Assurance pandémie : pourquoi les premières pistes ne font pas l’unanimité

La Fédération française de l'assurance (FFA) a dévoilé les contours du futur régime d'assurance pandémique, qui s'étend aux catastrophes exceptionnelles. Les premières pistes évoquées ne font pas consensus alors que les assureurs font face à un véritable casse-tête.
Juliette Raynal
Dès le mois d'avril, Bercy a lancé un groupe de travail pour mettre sur pied un système d'assurance activable en cas d'événements exceptionnels afin de mieux couvrir les pertes d'exploitation des petites entreprises.
Dès le mois d'avril, Bercy a lancé un groupe de travail pour mettre sur pied un système d'assurance activable en cas d'événements exceptionnels afin de mieux couvrir les pertes d'exploitation des petites entreprises. (Crédits : Benoit Tessier)

L'épidémie de coronavirus et les mesures de confinement prises par le gouvernement ont révélé les limites de notre système d'assurance. Tout au long de la crise, les assureurs ont fait l'objet de vives critiques pour leur refus de prendre en charge les pertes d'exploitation des entreprises (qui se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards d'euros), notamment celles des petites entreprises du secteur de la restauration et de l'hôtellerie, dont la baisse d'activité a été vertigineuse. Ce conflit a même donné lieu à plusieurs actions en justice, en régions parisienne, girondine et lyonnaise, visant notamment le poids lourd français Axa.

Lire aussi : Coronavirus : ce qu'il faut retenir de la condamnation d'Axa France

Pour qu'une telle situation ne se reproduise pas, des groupes de travail ont rapidement été mis en place en concertation avec le Trésor pour dessiner un nouveau régime pandémique, mêlant acteurs privés et publics, à l'image du régime d'assurance des catastrophes naturelles. Un exercice périlleux tant les défis sont nombreux.

Un exercice périlleux

Premier obstacle de taille : le caractère systémique d'une pandémie.

"Les techniques classiques d'assurance et de réassurance ne permettent pas de répondre à ces besoins d'indemnisation car ce risque de fermeture lié à une épidémie est potentiellement systémique : il peut toucher toutes les entreprises au même moment. Or le principe de base de l'assurance, c'est la mutualisation des risques. Les personnes [individuelles ou morales, ndlr] qui ne sont pas touchées payent pour celles qui sont sinistrées. Lorsqu'une masse trop importante de personnes est touchée, ce principe de mutualisation ne fonctionne pas", expose Stéphane Penet, délégué général adjoint de la FFA.

Dans une tribune publiée le 2 avril, Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA), rappelait ainsi que : "L'assurance n'intervient jamais en cas d'épidémie, de révolution ou de guerre car les conséquences de tels événements sont tout simplement hors de portée""Deux mois de confinement, cela représente tous les fonds propres des assureurs", abonde Philippe Trainar, ancien directeur des risques chez Scor et actuellement professeur titulaire de la chaire d'assurance du Cnam.

Un risque très volatile

Deuxième limite importante : les difficultés de modélisation d'un tel risque. "Les assureurs peuvent s'engager à couvrir un risque uniquement s'ils ont une connaissance relativement bonne des fréquences et des conséquences de ce risque. Or, nous avons très peu de données statistiques. Par ailleurs, il s'agit d'un risque très volatile, c'est-à-dire peu fréquent mais dont les montants des sinistres sont très importants", détaille Stéphane Penet.

"La grande nouveauté c'est le confinement général. Pour reconstruire des chocs pandémiques, nous avions pour référence la grippe espagnole de 1918. Cela nous permettait de modéliser le nombre de morts et, sur cette base, les conséquences macro-économiques de la pandémie. Ce que nous n'avions pas pris en compte c'est la possibilité d'un confinement général. Avec celui-ci, nous avons réalisé que le coût de la vie humaine était placé à un niveau beaucoup plus élevé par les autorités que nous ne le pensions", reconnaît Philippe Trainar. "Cela constitue un enseignement important pour la modélisation de ce risque", poursuit-il.

Outres ces deux difficultés majeures, l'exercice soulève de nombreuses autres questions quant à la nature des risques couverts, la catégorie d'entreprises pouvant bénéficier de cette couverture, son financement ou encore son caractère obligatoire. Malgré ces obstacles, la FFA a rendu publics, dès la semaine dernière, les contours d'un nouveau régime baptisé CATEX pour "catastrophes exceptionnelles".

Un régime limité aux petites entreprises

Celui-ci reposerait sur un partenariat public-privé, à mi-chemin entre le régime des catastrophes naturelles et la couverture des risques attentats (Gareat). Il consisterait à verser une aide forfaitisée, baptisée "capital résilience" et sans expertise préalable, pour permettre aux entreprises assurées de faire face rapidement aux cessations ou diminutions significatives d'activité. "ll pourrait être déclenché à la suite d'une déclaration par l'Etat de fermeture administrative touchant un ensemble d'entreprises pour une durée déterminée et sur une zone géographique donnée", explique le lobbying des assureurs.

Seules les entreprises de moins de 250 salariés et les indépendants pourraient être éligibles à ce dispositif. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) pourraient y être incluses ultérieurement tandis que les grandes entreprises y sont écartées. Impossible de traiter un restaurant de quartier de la même façon qu'une société comme Air France, qui n'a pas les mêmes besoins, expliquent les assureurs.

L'universalité du dispositif discutée

Le dispositif pourrait être intégré soit dans les contrats comportant une garantie « Incendie », soit dans les contrats comportant une garantie « Pertes d'exploitation », moyennant une surcotisation des assurés de l'ordre de 12% environ, comme c'est le cas pour le régime des catastrophes naturelles. Enfin, les assureurs et réassureurs expliquent s'engager à hauteur de 2 milliards d'euros de capacité annuelle d'indemnisation, au-delà de laquelle l'Etat prendrait le relais.

Premier enseignement de ce projet : le futur dispositif imaginé par les assureurs ne se limiterait pas aux seules pandémies mais s'appliquerait aussi à la suite d'un attentat terroriste, d'émeutes ou d'une catastrophe naturelle. "Ce n'est pas le risque d'une prochaine crise covid que nous voulons couvrir, mais la décision des pouvoirs publics de fermer les entreprises. Cette décision aurait pu être prise dans d'autres cas, comme par exemple, l'existence d'une menace terroriste forte sur la France poussant l'Etat à obliger les particuliers à rester chez eux et aux entreprises de fermer", explique Stéphane Penet. La FFA plaide ainsi pour un périmètre relativement large du dispositif, et non uniquement centré sur la pandémie, pour ne pas passer à côté d'autres événements qui pourraient conduire à la fermeture des entreprises.

Un raisonnement que réfute Philippe Trainar : "Il n'est pas possible de couvrir tous les risques 'catastrophiques' de la même façon car ces risques sont tous très différents les uns des autres. Un attentat terroriste est également difficile à assurer, mais pas pour les mêmes raisons que la pandémie. Les mesures de prévention à prendre pour éviter ce risque sont différentes. Ce raisonnement suppose que l'expérience de l'épidémie de Covid-19 est valable pour tous les autres événements 'catastrophiques', ce qui est erroné", regrette-t-il.

Une garantie trop coûteuse ?

Autre point de désaccord : la notion de "capital résilience" et le coût de financement de cette nouvelle garantie.  Les TPE et PME craignent en effet d'avoir à payer cher pour un dispositif qui ne collerait pas forcément à leurs besoins. Certaines organisations professionnelles redoutent que la liste des périls couverts soit trop restrictive quand d'autres s'interrogent sur la pertinence de cotiser pour des risques qui ont peu de chance de survenir et plaident donc pour une souscription facultative.

Pour Philippe Trainar, ce dispositif doit, au contraire, être rendu obligatoire.

"Une entreprise qui peut travailler à distance et qui est donc peu exposée aux pertes d'exploitation liées au confinement ne verra pas l'intérêt de souscrire à une telle garantie. Seules les entreprises directement exposées prendront cette assurance, ce qui en gonflera automatiquement le prix", prévient-il.

Quid de la prévention ?

Plus largement, l'ancien directeur des risques de Scor s'interroge sur les failles en matière de gestion de la prévention du risque que pourrait induire un tel dispositif étatique, en n'incitant pas, ou peu, les acteurs à se prémunir contre les conséquences économiques d'un confinement, comme, par exemple, la mise en place d'une politique d'enseignement à distance pour une entreprise d'éducation privée. "Le risque avec un système étatique, c'est de penser la gestion du risque principalement comme un transfert d'argent, alors qu'être assureur c'est d'abord penser la gestion du risque elle-même", rappelle-t-il.

Le projet dévoilé par la FFA n'est toutefois pas gravé dans le marbre, sa présidente le présente d'ailleurs comme une boîte à outils, et le Trésor doit encore étudier d'autres propositions de régime assurantiel avant de rendre ses conclusions au ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Les travaux de réflexions devraient rester soutenus au cours des prochaines semaines, Bercy souhaitant aboutir à un projet d'ici la fin de l'année. Pourquoi une telle urgence ? "Il faut battre le fer tant qu'il est encore chaud. C'est en tirant des expériences de ce type qu'il est possible de progresser. Il faut profiter de ce moment pour avancer", répond Stéphane Penet, alors que d'autres pays dans le monde, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mènent des réflexions similaires.

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 17/06/2020 à 11:35
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l information confisquée par la politique du nouveau monde ne rassure pas ! ignore t il la pureté de la vérité attendue par les français

à écrit le 17/06/2020 à 9:58
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Coronavirus : les levées de dette des Etats européens ont déjà rapporté 500 millions aux banques ! 500 millions ! Une opération renflouement des banquiers en catimini...

à écrit le 16/06/2020 à 20:04
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vous voyez les assureurs prendre ce risque pour couler après .l assurance assure ce qui est faible en risque commun . a moins de faire comme les catastrophes naturelles et le mettre au contrat principal par obligation je ne vois pas les particuliers...

à écrit le 16/06/2020 à 16:48
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ce risque est inassurable ca va se transformer en cotisation obligatoire qui servira au passage a remplir les caisses de l'etat dispendieux, en attendant la solution, c'est les fonds propres, il se trouve que les entreprises francaises sont parmi l...

à écrit le 16/06/2020 à 16:29
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Parce que les riches ont des oursins dans leurs paradis fiscaux ?

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