La ville de Denain (20.000 habitants) n'a plus de couverture d'assurance pour ses biens collectifs depuis le début de l'année. Aucun assureur n'a en effet répondu à son appel d'offres. Et la ville a tenu à le faire savoir. La question de l'assurabilité des collectivités locales n'est pas nouvelle. Mais les émeutes urbaines de juin dernier l'ont rendu plus criante, et surtout plus politique. Le gouvernement et le Sénat se sont emparés depuis du sujet pour tenter de remédier à une situation de marché assurantiel totalement déséquilibrée, sur laquelle l'offre est en voie de disparition.
Les collectivités locales recoupent deux univers différents : les petites communes de moins de 10.000 habitants, où les contrats d'assurance sont souscrits de gré à gré et où le marché de l'assurance fonctionne à peu près normalement ; et les villes de plus de 10.000 habitants, soumises à des procédures d'appel d'offres peu adaptées à l'assurance, notamment pour l'analyse des risques, et où les assureurs ont peu à peu déserté le marché, face à une guerre des prix menée par le mutualiste SMACL, qui serait aujourd'hui en faillite s'il n'avait pas été repris en 2021 par la MAIF.
« Le volume des primes a baissé de 20 % entre 2017 et 2022 sur le marché des collectivités locales alors qu'il a grimpé de 25% sur le risque dommages aux entreprises » souligne un assureur. Preuve, selon lui, « de la sous-tarification dramatique du marché, structurellement déficitaire ».
De fait, le constat est largement partagé. Reste à trouver les solutions pour permettre aux communes de s'assurer. L'assurance de responsabilité civile des biens collectifs est certes facultative, mais elle ouvre l'accès au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, autre grand défi des communes et... des assureurs.
Deux rapports
Pas moins de deux rapports apportent leur contribution. Le premier, assez succinct, a été présenté par le sénateur Jean-François Husson à la Commission des finances du Sénat fin mars, avec une quinzaine de recommandations, comme une meilleure régulation du marché sous la responsabilité de l'Autorité de la concurrence et du médiateur de l'assurance. D'autres mesures portent sur la sensibilisation des communes sur le risque, l'alignement des appels d'offres aux procédures de souscription d'assurance, ou bien l'allongement à six mois du préavis en cas de résignation.
L'autre rapport, qui doit être présenté dans quelques semaines, mais dont la teneur a été dévoilée par l'AFP, partage le constat des parlementaires, et pour l'essentiel, les recommandations. Il est le fruit des réflexions de la mission menée par le maire de Vesoul, Alain Chrétien, et par l'ex-président de Groupama, Jean-Yves Dagès, à la demande du gouvernement. « En quelques années, les relations entre collectivités locales et le monde de l'assurance se sont dégradées », soulignent ainsi les auteurs, qui regrettent la présence de seulement deux assureurs sur le marché, Groupama, présent sur les communes rurales, et la SAMCL sur les villes moyennes.
Une mutualisation qui reste à définir
Le point de divergence des deux rapports pourrait être celui de la couverture du risque émeutes urbaines, un risque sur lequel les réassureurs se sont de facto totalement désengagés, laissant les assureurs assumer seuls ce risque. Et la facture peut être lourde : le coût des sinistres des émeutes de juin 2023 sur les biens collectifs dépasse les 200 millions d'euros alors que les primes collectées ont été seulement de 540 millions en 2022. Du coup, les assureurs sont contraints de renvoyer une grande partie de ces risques aux collectivités, via des franchises, des hausses prohibitives de tarifs, ou plus simplement, par un refus d'assurer et des résiliations.
Les communes les plus importantes pourraient se tourner vers l'auto-assurance, comme le suggère la ministre des collectivités territoriales Dominique Faure, dans une interview au groupe Ebra (L'Est Républicain, Le bien public, Le Progrès...). Pour les autres, il s'agit de mettre en place un mécanisme de mutualisation, dont les contours restent cependant flous.
À ce sujet, le Sénat préconise un dispositif proche de celui du régime des catastrophes naturelles. Le rapport Chrétien/ Dagès semble plutôt privilégier le modèle de la couverture du risque attentats (Gareat). « Ces deux dispositifs me semblent mal adaptés au risque des émeutes », juge cependant Thierry Martel, directeur général de Groupama, en marge de la présentation des résultats annuels le 19 avril dernier.
Mais les deux rapports envisagent une nouvelle contribution sur les contrats d'assurance pour financer une dotation à un fonds « émeutes ». Ce qui pourrait s'avérer compliqué à faire accepter à l'heure déjà où la surprime « catastrophes naturelles » va passer de 12% à 20 % sur les contrats habitation à partir de 2025.
Débats à venir
Pour l'heure, aucune solution ne semble véritablement émerger. D'ailleurs, la ministre se montre très prudente sur le sujet : « Il faut réfléchir à une réponse spécifique qui fera l'objet de discussions dans les prochains mois », a-t-elle indiqué dans son entretien.
C'est bien sur cette question de mutualisation, avec en filigrane l'intervention ou non, de l'Etat, qui sera au cœur des arbitrages à venir. Avec en toile de fond, la montée de la violence en zones urbaines et péri-urbaines. « L'ampleur des sinistres n'est pas complètement indépendante de la façon dont les Etats gèrent le maintien de l'ordre », relève un assureur. Est-ce à dire qu'il faut retirer les émeutes urbaines de la couverture d'assurance ? « Les insurrections urbaines ne sont finalement pas très loin du risque de guerre », glisse ainsi ce même assureur.
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