Pour présenter le "pilier industriel de la stratégie nationale pour le cloud" ce mardi 2 novembre, le secrétaire d'Etat au numérique Cédric O a choisi les locaux parisiens d'OVHCloud, le représentant le plus connu de l'écosystème français, qui vient de faire une entrée réussie en bourse. Le ministre a annoncé à la filière 1,8 milliard d'euros d'investissements publics et privés, dont 667 millions d'euros de fonds piochés dans les enveloppes du Programme d'Investissement Avenir (PIA 4) et du plan France Relance. "Si le gouvernement fait ces investissements, c'est parce que nous croyons que la bataille du cloud n'est pas perdue", a-t-il déclaré.
421 millions d'euros financent d'ores et déjà 23 projets de R&D publics et privés sélectionnés par le gouvernement. Un autre appel à projet sera ouvert en 2022, et le gouvernement prévoit également d'investir dans la formation. Autrement dit, les investissements plutôt conséquents de l'Etat ont pour objectif d'accélérer le développement du secteur sur les thématiques d'avenir.
L'écosystème du cloud français veut des commandes
Problème : cette vision à moyen terme - voire long terme - ne correspond pas aux attentes de l'ensemble de l'écosystème français. Avant que le secrétaire d'Etat prenne la parole, Michel Paulin, CEO d'OVHCloud, avait endossé le rôle officieux de porte-parole des acteurs français. "Nous avons besoin de commandes. Je répète, nous avons besoin de commandes", avait-t-il martelé, déclenchant ainsi les applaudissements de ses homologues.
Mais cet appel du pied n'a pas trouvé d'écho chez le ministre. "La réussite de la French Tech n'aurait pas eu lieu avec des solutions protectionnistes", a-t-il balayé. Cédric O prône une "concurrence loyale", refuse d'envisager une "stratégie autarcique", et rappelle que l'administration se soumet au fonctionnement des marchés publics. Autrement dit, si les offres de Microsoft Azure, Amazon Web Services ou Google Cloud sont plus alléchantes, les géants américains continueront à s'imposer.
Bien que son souhait ne soit pas exaucé, Michel Paulin voit dans les annonces "un pas dans le bon sens". Mais ce n'est pas le cas de tous ses homologues. Yann Lechelle, CEO de Scaleway, fait part de son mécontentement à la Tribune :
"Je voulais entendre un appel à focaliser les commandes publiques et privés sur les acteurs français. Les subventions, nous n'en voulons pas. Nous voulons des commandes. Le gouvernement dit que nous n'avons pas d'autre choix que d'avoir un marché libre et ouvert, je ne suis pas d'accord."
Derrière ces revendications se trouve une inquiétude face au développement toujours plus important des leaders américains du secteur.
Les Français absents du discours sur le "cloud de confiance"
Pour comprendre l'histoire, il faut remonter de quelques mois. En mai, le ministre de l'économie Bruno Le Maire annonçait les deux premiers piliers de la stratégie du gouvernement pour que la France ne rate pas son virage vers le cloud, c'est-à-dire la transformation de ses entreprises et administrations par la dématérialisation de l'informatique.
Le constat était simple : trois géants, tous américains, écrasent le marché français (et mondial) : Amazon Web Services, Microsoft Azure, et Google Cloud. Le problème ? Ces entreprises doivent se plier au Cloud Act, une loi adoptée en 2018. Elle permet à la justice et au renseignement américain d'accéder aux données hébergées sur des infrastructures d'entreprises américaines, quand bien même si elles se trouveraient hors des Etats-Unis. Concrètement, les autorités américaines pourraient réquisitionner les données d'utilisateurs européens hébergées sur les serveurs de ces trois géants. De quoi nourrir les inquiétudes des utilisateurs, et poser un véritable enjeu de souveraineté.
Face à ce constat, le gouvernement a créé le label "cloud de confiance". L'objectif : permettre un accès aux technologies cloud -et notamment américaines, "les meilleures aujourd'hui" dixit Bruno Le Maire- avec des garanties renforcées contre les lois extraterritoriales comme le Cloud Act américain. Une position pragmatique, qui consiste à prendre un détour pour protéger -du moins en théorie- les données des Français face aux lois extraterritoriales, tout ne bloquant pas l'accès à l'offre de service abondante (et inégalée en volume) des Américains. Les acteurs français -OVHCloud, Oodrive, Scaleway, Outscale...- n'avaient alors même pas été mentionnés par le gouvernement, un oubli de communication particulièrement mal vécu.
Le label "cloud de confiance" est-il utile aux Français ?
Dans les mois suivant ces annonces, Orange et Capgemni se sont alliés à Microsoft pour créer la coentreprise Bleu, et que Thalès s'est rapproché de Google pour un projet similaire de "cloud de confiance". Concrètement, ces structures européennes vont proposer la même technologie que leur parent américain mais elles seront hébergées et sécurisées en France. Pour l'instant, le détail des initiatives reste flou, et elles ne sont qu'à un état embryonnaire.
Du côté des Français, on espérait profiter de ce temps de flottement pour conquérir un marché sur la thématique de la souveraineté. "Pour faire un parallèle, nous construisons une voiture française, garée sur un parking français, que nous entretenons avec des garagistes français", développe Michel Paulin. Autrement dit, le label "cloud de confiance" ne vient qu'instaurer un référentiel dont les Français n'avaient pas besoin pour se démarquer. A défaut de profiter d'un favoritisme français, ils devront tenter de profiter des nouveaux leviers de financements pour ne pas se faire écraser par leurs concurrents.
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