Fermeture de l'A13 : qui va payer la facture de l'entretien des routes et des ponts ?

Le sens province-Paris de l'A13 entre le boulevard périphérique parisien et l'A86 doit rouvrir progressivement à partir d'aujourd'hui. La fissure sur le secteur de Saint-Cloud a eu le mérite de remettre sur la table la question de l'état du réseau français. D'autant que depuis le 1er janvier, l'Etat a confié à quelques grands élus locaux des kilomètres d'autoroutes non-concédées et de routes nationales. Sauf que la facture des travaux s'envole dans certaines régions, comme le Grand-Est et que tout ne se passe pas comme prévu du côté des départements. Sans parler du montant des dépenses pour maintenir ces infrastructures au quotidien à l'heure du dérèglement climatique. Décryptage.
Opération d'entretien de la chaussée rue de Clichy à Paris. (Photo d'illustration).
Opération d'entretien de la chaussée rue de Clichy à Paris. (Photo d'illustration). (Crédits : AS pour La Tribune)

Enfin une amélioration. Fermée depuis le 18 avril pour des raisons de sécurité à la suite de la découverte d'une fissure transversale sur le secteur de Saint-Cloud, la portion de l'A13 - autoroute gratuite - entre le boulevard périphérique parisien et l'A86 doit rouvrir progressivement ce vendredi dans le sens province-Paris, mais uniquement pour les véhicules légers.

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A contrario, pour le sens Paris-province, « une perspective de réouverture à la circulation est envisagée à la fin du mois de juin », a indiqué le 7 mai, la préfecture des Hauts-de-Seine.

Si cet événement « n'est pas lié à un défaut d'entretien du réseau routier », selon le cabinet du ministre des Transports Patrice Vergriete, il pose néanmoins la question de l'état du réseau français

Dans quel état est le réseau français ?

Pour rappel, en 2021, la France comptait 1,105.094 million de kilomètres de routes : 704.942 km de routes communales, 378.906 km de routes départementales, 12.143 km d'autoroutes et routes appartenant à l'Etat - 9.581 km de routes nationales et 2.562 km d'autoroutes non-concédées - et 9.102 km d'autoroutes concédées.

Dans le cadre de la loi de décentralisation, de déconcentration, de différenciation et de simplification de l'action publique (« 3DS ») promulguée en février 2022, l'Etat avait prévu de déléguer aux collectivités l'aménagement, l'entretien, l'exploitation et la gestion de 11.000 km de routes et autoroutes. Or, au regard de la décision publiée au Journal officiel le 8 janvier 2023, seuls 3.000 kilomètres d'autoroutes non-concédées et de routes nationales auraient dû être confiés aux élus locaux d'ici au 1er janvier 2024.

Pour les conseils régionaux, déjà autorités organisatrices de mobilité et de transport, il s'agit d'une mise à disposition, de manière expérimentale et pour une durée de huit ans, des axes routiers. « Certains y ont vu un moyen d'avoir une maîtrise d'ouvrage unifiée et une vision globale sur les enjeux de mobilité. A savoir, le développement de réseaux de car express, de pôles d'échanges multimodaux ou encore un levier pour rééquilibrer les dessertes des transports en commun », décrypte-t-on chez Régions de France.

Un milliard d'euros de travaux dans le Grand-Est

D'autres encore ont été intéressés pour des raisons transfrontalières, comme la région Grand-Est avec l'A31 Nancy-Metz-Thionville et la RN 4 entre Strasbourg, Nancy et Vitry-le-François. Sauf que l'audit réalisé par la Direction interdépartementale des routes de l'Est (DIR Est) révèle que 52 % des chaussées nécessitent déjà un entretien de surface, et que 22 % nécessiteront des travaux plus lourds de structure. Plus grave, 12 % des ouvrages d'art sont en mauvais état. Résultat : la région devra payer.

« Nous avons évalué des travaux à 1 milliard d'euros jusqu'en 2035 », rapporte Thibaud Philipps, vice-président (LR) du conseil régional du Grand Est chargé des transports. « La compensation proposée par l'Etat ne couvre pas ces chantiers. Le budget a été calculé sur la base des entretiens effectués en 2021, en baisse de 21 % par rapport à 2019 », regrette l'élu.

Pour les financer, le Grand Est envisage la solution de l'éco-contribution, permise par la loi Climat et Résilience de 2021. « Sur le modèle en cours dans les pays limitrophes, les poids lourds pourraient payer pour l'utilisation de nos réseaux routiers. La technologie à mettre en œuvre se rapproche de celle du télépéage », a déjà prévu Thibaud Philipps.

La mise à l'étude de cette taxe a été mal perçue par les transporteurs locaux, qui devront s'en acquitter au même titre que les camions en transit. Les directives européennes interdisent toute discrimination entre les transporteurs locaux et les étrangers. « Des consultations sont en cours », reconnaît Thibaud Philipps. Le conseil régional du Grand Est envisage de lancer son éco-contribution au premier semestre 2027.

Tout ne se passe pas comme prévu dans les départements

Du côté des départements, la Seine-et-Marne a bel et bien obtenu, en début d'année, le transfert des RN 4 et 36, « deux routes très importantes qui ne sont pas dans un état fantastique », souligne son premier vice-président (LR) Olivier Lavenka. Les premiers travaux visent un tronçon de 25-30km. « Comme promis, l'Etat nous a aussi versé une compensation financière, qui s'élève à 77,5 millions d'euros. Elle permettra de remettre à niveau ces deux axes structurants de la Seine-et-Marne », poursuit l'édile.

La Haute-Garonne, qui gérait déjà 6.200 kilomètres de voies, a, elle, récupéré 42 kilomètres supplémentaires sur dix portions de routes. « Le recul, que nous avons sur deux années, nous permet de dire que le transfert avait été bien calculé et que la compensation était en adéquation avec les besoins », affirme Sébastien Vincini, président (PS) du conseil départemental.

En réalité, tout ne se passe pas comme prévu. Sur les 101 départements du territoire, 45 conseils départementaux s'y étaient intéressés, puis 16 ont engagé des discussions avec l'Etat et finalement 9 sont allés jusqu'au bout, assure aujourd'hui François Durovray, président (LR) de l'Essonne et de la commission Mobilité des Départements de France.

La réponse de Clément Beaune

Ce dernier compte donc remettre le sujet sur la table fin mai lors d'une réunion de l'association d'élus avec le ministre des Transports Patrice Vergriete. « Il n'y a pas assez de moyens financiers transférés. Nous demandions a minima de pouvoir lever des recettes. Chez moi, j'étais prêt à faire un péage poids lourds », ajoute François Durovray. D'autant que forts de 380.000 km de routes, les départements ont déjà l'expertise.

« Les règles appliquées dans le dernier transfert sont les règles habituelles de compensation », rétorque Clément Beaune, ministre des Transports jusqu'au 11 janvier dernier. « Il est vrai que les crédits de l'Etat étaient à la baisse, mais nous avons aidé certains projets dans le cadre des contrats de plan Etat-région (CPER) », concède-t-il aussitôt de manière surprenante.

« En réalité, c'est l'entre-deux qui ne fonctionne pas. Avec un réseau de routes nationales famélique, il vaudrait mieux tout transférer et faire une négociation financière « one shot » pour régler cela », conclut celui qui est redevenu député Renaissance de Paris.

Qu'en est-il des dépenses pour maintenir les routes et les ouvrages ?

Sans parler des dépenses pour maintenir en bon état les routes et les ouvrages. En Haute-Garonne, le conseil départemental investit ainsi chaque année plus de 65 millions d'euros sur un budget total de 240 millions d'euros d'investissement au total qui doit alimenter aussi bien les collèges que les aides aux communes. « Nous pouvons mobiliser une telle enveloppe car le département est faiblement endetté mais je suis sûr que certains départements sont déjà en difficulté pour pouvoir maintenir un bon niveau d'investissement sur les routes », pointe son président Sébastien Vincini.

Et le socialiste de souligner « que les départements ne touchent plus de taxe foncière ou d'impôts sur les sociétés directes. Il faut se poser la question de savoir si ces investissements peuvent être soutenables dans la durée ». A cela s'ajoute « une chute sans précédent dans l'histoire des droits de mutation à titre onéreux [DMTO dits aussi frais de notaire, Ndlr] du fait de la crise de l'immobilier », confirme l'Essonnien François Durovray.

« La route risque de faire les frais de nos situations budgétaires. Ce n'est pas raisonnable... », s'agace encore le président de la commission Mobilités des Départements de France.

Une accumulation des aléas climatiques extrêmes

Par exemple, à la tête du plus important réseau départemental du pays, la Gironde consacre chaque année une quarantaine de millions d'euros à l'entretien de ses 6.400 km de chaussées. La collectivité parvient à assurer les travaux planifiés mais redoute une intensification avec l'accumulation des aléas climatiques extrêmes.

« Entre des saisons de fortes pluies et la chaleur excessive, le réseau nécessite un entretien permanent. Sans quoi on doit s'attaquer à la structure de la route, ce qui revient beaucoup plus cher... », mesure Jean Galand, vice-président (PS) chargé des mobilités.

« Le dimensionnement des couches de cailloux dépend en effet de la température et de l'humidité. La mauvaise nouvelle, c'est que ça va coûter des milliards d'euros ; la bonne nouvelle, c'est que si on s'y prend dès aujourd'hui, une grande partie sera dans le coût d'entretien annuel », appuie Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), un établissement public sous la double tutelle de l'Etat et des élus locaux.

En première ligne, les professionnels ont ainsi assisté à « une baisse des investissements et de la maintenance en 2023 ». « Il y a de plus en plus de déformations, de nids-de-poule et de fissures avec des impacts sur la résistance de la chaussée. Cela coûtera encore plus cher quand il faudra refaire que ce soit en espèces sonnantes et en trébuchantes ou en émissions de CO2 », pointe le président des Routes de France, Jean-Pierre Paseri.

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C'est pour cette raison que la Fédération nationale des travaux a lancé, début avril, une plateforme qui permet de visualiser l'impact du changement climatique sur les infrastructures. La plateforme InfraClimat, gratuite, « vise à faire prendre conscience des risques, mais aussi des solutions existantes » face au réchauffement climatique et au scénario d'une France à +4 degrés en 2100 et permettre aux décideurs publics « de se projeter dans les enjeux d'adaptation », explique la FNTP. Développé par l'entreprise Onepoint à l'aide de sources de données nationales et publiques, l'outil se concentre sur cinq aléas climatiques : les submersions marines, les vagues de chaleur, les inondations, la sécheresse et le retrait-gonflement d'argile.

Une prise de conscience pour les ponts

Pour les ponts, l'effondrement d'un viaduc à Gênes à l'été 2018 avait réveillé les esprits au Sénat français, mais il a fallu attendre un incident en France à la veille du congrès des maires de novembre 2019 pour une véritable prise de conscience. En Haute-Garonne, le pont de Mirepoix-sur-Tarn s'effondrait provoquant la mort de deux personnes. Un poids lourd est soupçonné d'être à l'origine du drame : le véhicule pesait plus de 50 tonnes alors que le pont était interdit aux véhicules de plus de 19 tonnes.

Près de cinq ans plus tard, le pont, qui était franchi chaque jour par 2.000 véhicules, n'a pas encore été remis en service. La construction d'un nouvel ouvrage est prévue fin 2025 pour une mise en service en 2026. Cette fois, le nouveau pont sera sans limitation de tonnage et pourra donc accueillir même les poids-lourds. L'ouvrage en lui-même va demander 13 millions d'euros d'investissements.

En Gironde, l'enchaînement des pluies diluviennes - qui ont causé 92 fermetures d'axes routiers cet hiver - et des pics de chaleur tournent à la dégradation accélérée des ouvrages fluviaux au-dessus de la Garonne et de la Dordogne. Six doivent aujourd'hui subir des interventions d'urgence.

« Ces ponts construits à une certaine époque ont une durée de vie limitée de par leurs techniques de fabrication et leurs matériaux », souligne Jean Galand, vice-président (PS) chargé des mobilités au conseil départemental. « Le trafic s'est multiplié, le tonnage a augmenté de façon considérable et aujourd'hui on a des ponts en bout de course », enchaîne-t-il.

Des moyens sur la table

Et ce, sachant qu'il existe entre 200.000 et 250.000 ponts, dont 100.000 communaux, selon une commission d'enquête du Sénat. « Au total, 25.000 ponts communaux nécessitent des travaux, dont 10.000 ont besoin de mesures de sécurité immédiates, » a indiqué, le 14 mars, le directeur général du Cerema, Pascal Berteaud, devant la commission de l'aménagement du territoire du Palais du Luxembourg.

A date, rappelle-t-il aujourd'hui à La Tribune, le montant moyen des travaux immédiats s'élève à 100.000 euros par pont. Il faudrait donc 150 à 200 millions d'euros de crédits par an, alors que l'enveloppe dont il dispose est de 55 millions d'euros. « Ce n'est pas assez et il va falloir en mettre davantage, mais c'est déjà ça. Je ne suis pas inquiet quant au fait que le Parlement votera des crédits lors de la prochaine loi de finances », dit-il. Réponse à l'automne prochain...

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Commentaires 8
à écrit le 11/05/2024 à 1:18
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Nous n'aurons plus de routes praticables quand la voiture électrique sera là. Quelle ironie !

le 11/05/2024 à 14:47
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c'est aussi la raison pour la quel les portiques se sont pas demonte car la taxe baroin sur les camions risque de voir revenir avec les voitures en plus. non seulement le cour du carburants mais le cas pour toute les energieet le pire est a venir a...

à écrit le 10/05/2024 à 13:21
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Notre chef de guerre arrose l'Etat failli ukrainien de milliards et nos routes s'effondrent ...

le 11/05/2024 à 9:47
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la grande question avons nous un president qui defend son pays ou prefere t'il les autres nation pas l'industrie ni l'agriculture ni la sante ni la securite ni l'education national ni la culture francaise entre les statue deboulonne et l'ecriture...

à écrit le 10/05/2024 à 9:13
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Selon un principe moral libéral coutumier, c'est à l’État de couvrir les pertes. D'ailleurs, il a déjà payé les péages de l'A14 (seule autoroute disponible pour accéder à Paris). Comme chacun sait, le secteur privé et ses actionnaires ne s'intéressen...

à écrit le 10/05/2024 à 8:27
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Avec des pachydermes de 45 tonnes cela devrait être le transport routier sans hésiter et toutes les routes qu'ils empruntent. Mais voilà c'est nous qui payons tout le temps.

le 10/05/2024 à 10:57
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Pas nous, pas nous. Seulement vous...

le 10/05/2024 à 11:03
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Es tu bien sûr qu'ils n'arrivent pas à vous prendre du fric même en tant qu'expats ? D'une façon ou d'une autre quand même... ^^

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