Armement : les trois coopérations cruciales entre la France et la Grande-Bretagne

En dépit d'un axe franco-germanique, Paris poursuit des coopérations essentielles avec Londres, notamment dans le nucléaire et les missiles de croisière. Des programmes qui restent toutefois à confirmer et lancer. L'année 2021 sera déterminante.
Michel Cabirol
Le projet Teutatès concerne le développement et l'emploi des armes nucléaires françaises et britanniques dans le cadre d'une coopération nucléaire entre la France et la Grande-Bretagne.
Le projet Teutatès concerne le développement et l'emploi des armes nucléaires françaises et britanniques dans le cadre d'une coopération nucléaire entre la France et la Grande-Bretagne. (Crédits : Marine nationale)

Les accords franco-britanniques de Lancaster House ont fêté lundi leurs dix ans. Ils sont essentiels pour arrimer la Grande-Bretagne à l'Europe dans le domaine de la défense tant au niveau opérationnel et capacitaire et éviter qu'elle ne choisisse de façon encore plus complète les Etats-Unis. Surtout Londres et Paris se sont lancés il y a plusieurs années dans des programmes cruciaux pour leur autonomie stratégique et leur souveraineté : projet Teutatès (nucléaire) et le programme du futur missile antinavire-futur missile de croisière (FMAN-FMC). Certains de ces programmes restent pourtant encore en suspens, notamment FMAN-FMC, malgré quelques garanties données de la part des Britanniques. Cette nouvelle génération de missiles doit remplacer à l'horizon 2030 les missiles de croisière SCALP et Storm Shadow et les missiles antinavires Exocet et Harpoon.

Le programme FNAM-FMC reste sous la menace budgétaire et de choix technologiques de la part de Paris et de Londres, qui pourrait par ailleurs opter pour une solution américaine s'agissant de son futur missile antinavire. La Grande-Bretagne semble aujourd'hui étranglée sur le plan budgétaire par la crise sanitaire liée à la Covid-19, par le Brexit ainsi que par les achats dispendieux d'équipements militaires américains, dont les avions de combat F-35. Ce programme de missiles essentiel pour MBDA ne doit pas suivre l'échec cuisant du drone armé FCAS abandonné par les Britanniques. Ce qui donne toujours l'impression d'être sur une corde raide en matière de coopération aussi bien avec les Britanniques qu'avec d'autres.

Développer d'armes nucléaires françaises et britanniques

Le projet Teutatès est né d'un "double objectif : garder les Britanniques dans le « grand jeu », pour les Français, et assurer la soutenabilité financière de la dissuasion, pour les Britanniques", résume le député LR Charles de la Verpillière, co-rapporteur avec le député LREM Jacques Marilossian d'un rapport pour information sur le bilan des accords de Lancaster House. Ce projet concerne le développement et l'emploi des armes nucléaires françaises et britanniques dans le cadre d'une coopération nucléaire. Les deux pays se sont engagés à construire un centre commun de simulation nucléaire en France et de recherche nucléaire au Royaume-Uni.

Le projet consiste à construire et exploiter en commun les installations de simulation nécessaires à la fiabilisation des armes nucléaires, les essais étant désormais interdits par le Traité d'interdiction des essais nucléaires (TICE). "Ce développement en commun permet d'avoir des installations plus performantes", assure Charles de la Verpillière. Ainsi, à Valduc, en Côte-d'Or, le centre d'essai comprendra trois axes radiographiques pour observer et modéliser le comportement des amorces des missiles nucléaires, offrant un niveau de précision inégalé. Chaque nation reste souveraine dans ses expériences. Les matériaux testés sont assemblés dans des locaux réservés à l'une ou l'autre nation et leurs appareils de mesure sont, eux aussi, séparés.

Selon Charles de la Verpillière, la direction des applications militaires du Commissariat à l'énergie atomique (CEA/DAM) est particulièrement satisfaite des phases 1 et 2 du programme. Les deux machines radiographiques apportées par les Britanniques ont été qualifiées à Aldermaston et devraient être installées en 2022 à Valduc. Le projet Epure entrera ensuite dans une phase exclusivement expérimentale, les deux pays partageant les coûts d'exploitation du centre d'essai (45 millions d'euros par an).

"Cette coopération est donc satisfaisante au moins à trois égards, explique le député LR. D'une part, elle a permis de confirmer la viabilité de la dissuasion britannique, contribuant ainsi à un équilibre politique et diplomatique entre les puissances occidentales et dans le monde. Ensuite, le CEA/DAM estime à 450 millions d'euros les économies réalisées sur cinquante ans, autant de crédits qui peuvent être réaffectés à d'autres priorités. Enfin, cette coopération a poussé les deux grandes puissances militaires européennes à s'engager l'une envers l'autre pour un demi-siècle".

Des missiles pour garder une autonomie stratégique

Le programme FMAN/FMC est essentiel, au regard des besoins capacitaires des deux pays, pour conserver leur capacité opérationnelle à entrer en premier sur un théâtre d'opérations. "L'enjeu est la modernisation de notre capacité de frappe dans la profondeur", a rappelé le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace, le général Philippe Lavigne lors de son audition à l'Assemblée nationale. Les missiles Scalp ont par exemple servi lors de l'opération Hamilton en 2018. La phase d'étude de concept lancée en 2017 vient de se terminer.

Selon le Délégué général pour l'armement (DGA), Joël Barre, auditionné le 15 octobre à l'Assemblée nationale, "la phase de conception doit démarrer au début de l'année prochaine". Il a toutefois laissé entendre que le programme "n'est pas simple, on doit encore y travailler". Clairement, les différents concepts d'emploi français et britannique laissent entrevoir une solution à deux missiles (croisière et antinavire), qui serait satisfaisante pour les états-majors mais pourrait remettre en cause les économies d'échelle escomptées par les deux pays.

Ainsi, dans la phase d'étude, deux concepts ont été retenus par les deux pays : un concept subsonique furtif pour remplir le besoin de missile de croisière longue portée aéroporté pour les armées françaises et britanniques. Ce missile intéresse également la marine britannique pour être tiré depuis leur bâtiment de surface T26 pour des missions antinavire et de croisière ; un concept supersonique pour remplir les besoins de missile antinavire tiré depuis des bâtiments de surface et aéroporté pour la France. Ce concept permettrait également de traiter les missions SEAD (Suppression Ennemy Air Defence). "Nous mènerons en 2021 une évaluation conjointe pour définir si nous choisirons un modèle subsonique et furtif ou un autre modèle", a expliqué le général Philippe lavigne.

"Afin de ne pas faire face à une rupture capacitaire, l'armée de l'air et de l'espace souhaite disposer des premiers FMC en 2030, date à laquelle les SCALP rénovés seront retirés du service", a-t-il rappelé

La guerre des mines n'est pas terminée

Dernier programme franco-britannique crucial, la lutte anti-mines sous-marines avec le programme de système de lutte anti-mines du futur (SLAMF) ou MMCM (Maritime Mine Countermeasures), en anglais. Car la lutte contre les mines marines participe également à la dissuasion nucléaire française en sécurisant le goulet de Brest quand un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) quitte discrètement la base de l'Ile Longue. Ce projet de drones de surface et sous-marins, qui associent également des sonars, termine actuellement sa phase de développement et de qualification, qui avait été lancée en 2015. Un ensemble comprenant un drone de surface et un sonar de Thales devrait bientôt entrer en production.

"S'agissant du drone sous-marin censé détecter les mines à plus grande profondeur, la proposition d'ECA Group n'a pas convaincu", confie Charles de la Verpillière. La direction générale de l'armement a proposé aux Britanniques de continuer à travailler sur ce deuxième drone, sans réponse positive jusqu'à présent. Toutefois, le programme entrera bientôt, dans son nouveau périmètre, en production pour une livraison prévue en 2022. Toutefois, la question du véhicule sous-marin télécommandé pour poser des charges sur les mines reste ouverte. Les Britanniques ont lancé un appel au marché, auquel ECA Group a répondu avec un modèle plus récent de drone sous-marin incluant un sonar, dont la conception est financée par les Belges et les Néerlandais dans le cadre d'un contrat commun... gagné par Naval Group et ECA Group. La DGA a indiqué aux co-rapporteurs que la reprise d'une phase de conception et développement a été proposée aux Britanniques, le produit d'ECA Group n'étant pas compatible avec le sonar de Thales. Un joli sac de noeuds.

Michel Cabirol

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Commentaires 7
à écrit le 14/11/2020 à 8:14
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construire le nouvelle avion et le nouveau char avec les anglais oui l'allemagne non puisque l'allemagne ne veut pas du soutien de la france elle prefere l'oncle sam

à écrit le 05/11/2020 à 19:02
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Et la collaboration Franco-Britannique dans les Porte-avions ?? Grandissime succés ! J'ai visité la Queen-Elizabeth en construction à Rosyth. Grand merci des centaines de millions d'€uros donnés par la France pour ce projet !

à écrit le 04/11/2020 à 8:58
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Pendant ce temps nos partenaires Allemands vendent 6 sous marins 214T à ... la Turquie... Une folie dans le contexte actuel..

à écrit le 04/11/2020 à 8:27
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L'axe franco germanique est grotesque, les financiers font rentrer des ronds dans des carrés à coups de marteau, avec le RU qui elle possède une véritable armée et l'expérience qui va avec c'est bien plus sérieux mais bon en UE c'est la dictature de ...

à écrit le 04/11/2020 à 7:04
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La decision finale sera prise en fonction des resulta US. Boris sait naviguer en milieu hostile, comme tout bon navigateur en Albion, ce qui est un pleonasme pour un anglais. Paris dans l'esprit d'un Brit est et restera une variable, rien d'autre...

à écrit le 03/11/2020 à 20:31
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Parez à covider ! CHez nous les gars d'la narine, on a pas, etcetera, etceteri ! Pas d'radis, pas de paradis, pas d'oseille vraiment pas d'merveille !

à écrit le 03/11/2020 à 15:17
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En parallèle militaire, on peut y ajouter le corps expéditionnaire franco-britannique de 10 000 hommes projetables sur cours préavis, tamponné aussi "Lancaster House"

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