« La perte du contrat des trains Intercités aurait un impact sur l'emploi » H. Poupart-Lafarge, Alstom

ENTRETIEN. La SNCF a annoncé avoir choisi l’espagnol CAF pour un contrat d’une centaine d’Intercités. Le président d’Alstom alerte : si ce revers était confirmé, l’usine Alstom de Reichshoffen, en Alsace, serait fragilisée. Henri Poupart-Lafarge précise sa stratégie en solo après l’abandon de la fusion avec Siemens.
Henri Poupart-Lafarge, président d'Alstom.
Henri Poupart-Lafarge, président d'Alstom. (Crédits : © John Schults / Reuters)

LA TRIBUNE - La SNCF a annoncé mercredi 18 septembre avoir choisi l'espagnol CAF et non Alstom pour le marché d'une centaine de trains Intercités, avec options. Comment réagissez-vous ?

HENRI POUPART-LAFARGE - Dans l'attente de la décision définitive qui aura lieu fin octobre, Alstom à ce stade ne souhaite pas réagir. Cette commande de trains Intercités est très importante pour Alstom. Elle représenterait, avec les options, dix années d'activité pour le site de Reichshoffen et l'ensemble des sites français qui fabriquent les composants. L'offre d'Alstom est à la fois complète, compétitive, et répond aux plus hauts standards technologiques. Je comprends les inquiétudes exprimées par les partenaires sociaux.

Trois ans après Belfort, allez-vous donc refaire du chantage à l'emploi ?

Ce n'est pas faire du chantage à l'emploi que d'expliquer que la perte d'une commande qui représente dix ans d'activité aurait un impact sur l'emploi. C'est mécanique. Le site de Reichshoffen a de l'activité jusqu'en 2021-2022. Il ne peut pas compter à court terme sur de grosses commandes de trains régionaux en France en raison du renouvellement de près de 90 % du parc des trains régionaux ces dernières années.

À l'heure où la SNCF va voir le marché français s'ouvrir à la concurrence, ne faut-il pas lui laisser choisir le matériel qui lui convient le mieux ?

Ce n'est pas le sujet ! La concurrence opère pleinement en France, il n'y a aucun doute là-dessus. Je me permets de rappeler que sur le marché français Bombardier représentait près de 50 % des commandes de trains de la SNCF l'an passé et Hitachi est en charge de la signalisation du TGV. Nous nous battons pour avoir des solutions qui sont meilleures et plus compétitives que celles de nos concurrents et qui apportent plus de confort aux passagers. C'est un atout incroyable que d'avoir en France une filière ferroviaire de premier plan et un leader mondial tel qu'Alstom.

Bouygues vient de céder 13 % du capital qu'il détenait dans Alstom pour 1,079 milliard d'euros. Quelles sont les conséquences pour Alstom ?

Bouygues reste l'actionnaire de référence d'Alstom avec une part de 14,7 % du capital et deux membres au conseil d'administration. Depuis 2006, Bouygues a accompagné Alstom dans toutes les étapes majeures de ses projets stratégiques et de sa transformation. Le succès de cette opération financière démontre d'ailleurs notre bonne santé économique et financière et la confiance des marchés dans la nouvelle stratégie « Alstom in Motion » et dans nos perspectives.

Après le refus de la Commission européenne de la fusion Alstom-Siemens en début d'année, Alstom a redéfini une stratégie en solo. Cette stratégie est-elle viable à long terme face à la concurrence internationale et notamment chinoise, qui justifiait une fusion avec Siemens ?

Clairement oui, Alstom se porte très bien. Mais tout ce que j'ai dit lorsque nous nous étions engagés dans une fusion avec Siemens sur l'environnement concurrentiel reste valide. Je n'ai pas changé d'avis. Une opération avec Siemens avait du sens. Elle permettait d'accélérer la croissance d'Alstom, qui est une nécessité. Et c'est ce que nous allons faire avec notre nouvelle stratégie, qui donne la priorité à la croissance organique mais comprend aussi des acquisitions ciblées et des partenariats, par exemple dans le digital comme nous le faisons avec Airbus dans la cybersécurité. Nous devons bâtir un écosystème qui peut avoir des effets d'échelle mais cela ne passera pas forcément par des acquisitions globales.

Le constructeur chinois CRRC vient de racheter l'activité de construction de locomotives du groupe allemand Vossloh. Que pensez-vous de cette opération ?

Il n'y a que la Commission qui pensait que la concurrence chinoise n'arriverait pas. Les questions d'ouverture asymétrique des marchés ne concernent d'ailleurs pas uniquement la Chine. Le groupe japonais Hitachi et le coréen Hyundai Rotem sont par exemple très présents en Europe, alors que les marchés japonais et coréens sont fermés. Il faut que les industriels européens se renforcent. Nous verrons dans cinq à dix ans dans quelle configuration nous serons à ce moment-là. D'ici-là, beaucoup de choses auront changé.

La nouvelle Commission européenne doit-elle modifier les règles de concurrence pour protéger les industriels européens ?

Oui, mais pas seulement pour l'industrie ferroviaire. Le modèle européen est très différent des modèles chinois et américain. Dans tous les secteurs de l'industrie européenne, il y a pléthore de concurrents, alors qu'il y en a dix fois moins en Chine ou aux États-Unis. La Commission européenne estime en effet que la présence d'un grand nombre d'acteurs sur un marché favorise l'innovation. Entre cette position et une certaine concentration du secteur pour permettre aux acteurs d'avoir la puissance de feu nécessaire pour pouvoir innover, Il y a un équilibre à trouver. On voit bien que dans beaucoup de domaines, l'Europe a du mal à être à la pointe de l'innovation. Ni la taille des groupes ni la structure des marchés financiers ne permettent le financement de cette innovation.

Quelles mesures concrètes préconisez-vous ?

Il y en a plusieurs. La Commission pourrait par exemple introduire la notion de marché contestable qu'elle refuse aujourd'hui. Pour juger de la position dominante ou pas d'un acteur sur un marché, la Commission examine la part de marché brute sans regarder si de nouveaux acteurs peuvent y entrer ou non. Elle doit prendre en compte la tendance et non la moyenne simple des dernières années parce que l'évolution des marchés est très rapide.

Quelles sont vos priorités stratégiques ?

Alstom souhaite devenir le leader mondial de la mobilité propre et intelligente. C'est le but de notre plan stratégique « Alstom in Motion ». Alstom évolue dans un secteur dont les fondamentaux sont excellents. La mobilité est en croissance, de l'ordre de 3 à 4 % par an, et la demande pour des transports plus propres, partagés, efficaces pousse la mobilité à aller dans la direction du train. Nous bâtissons donc notre stratégie sur cette base. Au cours des dix dernières années, toute la stratégie d'Alstom a consisté à pousser les feux à l'international pour répondre aux besoins des pays et de villes à travers le monde de se doter de transports urbains pour faire face à la très forte urbanisation. Cela nous a permis de croître plus vite que le marché. Pour les prochaines années, ce sera différent. Nous allons certes continuer de bénéficier des effets de la mondialisation, mais l'accent sera mis sur l'efficacité de la mobilité, d'abord environnementale puis économique.

Quel est le pilier de cette stratégie ?

L'innovation. Alstom a des bases très solides. Nous avons créé des usines dans de nombreuses régions du monde, notre socle de clients à l'échelle mondiale est très robuste et, avec le développement de nouvelles plateformes de métro, de trams, de trains au cours des cinq dernières années, nous disposons des technologies de pointe dans tous les domaines. Aujourd'hui, Alstom doit innover dans ce qui va le différencier de ses concurrents, avec l'environnement comme ligne directrice. Nous allons nous focaliser sur des produits qui vont permettre d'améliorer l'efficacité environnementale et économique de la mobilité comme les trains à hydrogène ou des solutions de signalisation.

Quels sont les gains environnementaux d'une amélioration de la signalisation ?

Le gain environnemental et économique est sans commune mesure. Une amélioration de la signalisation par des outils digitaux permet d'optimiser une ligne ferroviaire et d'éviter d'investir physiquement sur de nouvelles infrastructures. L'automatisation de la ligne A du RER en Île-de-France a par exemple fait gagner 20 % de capacité. C'est gigantesque. Et c'est l'une des lignes les plus fréquentées au monde ! C'est l'équivalent d'un cinquième de ligne à construire obtenu avec des outils informatiques uniquement. Entre Paris et Lyon, cela va être la même chose. Notre travail sur les trains autonomes s'inscrit d'ailleurs dans cette logique d'augmenter la cadence des trains à infrastructures égales. Et cela a également un impact très positif sur la consommation d'énergie des trains, qui diminue grâce à une meilleure gestion du freinage et des accélérations.

Alstom a lancé les premiers trains à hydrogène en Allemagne en 2018. Pourquoi faire le pari de l'hydrogène ?

La fin du diesel va arriver plus vite que nous ne le croyions et notre solution pour remplacer les trains diesel sur les lignes non électrifiées, c'est l'hydrogène. Nous avons bien sûr des solutions de batteries pour certaines configurations de lignes, mais fondamentalement, l'hydrogène est la solution à terme. La filière, les opérateurs, tout le monde est d'accord sur ce point. Dans le ferroviaire, on ne peut pas faire de longue distance avec des énergies propres en dehors de l'hydrogène.

Y a-t-il un modèle économique pour le train à hydrogène ? Le coût ne risque-t-il pas d'être excessif ?

Le coût du train lui-même est légèrement plus cher qu'un train diesel, de l'ordre de 10 à 15 %. Mais comme il nécessitera moins de maintenance, son coût sur sa durée de vie sera à peu près équivalent. En tout cas, le coût des infrastructures pour le train à hydrogène n'a rien à voir avec une électrification des lignes qu'il faudrait faire si l'on souhaitait remplacer les trains diesel par des trains électriques. Dans ce modèle économique, le prix de l'hydrogène vert sera déterminant. S'il est inférieur à 5 euros le kilo, l'hydrogène sera complètement compétitif par rapport au diesel. C'est pour cela que le plan hydrogène développé à l'initiative du gouvernement est totalement justifié.

Quels sont les obstacles à la mise en place d'une filière en France ?

Ils sont nombreux, il faut tout d'abord définir un cadre réglementaire. Par ailleurs, si l'on veut une filière purement française, il faut travailler sur tous les maillons de la chaîne et donc sur les piles à combustible qui fournissent de l'électricité nécessaire à la traction, laquelle, sur nos trains régionaux, provient de l'hydrogène stocké sur le toit et de l'oxygène ambiant. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) travaille dessus, Engie aussi. Je suis optimiste sur la création d'une filière. Nous sommes en train de boucler un tour de table avec quatre régions, la SNCF et l'État pour permettre une commande d'une quinzaine de trains à hydrogène qui lancera la dynamique.

Quelle sera la prochaine étape du train à hydrogène ?

Ce seront les locomotives de fret dans les zones peu denses. La puissance des piles à combustible sur nos trains régionaux s'élève à 200 kilowatts. Ce n'est pas très puissant. Mais si l'on en met 10, elle grimpe à 2 mégawatts. On peut imaginer mettre des wagons supplémentaires remplis de piles à combustible comme les wagons de charbon ou de bois à l'époque des trains à vapeur.

La question environnementale ne cesse de monter en puissance, que préconisez-vous pour favoriser la mobilité verte ?

Il faut prendre des mesures beaucoup plus drastiques pour développer le transport ferroviaire. C'est le moyen de transport qui a le plus d'externalités positives : c'est le plus propre, le plus sûr et celui qui utilise le moins d'espace. Avec la montée des mouvements anti-diesel et anti-avions, je crois que c'est maintenant bien ancré. L'avion était le passager clandestin de l'environnement et le passager clandestin a été découvert. Parmi tous les leviers qui existent pour inciter les gens à voyager en train plutôt qu'en avion, il y a notamment le prix du carbone. Il est beaucoup trop bas. Il faut qu'il soit plus élevé, vers les 200 euros la tonne et non 20-30 euros comme aujourd'hui.

Ces appels au boycott de la voiture et de l'avion ont-ils un impact favorable sur votre activité ?

Je parlerais plutôt d'un appel à une utilisation plus raisonnable de la voiture et de l'avion. On le voit en Europe. Depuis quelques mois, tous les opérateurs européens nous demandent de nouvelles capacités. La France a même manqué de TGV cet été selon le PDG de la SNCF Guillaume Pepy. Beaucoup d'autres réseaux en Europe ont eux aussi manqué de trains. Il y a un vrai changement de comportement des passagers ces derniers mois.

Comment les intégrez-vous dans vos prévisions de trafic et de commandes ?

La croissance européenne est très forte. Il va y avoir une recentralisation de notre activité vers l'Europe par rapport aux dernières années. La part de la France, autour de 15 % aujourd'hui, augmente à nouveau très fort après le creux rencontré ces dernières années à la suite des contrats de la SNCF qui nous ont échappé au profit de notre concurrent Bombardier.

Avez-vous les capacités de production pour répondre à cette hausse de la demande ?

Oui, nous avons investi en France comme ailleurs pour augmenter les capacités. Elles sont assez flexibles.

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Commentaires 19
à écrit le 19/09/2019 à 14:54
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holla

à écrit le 19/09/2019 à 13:25
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bah "La croissance européenne est très forte. Il va y avoir une recentralisation de notre activité vers l'Europe par rapport aux dernières années. La part de la France, autour de 15 % aujourd'hui, augmente à nouveau très fort" Ce monsieur presidant u...

à écrit le 19/09/2019 à 12:29
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Au lieu de pleurnicher, Alstom devrait plutôt participer à des appels d'offre à l'étranger. Si effectivement ils fabriquent des trains aussi bien qu'ils prétendent, ils auront aucun problème de gagner beaucoup de contrat et d'augmenter l'emploi en Fr...

à écrit le 19/09/2019 à 12:15
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la conclusion qui s'impose : démission du PDG d'Alstom qui a validé une offre commerciale non compétitive en pariant sur la primauté du chantage à l'emploi ( déjà utilisé sous la présidence précédente pour obtenir une commande non souhaitée par la SN...

à écrit le 19/09/2019 à 11:47
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petit rappel aux grincheux CAF va embaucher sur son site en France et on dit quoi ?

à écrit le 19/09/2019 à 11:10
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On ne peut pas gagner à tous les coups sauf pour les euro-mondialistes qui exilent et fraudent 100 milliards annuels par l' article 63 du TFUE qui édicte la "libre circulation des hommes et des capitaux". Le bon peuple lui se voit bananer ses entre...

le 19/09/2019 à 11:34
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En effet, la pauvreté qui s’accroît dans notre pays est la conséquence directe d’une économie anémiée par les politiques d’austérité des GOPE et par l’euro.

à écrit le 19/09/2019 à 10:51
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Brandir la menace de l'emploi est une très mauvaise défense exposant d'abord et avant tout une volonté de manipuler. Un réflexe lobbyiste. "Nous ne comprenons pas que CAF aie été choisi alors que nos trains sont de bien meilleurs qualité", par ex...

à écrit le 19/09/2019 à 10:35
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Sarkozy a sauvé Alstom depuis, l'état fait tout pour détruire le groupe. La cession à Général Électric des turbines a été catastrophique , les emplois promis ne sont pas là et la perte d'une partie du CA a été préjudiciable pour la société. Si la SNC...

à écrit le 19/09/2019 à 9:51
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Cette décision de la SNCF m'interpelle. Certes la SNCF fait des économies en choisissant les trains espagnols. Mais la SNCF c'est l'état. Et c'est l'état , donc nous les contribuables, qui va devoir indemniser les chômeurs d'Alstom que cette décisi...

le 19/09/2019 à 10:41
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décrocher des marchés pour donner du travail à ses salariés, c’est le job d’Alstom et son patron . Pas celui de la SNCF , ni celui de l'etat. Alstom a vendu des TGV en Espagne, pourquoi CAF ne vendrait il il pas des intercité en France ?

le 19/09/2019 à 12:26
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ces trains seront construits à Bagnères de Bigorre , en France , avec du personnel local et un recrutement important qui fera du bien à l'économie locale .

le 19/09/2019 à 23:52
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@Sherpa . Car le monde ne fonctionne pas comme ça,ce n'est pas donnant donnant,c'est les plus forts qui domine et les autres se partage les restes,il n'y a pas de donnant-donnant. Ils ont eu de la chance que nous ayons un gouvernement "européiste"...

à écrit le 19/09/2019 à 9:49
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Il y a des règles européennes que nous avons ratifiées depuis des années en France concernant les appels d'offre. La SNCF est donc obligée de les appliquer. Dans cet appel d'offre ALSTOM a eu une offre moins intéressante que le concurrent espagnol...

le 19/09/2019 à 10:13
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Oui, et on ne sauvra pas l'industrie française par la commande publique mais par la competitivité et l'investissement massif.

à écrit le 19/09/2019 à 9:40
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La perte des competences. Ainsi va le pays .....

à écrit le 19/09/2019 à 9:40
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L'avis de CAF doit être identique : le gain "du contrat des train Intercités aurait un impact sur l'emploi"

à écrit le 19/09/2019 à 9:03
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Et alors ? Si un constructeur étranger remporte le contrat, c'est parce que ce constructeur est plus compétitif, plus concurrentiel, plus qualitatif. Choisir français juste pour chanter une pâle cocorico, c'est uniquement du nivellement par le bas et...

le 19/09/2019 à 9:26
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Les ouvriers comme vous dîtes avec mépris n'ont rien à voir ds tt ça. Mais ils servent malheureusement ds cette affaire de variable d'ajustement comme tjrs depuis des décennies ds ce pays. Qd une entreprise va mal, c'est à son staff qu'on dde des co...

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