Pourquoi l'Arabie saoudite s'est rapprochée de la Russie (3/3)

Le rapprochement de l'Arabie Saoudite et de la Russie rebat les cartes dans la région du Golfe. ET au-delà...
Michel Cabirol
La visite en Russie du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud en octobre dernier est historique. L'Arabie Saoudite a acheté le système russe de défense antiaérienne S-400.

Quand le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud a foulé début octobre pour la première fois le sol russe, malgré un petit problème technique d'escalator à la sortie de l'avion, l'Arabie Saoudite a lancé un signal très fort à l'ensemble du monde, et notamment aux États-Unis. Car la visite en Russie du roi d'Arabie Saoudite est historique à plus d'un titre. Ainsi, si l'Union soviétique avait été le premier État à reconnaître l'Arabie saoudite en 1926, aucun dirigeant saoudien ne s'était encore rendu en URSS, puis en Russie. Au-delà, les deux pays entretenaient des relations conflictuelles ces dernières années, ils se sont notamment opposés sur la Syrie comme sur le conflit au Yémen. Moscou, qui soutient le régime de Bachar al-Assad et Ryad, l'opposition, font partie des principaux acteurs du conflit en Syrie.

Vladimir Poutine et le roi Salmane d'Arabie saoudite, allié traditionnel de Washington, ont donc scellé leur rapprochement en signant d'importants accords militaires et énergétiques à l'occasion de cette première visite d'un souverain saoudien en Russie. Ryad a signé avec la Russie un accord préliminaire ouvrant la voie à l'achat du redoutable système russe de défense antiaérienne S-400 ainsi qu'à leur production dans le royaume saoudien, qui a également commandé le système missile antimissile américain THAAD. D'ailleurs, certains observateurs restent sceptiques et estiment que les Saoudiens ne concrétiseront pas ce contrat sous la pression de Washington. L'accord russo-saoudien prévoit également l'achat de systèmes antichars Kornet-EM, de lance-roquettes TOS-1A, de lance-grenades AGS-30 et de fusils d'assaut Kalachnikov AK-103. Ces ventes s'accompagnent de transfert de technologie pour les Kornet-EM, TOS-1A et AGS-30.

Ces accords "permettent d'élever le partenariat russo-saoudien à un niveau inédit", avait alors estimé le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, à l'issue de ces négociations.

Pourquoi un tel rapprochement de la part de Ryad

Ces achats de la part de Ryad, à condition qu'ils soient confirmés - ce dont doutent des observateurs interrogés par La Tribune -, poursuivent deux objectifs bien précis. D'abord contenir le bloc Iran-Irak-Syrie-Hezbollah, dont l'allié traditionnel est la Russie. Si Ryad est parvenu la conclusion qu'elle ne pourra jamais diviser cette alliance, elle a obtenu via la Russie un canal de communication dont elle compte se servir en cas de tensions fortes (Yémen notamment, Bahreïn). Pour l'Arabie Saoudite, "ce canal valait, semble-t-il, quelques milliards...", estime un observateur.

Le rapprochement entre Moscou et Ryad a été favorisé par leur rôle moteur dans l'accord entre grands producteurs de pétrole permettant d'enrayer l'effondrement des prix, qui a frappé de plein fouet leurs économies. L'Arabie Saoudite a atteint son deuxième objectif, celui d'harmoniser la politique pétrolière mondiale... même si les États-Unis ont continué par ailleurs à augmenter leur production d'or noir et leurs exportations se sont envolées. Si l'Arabie maîtrise la stratégie de production et de prix de l'OPEP, elle n'avait en revanche aucune influence sur celle des autres pays producteurs de pétrole, alliés de la Russie (Iran, Venezuela, Algérie notamment).

"Nous aspirons à poursuivre la coopération positive entre nos pays en vue de stabiliser les marchés pétroliers mondiaux", avait assuré le roi Salmane, lors des pourparlers avec Vladimir Poutine.

Dans l'optique d'une remontée des cours (et donc d'une réduction de la production), nécessaire à la mise en place du programme Vision 2030, Ryad n'avait pas d'autre choix là aussi que d'ouvrir un canal de communication avec Moscou. Pari réussi puisque l'Opep et ses dix partenaires, dont la Russie, ont décidé fin novembre de prolonger leurs quotas de production de pétrole jusqu'à fin 2018 pour stabiliser le redressement des prix.

Un accord qui va peut-être rebattre les cartes?

Côté russe, ce rapprochement a déjà eu le mérite d'ébranler quelques institutions comme l'OTAN, son très vieil ennemi déjà déstabilisé par l'alliance inédite conclue entre Moscou et Ankara. L'OTAN va-t-elle insister dans ses projets d'extension dans le Golfe? Au sein de l'OPEP, les cartes sont rebattues avec une alliance entre le leader de l'OPEP et la Russie pour tendre à un condominium pétrolier mondial. L'occasion était trop belle pour la Russie pour ne pas en profiter. "Faisant d'une pierre trois coups, Moscou en profite également pour annihiler la diplomatie religieuse saoudienne dans ses régions sensibles (Tchétchénie, Daghestan)", estime cet observateur.

Surtout, la Russie s'infiltre progressivement au cœur des bastions américains de la région (EAU, Turquie, Arabie) tout en continuant à soutenir ses alliés traditionnels (Syrie, Iran, Irak et Égypte). Au demeurant, les pays du Golfe et du Proche-Orient s'affichent de plus en plus ouvertement avec la Russie. Les récents projets ou contrats d'armement dans la région (Émirats Arabes Unis, Koweït, Égypte...) avec la Russie le démontrent. Fidèle dans ses alliances, la Russie sait également mener des offensives diplomatiques à front renversé. Ainsi le rapprochement russo-saoudien symbolise le rôle croissant joué par Moscou au Proche-Orient.

Michel Cabirol

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Commentaires 18
à écrit le 09/12/2017 à 19:16
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La diversification des systèmes d"arme garantie une capacité de toujours pouvoir un accèe au pièce de rechange....ensuite la Russie est un lieder mondial sur les systeme dè defense anti aériens.... Maintenant la question est de savoir quel est la pol...

à écrit le 08/12/2017 à 16:38
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a la lecture de ses commentaires sous pretecte de gepolitique du aux changement de dirigent politique , de gros contrats d armement se font , et la france y joue aussi a ce jeux dangereux, j ai l imprestion que derriere tous cela se cache une volont...

à écrit le 06/12/2017 à 20:13
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Les monarchies du golfe sont aux aboies...Après tout qui sème le vent récolte la tempête . La donne a changé , les Us ont fait une croix sur le moyen Orient laissant la place a la Russie ce qui explique beaucoup de choses et notamment le désarroi de...

à écrit le 06/12/2017 à 19:02
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Le montant de ces achats n’a pas été dit .Il faut se rappeller que Trump a signé cette année pour 300 milliards de contrats d’armement avec les saoudiens .Faut pas oublier non plus les énormes placements financiers saoudiens qui detiennent une bonne ...

le 07/12/2017 à 1:42
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Personne de sérieux ne peut croire les allégations russes selon lesquelles leur coût d'extraction est de 2 USD/bbl... C'est tout simplement impossible vu les conditions géologiques et physiques, et si ça avait été le cas, leur économie serait en bien...

à écrit le 06/12/2017 à 18:00
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C'est surtout qu'il y a un très lourd contentieux entre les américains et les saoudiens sur la responsabilité de ces derniers dans les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Les autorités saoudiennes sont très irritées et mécontentes contre la...

à écrit le 06/12/2017 à 12:51
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L'Arabie Saoudite ne peut pas se fâcher " à mort" avec le monde arabe. Il lui faut un médiateur, la Russie est toute désignée pour assumer ce rôle, d'autant que la place est vacante, laissée par l' Amérique de Trump dont la politique étrangère est.....

le 06/12/2017 à 19:13
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Vous pensez réellement que les USA veulent mettre à feu et à sang le Proche Orient ? Si ça advenait avec les groupes terroristes en embuscade toujours promptes à se developper sur le chao ,alors les USA serraient obligés d’aller sur le terrain ,mais ...

le 08/12/2017 à 18:55
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Votre raisonnement se tient, mais Trump a prouvé qu'il est incapable d'aligner deux pensées cohérentes. Il est donc vain de spéculer sur son attitude et sur la politique extérieure US. Trump est sujet à des foucades, des entichements, des coups d...

à écrit le 06/12/2017 à 11:12
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La diplomatie américaine a ses limites, puisque les USA sont testés régulièrement par la Russie et la Chine et semblent pris aux dépourvu. Donald Trump aboie contre la Corée du Nord mais ne fait rien, il remet en cause le parapluie de l'OTAN en europ...

le 06/12/2017 à 19:23
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Ce que vous dites est faux .Trump a dit clairement qu’il n’était pas normal que les USA paient 70 % des depenses de l’Otan ,c’est organisme étant sensé defendre l’Europe .De plus si le parapluie nucléaire américains s’en va ,qui prendra le relais en ...

le 06/12/2017 à 23:02
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La vérité c'est que le parapluie américain coûte plus cher à l'Europe que si elle se prenait en charge, l'OTAN est le cheval de Troie américain pour faire du chantage sur certains pays et rafler des contrats publics, la quasi-totalité des contrats d'...

à écrit le 06/12/2017 à 9:19
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Visiblement on apprécies bien plus la stabilité, que le chaos engendrer pas les US et l'OTAN sous prétexte de "guerre au terrorisme"!

à écrit le 06/12/2017 à 8:21
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La Russie a démontrée avec la Syrie qu'elle soutenait fidèlement ses alliés, quelle respectait sa parole. Contrairement à la coalition de l'axe du bien avec l'Irak, la Libye et sans doute bien d'autres...

le 06/12/2017 à 14:36
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@Dingo: La Russie n'a presque pas aidé Al Assad jusqu'à fin 2015 quand ses forces étaient au bout de collapse. Avant cela la Russie a diminué considérablement la présence (historique) des conseillers militairesn(d'où beaucoup d'actions stupides des f...

le 06/12/2017 à 20:10
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Tu reproche à la Russie de ne pas avoir fait preuve d'ingérence en Syrie ? Quand le régime Syrien a-t-il demandé l'aide de la Russie ? Je crois que c'est quand l'occident a décidé unilatéralement d'éliminer Assad de l'échiquier politique du moyen ori...

le 07/12/2017 à 0:25
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@Dingo : Non, je reproche l'absence de bon sens et qu'elle est toujours prête de vendre et trahir tous.

à écrit le 06/12/2017 à 7:50
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Tout ce cirque va se terminer par un joli feu d'artifice. Ce va etre explosif. La mediation de macron, plouf, a l'eau.

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