Le Président aurait-il dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de s'exprimer ? Emmanuel Macron a déclaré, devant les 220 maires dont les communes ont été touchées par les émeutes, envisager de « réguler ou couper » l'accès aux réseaux sociaux à l'avenir dans des situations similaires. « Nous avons besoin d'avoir une réflexion sur l'usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes. [...] Sur les interdictions que l'on doit mettre. [...] Et quand les choses s'emballent, il faut peut-être se mettre en situation de les réguler ou de les couper », a ainsi affirmé le chef de l'Etat. Mais sa propre majorité le désavoue.
« Ce n'est pas une option qui est sur la table », rectifie le député Eric Bothorel, élu (Renaissance) des Côtes d'Armor, à La Tribune. Sur Twitter, ce spécialiste du numérique, qui avait été envisagé pour le poste de ministre du Numérique en 2022, s'était immédiatement insurgé de la proposition d'Emmanuel Macron, refusant d'abord de croire que l'information était correcte, puis estimant que couper les réseaux sociaux serait « une erreur ». Ce serait « renoncer à l'idée que la démocratie soit plus forte que les outils qu'on détourne contre elle », indique-t-il.
D'autres sources de La Tribune, à Bercy ou proches du pouvoir, rétropédalent également. « Macron a bien dit ça devant les maires, mais je peux vous certifier que ce n'est absolument pas envisagé », confirme un proche du pouvoir. Du côté de Bercy, on tente un délicat jeu d'équilibriste. « Le Président s'est réjouit de ne pas en être arrivé à ces mesures radicales et ce n'est pas quelque chose qu'on souhaite faire à l'avenir », répond le cabinet du ministre délégué à la Transition numérique, Jean-Noël Barrot.
Une mesure prisée des pays autoritaires
Si la proposition ne passe pas, c'est parce que couper l'accès aux réseaux sociaux est une mesure extrême que seuls des Etats autoritaires ont déjà mis en place par le passé, à l'image de la Chine lors des émeutes de Hong-Kong. L'accès à l'information est un droit fondamental. Brider cet accès est un outil de censure et de contrôle social, par ailleurs interdit par le droit international.
La France a même soutenu, en 2016, une résolution du Conseil des droits de l'homme qui « condamne sans équivoque les mesures qui visent à empêcher ou à perturber délibérément l'accès à l'information ou la diffusion d'informations en ligne, en violation du droit international des droits de l'homme, et invite tous les États à s'abstenir de telles pratiques et à les faire cesser ».
D'où le tollé provoqué par Emmanuel Macron dans l'opposition de gauche, mais aussi dans les rangs de la Macronie. « Je suis consterné par le choix des mots », déclare, sous couvert d'anonymat, un élu de la majorité présidentielle :
« C'est purement démagogique, voilà. C'est des choses qui participent à une surenchère sécuritaire et que l'extrême-droite pourrait dire, mais ça vient du Président... Envisager de bloquer l'accès à l'information, même dans un contexte exceptionnel et avec les meilleures intentions, ce n'est pas démocratique. Point final. Il ne faut pas aller sur ce terrain-là », soupire-t-il, visiblement agacé.
Une « expression malheureuse » de Macron ?
Embarrassée, la Macronie tente de relativiser les propos de son chef. « Le Président a dit qu'il ne faut rien exclure par principe, cela ne veut pas dire qu'il veut le faire », nuance un participant à la réunion des maires. « Il faut se laisser une porte ouverte si c'est trop compliqué pour les plateformes de modérer, mais ce n'est pas parce que c'est techniquement envisageable que c'est souhaitable », ajoute le cabinet de Jean-Noël Barrot.
De son côté, Eric Bothorel a joint l'Elysée ce mercredi matin pour obtenir des éclaircissements. « Il semblerait que l'expression ait été malheureuse. Dans la tête du Président il n'a jamais été question de bloquer les réseaux sociaux. On va s'en tenir au travail de Jean-Noël Barrot, dans le cadre de la loi Numérique, qui a proposé de créer un groupe transpartisan pour débattre des enjeux autour des suppressions de contenus », explique-t-il.
Pour le député, le mot « couper » faisait plutôt référence à la limitation de certaines fonctionnalités des réseaux sociaux pendant des émeutes. A l'image de la Snap Map, une carte interactive et en temps réel de l'activité sur Snapchat, qui a pu être utilisée par les émeutiers pour s'organiser. De plus, « même les pays autoritaires s'aperçoivent que couper l'accès aux réseaux sociaux est inefficace », poursuit-il. Et de prendre l'exemple de Hong-Kong, où des messageries alternatives nées de la révolte et fonctionnant uniquement avec le Wi-Fi, avaient réussi à contourner le contrôle chinois.
Quoi qu'il s'en soit, entre ces propos polémiques et la dénonciation d'un autre temps de l'influence des jeux vidéo sur les émeutes, les sorties populistes d'Emmanuel Macron sur l'aspect numérique des émeutes contrastent fortement avec l'expertise dont il fait habituellement preuve sur le sujet.
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