
L'abstention historique lors du premier tour des élections régionales et départementales du 20 juin dernier -deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés- aurait-elle pu être atténuée si le vote par Internet avait été mis en place ? Comme après chaque scrutin, le débat est relancé. "Je souhaite qu'on puisse mettre en place le vote par Internet dans le prochain quinquennat", a expliqué sur France Inter lundi matin Stanislas Guérini, le délégué général de La République en marche (LREM).
Une solution populaire qui résout beaucoup de problèmes... en théorie
L'idée du vote par Internet rencontre un fort écho parmi la population, si l'on en croit un sondage réalisé par Odoxa-Backbone consulting et publié jeudi par Le Figaro et franceinfo. D'après lui, 78% des Français sont favorables à la mise en place du vote par Internet, et l'approbation grimpe même à 80% parmi les abstentionnistes du premier tour. Parmi eux, 41% ont justifié leur abstention par le simple fait qu'ils étaient "indisponibles ce jour-là"... même s'ils pouvaient toujours anticiper en faisant une procuration.
Sur le papier, le vote par Internet apparaît comme une solution, voire une alternative solide au vote physique : c'est plus rapide -on peut voter en quelques minutes et éviter un déplacement au bureau de vote-, plus pratique -on peut voter n'importe où-, et cela correspondrait à l'évolution des usages, avec la numérisation de nombreuses activités du quotidien. Bonus : le vote par internet est déjà autorisé par la France dans certains cas, notamment pour les élections professionnelles, les assemblées générales des copropriétés, ou encore les élections des représentants consulaires à l'étranger, qui se sont tenues en mai dernier.
Une fausse bonne idée ?
Sauf que dans les faits, le vote par internet a tout de la fausse bonne idée. Comme l'a souligné la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), les élections politiques présentent un "niveau de risque maximal puisqu'elles répondent à des enjeux de société et font intervenir un nombre important d'électeurs, dans un climat potentiellement conflictuel", rappelle l'organisation.
La CNIL estime que pour être possible, le vote par Internet doit remplir cinq conditions : la plateforme mise en place doit "être en mesure de contrer les cyberattaques", "s'assurer de l'identité et du consentement des électeurs", "garantir l'accessibilité du dispositif", "prendre acte de l'absence de rituel républicain" et "assurer la transparence des résultats". Des conditions qui, aujourd'hui, ne sont pas réunies, d'après un rapport parlementaire du Sénat publié vendredi 25 juin.
Le risque cyber aujourd'hui trop important
Le premier risque, celui du piratage de la plateforme et des cyberattaques, est aujourd'hui trop important pour garantir la confiance dans le scrutin en ligne, estime la commission sénatoriale.
"La menace est double : des hackers peuvent altérer le système de vote, remettant ainsi en cause l'intégrité du scrutin, et une puissance hostile peut prétendre avoir modifié les résultats, même en l'absence d'attaque informatique. Alimentée par des théories conspirationnistes, cette manipulation de l'information peut suffire à discréditer l'ensemble des opérations de vote", mettent en garde les sénateurs.
Parmi les altérations possibles au vote figurent les attaques par déni de service distribué (DDoS), qui consistent à multiplier les connexions simultanées au serveur pour le saturer et le faire crasher. Et surtout l'introduction de "chevaux de Troie" dans le système, qui pourraient par exemple modifier le vote ou voler des données personnelles, ce qui viendrait compromettre l'anonymat du scrutin, qui est pourtant l'une des conditions indispensables d'un vote démocratique.
Sans même craindre les cyberattaques, la plateforme de vote en ligne peut également rencontrer des difficultés techniques, comme ce fut le cas lors des élections consulaires de 2014, où "le dispositif est resté inaccessible pendant près de deux heures, en raison d'un pic de connexions dans les dernières heures du scrutin", rappelle la mission parlementaire. Qui conclut que le vote par Internet n'est aujourd'hui souhaitable que pour des circonscriptions de petite taille, et non pas des scrutins nationaux, qui nécessitent un niveau de sécurité que l'Etat n'est pas capable de fournir.
La sincérité et l'intégrité du scrutin impossibles à garantir
Pour pouvoir être proposé aux Français, le vote par Internet doit garantir avec certitude l'identité de l'électeur et l'absence de pressions extérieures. "Ce n'est pas encore le cas en l'état des technologies", tranche la mission sénatoriale, en partie car l'identité numérique actuelle n'est pas assez robuste.
Effectivement, le dispositif FranceConnect, aujourd'hui utilisé par 19 millions de Français pour effectuer leurs démarches administratives, ne répond pas à l'exigence de sécurité nécessaire au sens du règlement européen « eIDAS ».
Surtout, la confiance et l'anonymat sont plus difficiles à garantir avec le vote par internet. "L'avantage du vote papier est qu'on peut s'assurer que le vote est secret, et le citoyen peut avoir confiance dans le fait que son bulletin est correctement comptabilisé une seule fois", explique l'auteur, entrepreneur et spécialiste des technologies Tristan Nitot dans un billet de blog. Or, avec le vote électronique, "on ne peut pas s'assurer que c'est bien la bonne personne qui vote" malgré la double vérification avec un SMS, ajoute-t-il. De la même manière, impossible de s'assurer que la personne qui vote derrière son smartphone ne subit pas de pression dans un sens ou dans un autre. Impossible également de s'assurer que le terminal n'a pas été piraté, que le vote a été pris en compte, qu'il n'a pas été modifié, ou qu'un logiciel-espion relie le vote à la personne." "Bref, c'est possible de voter à distance de façon électronique, mais on perd beaucoup en confiance et en secret", conclue-t-il.
Une fausse solution contre l'abstention ?
Enfin, le vote par internet résoudrait-il le problème de l'abstention ? Rien n'est moins sûr, sauf pour être pour ceux qui ne vont pas voter par oisiveté. Pour les non-valides ou les absents, faire une procuration reste possible. De plus, les études montrent que les principales raisons de l'abstention sont plutôt à chercher du côté du désintérêt pour le scrutin et la politique en général. D'après le sondage Odoxa/Backbone consulting pour Le Figaro et franceinfo, 60% des Français interrogés (votants et non-votants) estiment ainsi que "les partis politiques et les candidats, qui n'ont pas su intéresser les électeurs à ces élections" sont les principaux responsables du niveau record d'abstention lors du premier tour des régionales et départementales.
"Le vote en ligne ne réduira pas la distance prise par nos concitoyens avec la parole publique. En démocratie, c'est l'isoloir qui met à l'abris l'électeur des groupes de pressions, qu'ils soient familiaux, amicaux, extérieurs, pas le smartphone" déclare Jean-Michel Mis, député LREM. "Prendre une heure pour aller voter est une chance. Voter n'est pas liker", ajoute le député LREM Eric Bothorel, pour qui voter est un devoir civique qui implique un effort de la part des citoyens.
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