"Avec l'arrivée d'Auchan, le monde des opérateurs de téléphonie mobile se diversifie"

Carole Manero, consultante senior en charge de la téléphonie mobile à l'Idate, l'Institut de l'audiovisuel et des télécoms en Europe, passe en revue le secteur des opérateurs virtuels de téléphonie mobile en France, alors qu'Auchan présente ce mercredi son offre commerciale sous l'enseigne A-Mobile. Via sa filiale Auchan Telecom, le distributeur, qui louera le réseau de SFR, va fournir les portables et les cartes SIM et réaliser la facturation de son offre.

Latribune.fr- Que pèse aujourd'hui le marché des MVNO en France?

Carole Manero- Actuellement dans le monde des MVNO (les opérateurs virtuels qui achètent des minutes de communication en gros aux opérateurs de téléphonie mobile), on trouve deux grandes catégories d'acteurs. Les purs et durs: les "Full MVNO" que recense l'Arcep, dont les plus importants sont Coriolis, Debitel, Neuf Cegetel, NRJ Mobile, Breizh Mobile, Tele2, Transatel et Ten. Ces "Full MVNO" viennent en majorité du secteur des télécoms. Ils maîtrisent leurs tarifs et une petite partie du réseau de l'opérateur de téléphonie mobile avec lequel ils collaborent. Et puis il y a les "licenciés" qui apportent leur marque, leur notoriété et le contenu à une offre commerciale gérée en commun avec un opérateur. Il s'agit de M6 Mobile, TF1 Mobile, Universal Mobile, Fnac Mobile, entre autres.

Au total entre "Full MVNO" et "licenciés" il y a donc 15 MVNO en France.

À la fin juin dernier, l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), le gendarme des télécoms, indiquait que les dix premiers MVNO en France pesaient 1,46% de parts de marché des télécoms mobiles, soit près de 700.000 clients. C'est encore faible, mais le secteur est en croissance car ils avaient conquis 4 nouveaux clients sur 10. Selon l'évaluation que nous avons réalisée à l'Idate, si l'on ajoute les "licenciés", la part de marché de l'ensemble des MVNO dans l'Hexagone serait au total de près de 4% avec près de 1,4 million de clients. Mais cela reste une estimation, car il n'y a pas de statistiques officielles et cette estimation repose sur la reconstitution du marché opérateur par opérateur (sachant que MVNO et licenciés ne divulguent pas toujours de chiffres à des dates cohérentes).

Quel est l'enjeu pour Auchan de devenir un MVNO?

Avec l'arrivée d'Auchan sur le marché, le monde des opérateurs virtuels de téléphonie mobile se diversifie. Dans les "Full MNVO", on trouve en majorité des acteurs des télécoms et parmi les licenciés, il y a de nombreux groupes de médias. Avec Auchan, c'est la première fois en France qu'un grand de la distribution alimentaire se positionne sur le marché des MVNO, alors qu'en Grande-Bretagne, des grandes enseignes comme Tesco et Sainsbury ont lancé des offres MVNO depuis plusieurs années. C'est également le cas de Wal-Mart (Mango Mobile) et Aldi en Allemagne. Et dans ces pays, ces acteurs, largement positionnés sur le segment low-cost, font des offres concurrentielles et sont moins chers que les autres opérateurs.

Auchan a plusieurs atouts pour devenir un acteur important. Il dispose d'un réseau de distribution important, d'une marque forte, et d'une clientèle massive parfois captive qu'il sait faire venir sur les points de vente et dont il connaît les habitudes de consommation, les besoins et le pouvoir d'achat au travers des tickets de caisse dans ses magasins. Par ailleurs, le distributeur vend déjà des terminaux mobiles et des forfaits dans ses magasins depuis plusieurs années, il sait donc quelles sont les attentes des clients en matière de téléphonie mobile. Il passe à la vitesse supérieure et devient un "offreur de services". Son concurrent Carrefour devrait également se lancer sur le marché des MVNO l'an prochain.

Quels sont les autres secteurs d'activité qui pourraient investir le monde des MVNO?

Les entreprises de gaz et d'électricité, les compagnies aériennes, le secteur de l'automobile pourraient s'intéresser à cette activité. Par ailleurs, d'autres acteurs comme certains clubs de football ont des projets en France.

Par rapport aux autres pays européens, comment se positionne la France?

La France rattrape son retard. Comme lors du démarrage de la téléphonie mobile, ce sont les pays scandinaves et notamment la Norvège en 1997 qui ont été les pionniers dans les MVNO. La Grande-Bretagne, avec notamment Virgin Mobile, a suivi le mouvement en 1999. La France a démarré plus tard, en mai 2004, avec Breizh Mobile puis avec Debitel. En 2005, on a vu arriver NRJ Mobile, M6 Mobile et Tele2. Et le véritable décollage date de la fin 2005-début 2006 avec de nombreuses offres commerciales dans l'Hexagone. L'Europe du Sud est à la traîne. L'Espagne devrait se lancer dans la bataille en 2007, les grands magasins ibériques El Corte Inglés, l'équivalent des Galeries Lafayette, ont annoncé leur souhait d'avoir une offre MVNO. Et l'Italie devrait embrayer courant 2007.

Les MVNO sont perçus comme un nouvel Eldorado, rêve ou réalité?

Il ne faut pas croire que c'est la poule aux oeufs d'or et que le jackpot est assuré. Il y a les deux leçons à retenir. D'un côté, M6 Mobile, "un licencié" qui revendique 600.000 abonnés en seize mois d'existence et veut atteindre le million d'abonnés en trois ans. Il a contribué positivement aux résultats de M6 au premier semestre 2006. À l'inverse, NRJ Mobile, un "Full MVNO" lancé fin 2005, avait 245.000 clients fins août 2006. Il perd de l'argent et a pesé sur les résultats semestriels de sa maison-mère NRJ Group.

Il y a beaucoup de projets dans les cartons, mais tous ne sont pas viables et intéressants pour les opérateurs de téléphonie mobile qui font leurs choix dans les propositions qui leur sont faites. La marge d'Ebitda (revenus avant intérêts, impôts, amortissements et provisions) des opérateurs de téléphonie mobile est de 30-50%, celle d'un MVNO de 8-15% seulement. Un opérateur de téléphonie mobile passe un accord de MVNO pour attirer une clientèle qu'il n'a pas forcément, mais s'il signe trop d'accords avec des MVNO, cela peut cannibaliser sa propre clientèle.

Et la multiplication d'offreurs low-cost se traduit par une pression tarifaire plus forte qui peut également tirer les tarifs des opérateurs de réseaux à la baisse et avoir un impact sur l'ARPU (Average Revenue per User: le chiffre d'affaires moyen mensuel généré par abonné). La balance est donc difficile à faire, car le marché des MVNO est encore petit en France et il est trop tôt pour chiffrer l'impact financier positif ou négatif pour les opérateurs de téléphonie mobile.

Comment va évoluer selon vous le marché français dans les prochaines années?

Je pense qu'il va y avoir une consolidation du marché français des MVNO dans les trois à cinq ans. Cinq grands acteurs MVNO maximum pourraient subsister dont un low-cost, et puis des petits acteurs de niche. On va vers une "sur-segmentation" des offres commerciales pour toucher de nouvelles cibles, pas seulement les 15-25 ans très privilégiés dans les offres commerciales actuelles.

Il y a ainsi encore peu d'offres spécifiques pour les professionnels ou pour les branchés de high-tech comme le fait Ten en France. On peut aussi faire des offres comme celle de Transatel qui est présent en France, en Belgique et au Luxembourg et qui propose aux habitants des Ardennes, aux transfrontaliers, une offre de téléphonie mobile au même tarif pour leurs appels passés dans et vers ces trois pays.

On peut aussi imaginer des offres spécifiques pour que les communautés étrangères installées en France appellent leur famille à l'étranger. Comme le fait un MVNO en Allemagne, pour la communauté turque ou encore des offres éthiques à vocation caritative ou sociale et à but non lucratif comme Ello Mobile en Belgique. Les bénéfices dégagés par les activités sont versés en partie ou en totalité à des associations caritatives et humanitaires. Autre exemple, aux États-Unis, il y a des offres pour les seniors, ce serait un créneau en France. Outre-Atlantique enfin, Disney a une offre simplifiée pour les enfants, mais cela a été refusé en France, car cela n'est pas adapté à notre législation. Enfin aux États-Unis et en Belgique, il y a des offres pour les fans de sport, ainsi le club de foot de Charleroi a lancé RCSC Mobile.

De nombreuses possibilités existent pour développer le marché et la cible de clientèle. Il y a encore un fort potentiel mais la rentabilité des MVNO reste fragile, soumise aux conditions économiques accordées par les réseaux hôtes.

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