun moment la comparaison n'est faite avec les concurrents français d'AWS comme OVHCloud, Scaleway ou Outscale.
Résultat : la vente des billets de train et la gestion des applications du personnel de la SNCF (contrôleurs, agents en gare, conducteurs...) se fait donc sur une infrastructure AWS depuis la mi-septembre. « 100% de nos ventes de Noël ont été faites dans le Cloud et il n'y a eu aucun problème », se félicite le dirigeant.
Quelle souveraineté ?
Le problème, c'est que la question de la souveraineté prend de plus en plus de place dans le secteur du cloud. Or, qu'une entreprise comme la SNCF, capable de cartographier une large partie des déplacements des Français, place ses données sous le giron d'un acteur américain représente un certain risque. La faute à des lois comme le Cloud Act, qui permettent au pouvoir judiciaire américain de saisir des données hébergées sur l'infrastructure d'une entreprise américaine.
Pour pallier ce risque, le gouvernement a lancé le label « cloud de confiance », destiné à des offres françaises soumises à la norme de sécurité très élevée SecNumCloud. Mais cette stratégie ne favorise pas les spécialistes français du secteur, et d'ailleurs, ce n'est pas son objectif. Rapidement, les géants américains se sont associés avec des entreprises françaises pour proposer leurs services sous un autre emballage. Par exemple, Microsoft Azure a noué un partenariat avec Orange et Capgemini pour créer la coentreprise Bleu, candidate au label. De son côté, Google s'est associé avec Thales avec le même objectif.
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