"BrandAlley va doubler son chiffre d'affaires en 2016" (Cyril Andrino, PDG)

Cyril Andrino, le dirigeant du troisième site français spécialisé dans les ventes privées, prévoit de s'allier avec d'autres sites et distributeurs pour tenter de résister dans un marché en croissance, mais très convoité.
Cyril Andrino, 35 ans, compte sur des partenariats avec de grands distributeurs en ligne et hors ligne pour développer BrandAlley

Dans le grand placard du déstockage en ligne, Vente-Privée laisse peu de place aux autres. Ayant déjà largement dépassé le milliard d'euros de chiffre d'affaires, le site français domine plus largement encore le marché des "ventes événementielles" sur le web. Ces sessions pendant lesquelles vêtements, accessoires mais aussi désormais voyages, repas gastronomiques ou bouteilles de vin sont distribués à prix cassés aux membres d'un "club" font un tabac. Au point que, désormais, des places de marché en ligne proposent à leur marchands d'en organiser. Au total, en France, le marché est évalué à 1,8 milliard d'euros par le cabinet Xerfi. Et il croit rapidement.

Dans l'Hexagone, deux spécialistes "historiques" des invendus de magasins réclament aussi leur part du gâteau. Troisième sur le podium derrière Showroomprivé, Brandalley, espère bien en profiter pour continuer à grandir, à côté des géants. Cyril Andrino, son dirigeant depuis qu'il l'a acheté en 2014, détaille sa stratégie pour tenter de doubler de taille d'ici fin 2016, tout en affrontant les offensives qui surgissent de toutes parts.

LA TRIBUNE - Ebay propose désormais aux marchands de faire des ventes-privées, et il n'est pas le seul. Ce modèle a séduit beaucoup d'autres sites. Quelle menace cela représente-t-il pour vous ?
CYRIL ANDRINO - "Vente privée', c'est l'expression à la mode pour parler du déstockage. On a vu des ventes privées d'abonnements téléphoniques, de magazines... Les grands généralistes touchent un peu à tout, ils s'intéressent à ce modèle, et c'est logique. Mais c'est un métier bien spécifique. Ce n'est pas étonnant qu'en France, les trois grands acteurs sur ce marché - Vente-Privé, Showroomprivé, et nous - viennent historiquement du déstockage. Il ne suffit pas d'être un gros acteur en ligne avec beaucoup de trafic,  il s'agit plutôt de comprendre les stratégies des marques. Cela nécessite beaucoup de savoir-faire et des années d'expériences.

Lorsque l'on observe la structure du marché, on remarque qu'il y a un leader, Vente-Privée, qui domine largement. Comment faites-vous pour tenter de gagner des parts de marché ?
Il domine largement car il a la surface financière qui lui permet d'avoir beaucoup d'offres. Il devient un généraliste qui fait de l'alimentaire, des voyages, etc. En revanche, si on compare à nos segments - la mode -, l'écart est moins grand. Lorsque l'on parle des ventes privées dans la mode, on parle de l'écoulement de 5 à 10% de toutes les marques. Le marché est donc immense et il y a de la place pour une croissance exponentielle.

Quel est votre avantage concurrentiel ?
Dans notre modèle d'affaires, la bataille se gagne d'abord au niveau de l'approvisionnement. De ce point de vue, par rapport à Vente-Privée et Showroomprivé, nous disposons d'un avantage unique : nous sommes capables d'approcher les marques avec une stratégie à 360 degrés. Nous commençons par leur acheter leurs nouvelles collections présentées dans une partie du site dédiée. Pour les invendus, elles n'ont pas besoin de nous, elles sont très sollicitées. En revanche, les nouvelles collections représentent un challenge pour elles. C'est là où elles font leurs bénéfices. Or, il leur faut trouver de nouveaux clients, ce qui est particulièrement difficile en ce moment.

Un peu plus tard dans la saison, nous faisons parfois des remises. Ensuite, parce que nous travaillons avec ces marques au prix intégral, nous sommes considérés comme des partenaires privilégiés quand elles se retrouvent avec des stocks invendus. Nous pouvons récupérer tout ce qui reste dans leurs entrepôts et distribuer à des réseaux de boutiques spécialisées partout dans le monde. On peut tout acheter : des retours d'invendus des magasins, des produits avec des défauts, etc.

Plusieurs sources, une seule livraison

Proposez-vous également aux marques de vendre en direct sur votre place de marché, un modèle rémunéré par des commissions ?
Nous proposons à peu près tous les modèles. Nous sommes capables d'acheter des stocks en avant-saison mais certaines marques comme Petit Bateau ou Guess préfèrent la formule de la place de marché.

Acheter des stocks, c'est un risque supplémentaire. Comment réalisez-vous vos marges ?
Le département achat est le plus important, il compte cinquante personnes, avec des expertes pour chaque métier. Nous utilisons des outils très perfectionnés d'intelligence artificielle qui permettent de prendre des décisions à partir d'une multitude de critères : l'historique de la marque, de la typologie de produits... Donc oui, nous prenons des risques, mais ils sont maîtrisés.

Nos premiers fournisseurs sont des marques comme Nike ou Morgan. Ils nous font confiance parce que nous jouons le jeu avec eux. Ils savent que nous serons là pour acheter les nouvelles collections et pas seulement tourner autour comme des vautours afin de récupérer le stock à -50%. Cela se traduit par un panier moyen sensiblement plus élevé que chez nos concurrents. Le leur tourne autour de 50 euros,le notre autour de 75 euros.

Diminue-t-il, comme le niveau du panier moyen chez l'ensemble des opérateurs en ligne ?
Non, pas en dehors des baisses structurelles en été.

Vous proposez également de regrouper les livraisons pour le client. Qu'il achète un produit dans vos stocks dégriffés ou dans la partie "nouvelles collections" vendues par les marques sur la place de marché. Comment maîtrisez-vous les coûts logistiques qu'une telle promesse induit ?
C'est notre principal atout vis-à-vis des clients. Le modèle courant sur internet consiste à réaliser d'abord la vente puis à chercher le produit dans le stock des marques. A l'évidence, quand on a une commande qui inclut plusieurs marques dont les stocks sont situés à trois ou quatre endroits différents dans le monde, il est impossible de proposer un panier unique. Chez nous, il est possible de choisir un produit en vente privée, en outlet, provenant de plusieurs marques et de tout regrouper en une seule livraison. Nous avons parfois des produits en stock livrables en 24 heures et d'autres seulement disponibles sous 15 jours. C'est au client de décider s'il souhaite attendre pour recevoir toute sa commande en une seule fois. Bien sûr, cela a un coût que nous nous efforçons de ne pas faire supporter au client.

15.000 colis par jour

Quels outils logistiques innovants utilisez-vous pour y parvenir ?
Il y a quatre ans, BrandAlley a créé un outil spécifique automatisé déployé sur près de 10.000 m2 sur 25.000 m2 d'entrepôts situés à Marly en région parisienne. Il nous permet de faire de la logistique fine. Nous sommes capables de sortir jusqu'à 15.000 colis par jour, le premier jour des soldes, un moment crucial pour nous.

En matière d'effectifs, cela mobilise combien de personnes ?
Nous travaillons avec une agence d'intérim. Cela représente au minimum 70 à 80 personnes toute l'année, mais cela peut doubler, voire plus durant les soldes avec des équipes qui font les trois huit.

Pour vous, ces réserves pour réceptionner, stocker, emballer, c'est un investissement très lourd...
Bien sûr, surtout que l'on a une exigence d'excellence liée au marché. Les leaders de l'e-commerce aujourd'hui sont arrivés en France en disant : nous allons dépenser beaucoup d'argent pour "tuer" tout le monde.

Vous pensez à Amazon ?
Notamment, mais Zalando aussi qui a levé plus d'un milliard d'euros. Du coup, c'est très bien pour le client car cela donne un niveau d'excellence élevé, et cela nous oblige à être irréprochables en matière de logistique.

Les géants auxquels vous faites référence ont des moyens beaucoup plus importants, votre marque Private Outlet vient d'être liquidée, comment résistez-vous ?
Quand j'ai acheté BrandAlley, et sachant que c'était une marque bien plus forte, nous avons tout de suite vu qu'il n'y avait pas d'intérêt à conserver les deux marques. C'est la raison de la liquidation de Private Outlet.

Ensuite, face aux géants que je citais, nous avons une chance tout de même : nous travaillons dans la mode. Dans ce secteur, les marques connaissent une problématique de perception. Les sites généralistes qui font de tout deviennent des supermarchés. Avant même que le web existe, on nous demandait : "Comment allez-vous résister face à Auchan, Carrefour, Système U qui sont très gros ?" La réalité c'est que les marques n'ont pas voulu être présentes chez eux, et il n'ont pas gagné de parts de marché sur les magasins multimarques. Aujourd'hui, c'est pareil, Cdiscount parvient à en gagner en utilisant des moyens détournés: en achetant en seconde main, auprès de grossistes, des importateurs parfois à l'étranger. Tant que nous sommes capables de maintenir un environnement qualitatif dédié aux marques, nous serons toujours présents.

Pourquoi les marques ne seraient-elles pas intéressées par ces "gros" acteurs ?
Les marques ont besoin d'être rassurées. Quand nous avons signé Lacoste, par ricochet nous avons eu Giorgio Armani, Ralph Lauren, Tony Hilfiger... Ces sites généralistes sont souvent très orientés "promo", avec un design plutôt agressif, ce n'est pas adapté à l'image de ces marques.

Le fait que vous ayez une petite taille rassure les marques ?
Je ne pense pas. D'ailleurs nous ne comptons pas la conserver. Nous avons des velléités de forte croissance. Aujourd'hui, l'essentiel du chiffre d'affaires des marques n'est pas fait online. Elles ne sont pas encore prêtes à bouleverser leur image, à prendre trop de risques. C'est pour cela que nous lançons une nouvelle version de notre site en juillet, pour être encore plus "mode".

Quel est votre niveau de rentabilité aujourd'hui?
Nous avons réalisé 150 millions d'euros de chiffres d'affaire l'an dernier. La moitié grâce aux ventes privées et l'autre avec les collections. Nous réalisons des bénéfices mais il y a eu une part exceptionnelle puisque c'est l'année où nous avons acheté BrandAlley. Je vise même l'hyper-rentabilité, c'est-à-dire entre 6 et 10% de bénéfices avant impôts, intérêts, dépréciations et amortissements. Notre avantage, que nous partageons avec Vente-Privée et Showroomprivé, c'est qu'à la différence des généralistes qui doivent créer du trafic grâce aux requêtes sur internet, notre modèle repose sur l'inscription. Il y a un coût d'acquisition, mais une fois que les clients sont inscrits, ils viennent spontanément grâce à nos emails.

Comment comptez-vous vous développer ?
Ma stratégie consistait à acquérir d'abord BrandAlley puis me donner six mois pour restructurer le groupe. Cela m'en a pris huit car j'ai lancé un plan de sauvegarde de l'emploi et découvert au passage les lourdeurs administratives que cela peut entraîner.

Combien de postes ont été supprimés ?
Une cinquantaine.

S'agissait-ils de doublons ?
Pas vraiment. C'est toute l'histoire de BrandAlley !  La marque est très puissante, bien plus que Private Outlet, comme le démontraient les études de Médiamétrie. Ce qui n'allait pas se trouvait derrière le rideau. Les précédents propriétaires ont levé beaucoup d'argent, il y a eu de mauvaises allocations des ressources. L'exemple le plus emblématique est celui de nos locaux que nous allons bientôt quitter... c'est un hôtel particulier de 1.800m2 au cœur du 9e arrondissement. C'était la folie des grandeurs ! Nous allons rejoindre à la plaine Saint-Denis [zone d'implantation historique des destockeurs où Vente-Privée est également installé], pour rejoindre des entrepôts convertis en bureaux atypiques.
Il y avait aussi des salaires extravagants. Il fallait relancer la mécanique, avec du sang neuf. Nous sommes 260 actuellement et nous embauchons. L'étape suivante, c'est la croissance.  Nous avons pour objectif de doubler notre chiffre d'affaires en dix-huit mois, pour atteindre 300 millions d'euros en 2016. Pour cela, nous allons bientôt boucler une levée de fonds.

"Les fleurons de l'économie ont un peu raté le coche"

S'agira-t-il de nouveaux investisseurs ?
Certains oui, les fondateurs du Groupe Andrino - donc mon frère Yoann et mes amis [David Rosenthal et Philippe Klug] ainsi que moi-même y participeront, mais de façon plus modeste que les nouveaux arrivants.
L'élément principal de notre croissance est novateur. Pour augmenter le chiffre d'affaires, nous pourrions chercher à séduire de nouveaux clients par la publicité à la télévision ou le développement de l'optimisation des recherches, etc. Pour cela, il me faudrait au moins dépenser 40 millions d'euros. J'ai décidé de sortir de cette logique en concluant des alliances stratégiques. Je me suis aussi rendu compte que des fleurons de l'économie française ont observé des petits acteurs grandir avec le web, ont un peu raté le coche et ont eu tout le loisir de se poser de nombreuses questions.

Pour l'instant, j'ai déjà signé un accord avec un très gros pure-player [distributeur présent uniquement sur internet], dont je n'annonce pas le nom pour le moment, qui réalise plusieurs centaines de millions d'euros de chiffre d'affaires mais qui n'est pas dans la vente privée. Il y a une vraie complémentarité à s'échanger du trafic. Il pourra envoyer nos offres tous les jours à 4 millions de personnes. Alors que nous réalisons pour l'instant notre chiffre d'affaires avec environ 3 millions de membre actifs. L'accord a déjà été signé. Le partenariat devrait être lancé au 1er septembre. Pour le reste, nous souhaitons le réaliser avant la fin de l'année.

Comment se matérialise précisément cet accord, les sites partenaires afficheront vos offres ?
Exactement. Depuis les sites partenaires, il y aura un accès à toute notre offre.

S'agit-il uniquement de cybermarchands ?
Ce sera "online" mais nous sommes en discussions avec un second acteur, un grand distributeur qui réalise l'essentiel de son activité dans le commerce physique, des milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Avez-vous envisagé de vous rapprocher d'un concurrent ?
Nous n'aurions rien à nous apporter mutuellement. En achetant BrandAlley, j'ai aussi hérité du litige avec Vente-Privé. L'entreprise avait porté plainte pour abus de position dominante et nous avons bon espoir que cela aboutisse de façon positive au bout du compte, c'est la raison pour laquelle nous avons fait appel de cette décision.
Nous ne recherchons pas de la croissance pour être les plus gros, mais parce qu'on a de l'ambition, parce que nous avons des opportunités et que je m'ennuierais sinon!

Ce qui est interdit, c'est d'imposer une exclusivité aux marques, mais, pourtant, c'est ce que vous faites ?
Non, nous n'interdisons pas aux marques de traiter des concurrents. Ils imposent une exclusivité non pas sur la période de la vente qui dure quelque jours mais sur 6, 12 ou 24 mois. Comme ils occupent une position de leader sur le marché, nous considérons qu'ils en abusent. Du reste, ils connaissent les risques pris puisqu'ils ont arrêté de le faire.

Vous êtes présent dans plusieurs pays européens - plus en Grande-Bretagne où l'ancien joint-venture avec Newscorp, la compagnie de Rupert Murdoch -, a été cédée. Comptez-vous étendre votre activité internationale ?
Nous avons des velléités de croissance internationale mais pas en Grande-Bretagne. La filiale britannique a été revendue avant mon arrivée et j'entends encore parler de difficultés. Pour l'instant, nous sommes présents en Espagne, Italie, Allemagne et Belgique, où notre partenaire pourrait nous permettre de nous rapprocher du leader. Nous avons l'intention de signer des accords dans ces pays également. Cela nous évite de jouer sur le même terrain que ces géant prêts à perdre beaucoup d'argent. Car c'est vrai qu'avec BrandAlley, nous restons encore petits par rapport à eux. En nous alliant demain avec de grands distributeurs, nous devenons potentiellement des géants.

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BrandAlley contre Vente-Privée

En novembre 2014, l'Autorité de la concurrence a rejeté le grief de BrandAlley qui accusait Vente-Privée d'abus de position dominante. En cause : des contrats d'exclusivité avec des marques dont la formulation reconnue comme "ambigüe" par le groupe pouvait laisser penser que les fournisseurs n'avaient pas le droit de traiter avec des concurrents de Vente-Privée, même pour d'autres produits que ceux mentionnés dans le contrat. L'Autorité n'a pas reconnu la validité des arguments proposés.

Elle relève toutefois que la période d'exclusivité exigée excède très souvent "la période couvrant la vente et la gestion du retour des invendus, soit seize semaines". Elle note en outre que depuis la saisine par BrandAlley en 2009, la proportion des contrats comportant des clauses d'exclusivité supérieures à six mois ou un an a chuté. Ce qui "ne semble pas pour autant avoir freiné la croissance de Vente-privee.com dont le chiffre d'affaires a été multiplié par dix entre 2005 et 2012. " Dans ce dossier, BrandAlley fait "cause commune" avec Showroomprivé.

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