Concilier sobriété énergétique et budgétaire : la difficile équation que veut résoudre Bercy

Réduire drastiquement la consommation d’énergie des Français, tout en rationalisant les dépenses publiques censées les accompagner dans cette voie : tel est l’objectif du ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Un numéro d’équilibriste, qui se traduira, entre autres, par la publication dès cet été d’un outil de mesure comptable de l' « efficacité des dispositifs » de lutte contre le changement climatique. Le but : « s'assurer que chaque euro dépensé pour le climat est dépensé efficacement » sous peine de diminuer, voire supprimer l'aide en question.
Marine Godelier
(Crédits : POOL)

Le ministère de l'Economie et des Finances continue de dérouler sa stratégie pour rationaliser les dépenses publiques. Après avoir annoncé il y a trois semaines un plan massif pour économiser 10 milliards d'euros dans le budget 2024, le locataire de Bercy, Bruno Le Maire, s'attaque désormais à un vaste sujet : la conditionnalité des aides à la transition énergétique. « Celles-ci doivent se traduire par une baisse réelle et significative des émissions de CO2. Vous devez en avoir pour votre argent », a-t-il en effet déclaré lundi depuis le site de General Electric HealthCare, dans les Yvelines, à l'occasion d'un déplacement consacré aux économies d'énergie et à la sobriété énergétique. Le mot d'ordre : « s'assurer que chaque euro dépensé pour le climat est dépensé efficacement »...sous peine de diminuer, voire supprimer l'aide en question.

Ainsi, « dès l'été prochain », le gouvernement publiera « de manière totalement transparente » la mesure comptable de l' « efficacité des dispositifs » de lutte contre le changement climatique, a annoncé le ministre. « Notamment pour les certificats d'économie d'énergie [CEE, ndlr] », attribués sous certaines conditions aux acteurs éligibles réalisant des opérations d'économies d'énergie, et qui « représentent 4 à 6 milliards d'euros de dépenses chaque année », a souligné Bruno Le Maire. Mais aussi, plus généralement, les instruments pour accompagner les ménages, les entreprises et les collectivités pour rénover les bâtiments, décarboner les transports ou encore diminuer la facture énergétique.

L'objectif affiché : « augmenter » le recours à certains de ces mécanismes, mais également en « réduire d'autres » en fonction des résultats de cette comptabilité. En outre, les critères évalués seront « le volume de CO2 que vous arrivez à réduire [...] et les émissions de gaz à effet de serre que vous arrivez à diminuer », a fait valoir le ministre.

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10 milliards d'euros pour la rénovation énergétique

Pour le justifier, Bruno Le Maire a mis en avant le « coût considérable » de ces aides. « Nous dépensons pour la seule rénovation énergétique [...] via la TVA à taux réduit, MaPrimeRénov' ou encore la rénovation des bâtiments de l'Etat [...] plus de 10 milliards d'euros », a-t-il lancé. Soit un montant équivalent au plan d'économies pour 2024 sur les dépenses de l'Etat, a-t-il insisté. Interrogé sur le fait de savoir s'il y avait une absence d'évaluation de ces dépenses jusqu'alors, celui-ci a répondu qu'il existait des indicateurs, mais qu'ils étaient « très discutés ».

Pour rappel, selon un rapport commandé par Elisabeth Borne à Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz et publié en mai 2023 par France Stratégie, « la décarbonation va appeler à un supplément d'investissement » public et privé de 66 milliards d'euros par an. Résultat : « les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l'effort » et donc à alourdir l'endettement de l'Etat, de l'ordre de 10 points de PIB en 2030 (soit au moins 280 milliards d'euros, NDLR), 15 points en 2035, 25 points en 2040, selon ce document.

Un endettement « légitime », avait néanmoins affirmé Jean Pisani-Ferry lors d'une présentation à la presse, alors que la discipline budgétaire n'est pas au rang des priorités pour les Américains ni pour les Chinois, selon l'économiste. « Il y a beaucoup de mauvaises raisons de s'endetter, le climat n'en fait pas partie », avait ajouté l'ancien conseiller d'Emmanuel Macron, demandant à l'Europe de revoir ses règles, alors que le Vieux continent « ne peut pas être à la fois championne du climat, du multilatéralisme et de la vertu budgétaire ».

Manifestement, ce n'est donc pas la stratégie du gouvernement, pour qui l'ère du « quoi qu'il en coûte » est révolue. Celui-ci a d'ailleurs annoncé récemment que le dispositif d'aide aux travaux de rénovation énergétique MaPrimeRénov' devra économiser un milliard d'euros sur son budget pour 2024. Mais également le Fonds vert, ce dispositif effectif depuis janvier 2023 destiné à financer des projets présentés par les collectivités territoriales, raboté à hauteur de 400 millions d'euros.

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Diminuer de moitié la consommation d'énergie d'ici à 2050

Dans le même temps, pourtant, les objectifs deviennent de plus en plus ambitieux : d'ici à 2050, il faudra « diminuer de près de moitié notre consommation totale d'énergie en France par rapport à 2024 », a également affirmé lundi Bruno Le Maire. Dit autrement, il s'agira de passer de 1.600 TWh d'énergie consommée dans le pays aujourd'hui, tous usages confondus (bâtiments, transport, industrie...), à 900 TWh seulement à la moitié du siècle. Un « sacré défi », a reconnu le ministre, annonçant par ailleurs que la fameuse campagne de sobriété « Je baisse, j'éteins, je décale » sera reconduite à l'automne. « La sobriété ne doit pas être la solution d'un hiver, mais une habitude pour passer le siècle », a-t-il justifié se félicitant d'une baisse de « 12% des consommations de gaz et d'électricité » dans le pays.

Mais pérenniser ce mouvement ne sera pas chose aisée. Car selon les spécialistes, celui-ci ne doit pas reposer sur la bonne volonté des consommateurs, mais sur une approche systématique organisée.

« Il y a une part de changement individuel, mais cela ne peut être qu'une petite partie du chemin. En fait, il ne s'agit pas simplement de dire aux gens de fermer le robinet quand ils ne l'utilisent pas, mais de changer les infrastructures et les manières de produire », expliquait il y a quelques mois à La Tribune Thomas Pellerin-Carlin, alors directeur du centre énergie de l'institut Jacques Delors.

Dans son rapport de mai 2023, France Stratégie aborde d'ailleurs ce sujet : « Au fil de phases successives se sont graduellement imposés des modes de vie de plus en plus énergivores. La périurbanisation a ainsi installé une dépendance à la voiture individuelle [...]. Éloignement des commerces, des services publics, des lieux de loisir et des aménités urbaines ont solidifié un mode de vie qui crée une forte inertie dans la consommation des ménages. Envisager la sobriété en ignorant cette dimension systémique est donc illusoire », peut-on lire.

Difficile, donc, de parvenir à ces changements drastiques de mode de vie sans investissements massifs de la part de l'Etat, dans le cadre de politiques publiques ambitieuses, estiment de nombreux spécialistes du sujet. Une vision que ne partage pas Bruno Le Maire, décidément convaincu que sobriété budgétaire et sobriété énergétique iront de pair.

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Marine Godelier

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Commentaires 17
à écrit le 12/03/2024 à 12:57
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"diminuer de près de moitié notre consommation totale d'énergie en France par rapport à 2024" l'année 2024 n'étant pas terminée, c'est difficile de voir ce que ça signifie. Je consomme 30% de gaz de moins qu'avec l'ancienne chaudière (& 4 fois moins ...

à écrit le 12/03/2024 à 10:18
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En même temps, les parlementaires se sont attribués un supplément de rémunération : 300 € par mois pour les députés, 700 € pour les sénateurs. Alors ce gouvernement ferait mieux de ne pas rogner sur les dépenses dont bénéficient les petites gens. !...

à écrit le 12/03/2024 à 9:13
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Il faudrait lancer le programme "comment faire des économies; savoir compter sur ses doigts et de tête" dès la maternelle. On peut espérer des résultats dans une vingtaine d'années; nos parlementaires et nos ministres de cette époque sauront rétablir...

à écrit le 12/03/2024 à 8:25
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Geler toutes les prestations sociales pendant 3 ans permettrait de faire bcp plus d'économies. Et ça aiderait à changer les mentalités qui pênalisent notre économie

le 12/03/2024 à 8:31
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En effet si on supprimait les centaine de milliards déversés sur l'économie privée sans raison justifiée les caisses publiques seraient sauvées. Ah non c'est vrai toi tu veux économiser 100 millions par an sur les pauvres tandis que je te parle de ré...

le 12/03/2024 à 8:49
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A ceci près que baisser TOUTES les prestations sociales pénaliserait en priorité des populations au seuil de survie et rendra encore moins attractif des métiers peinant à recruter... et là où il y a le plus mauvais gras dans lequel tailler, là, ça fr...

le 12/03/2024 à 9:12
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@Adieu BCE. Et sur l'autre versant de votre prisme radical, arrêter totalement les subventionnements aux tenants du grand Capital et la socialisation des pertes (ainsi que le transfert des primes de risque sur l'État) des "bandits manchots" de l'écon...

le 12/03/2024 à 9:15
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c est pas au contribuable a completer le salaire de ceux qui travaillent pour qu ils puissent vivre. Il faut que le travail paie et que si une entreprise paie pas assez eh bien elle ne trouve personne (comme l experimentent nos restaurateurs). Donc ...

le 12/03/2024 à 11:07
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"Il faut que le travail paie" Oui oui la chimère habituelle, et la paix dans le monde et que tout les gens soient heureux au fabuleux pays imaginaire. Donc d'abord ils paient le travail à sa juste valeur et ensuite on retire les aides aux gens dans l...

le 12/03/2024 à 11:59
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Et on essore encore un peu plus les classes moyennes au seul bénéfice des 10% de la population la plus riche .Exemple baisse des apl , doublement des franchises médicales pour tout le monde et suppression de l'isf et instauration de la flat tax pour ...

à écrit le 12/03/2024 à 8:08
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Si le Gulf Stream s’effondre, l'énergie ultra chère vous la paierez encore plus chère que nous les gars vous-mêmes nos tortionnaires, c'est à peu près certain.

à écrit le 12/03/2024 à 7:21
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Bonjour, lorsque l'ons constate la quantité d'argent qui quitte notre pays par l'évasion fiscales, ile est claire que la pointe d'efforts pourra etre la fraudes et autres.... Bien sur ils ne faut pas le dire...

à écrit le 12/03/2024 à 5:48
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Continuer comme il le fait une augmentation annuelle de 10 points minimum voilà la meilleure solution pour baisser la consommation et augmenter la vente des plaids et bouillottes. Un comique qui se prend au serieux.

à écrit le 11/03/2024 à 23:19
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Qu'il abandonne donc ses sanctions "mondaines" contre la Russie ; elles nous ont mis en si grandes difficultés...

à écrit le 11/03/2024 à 22:18
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Bruno Le Maire est un bon ministre du budget.

le 11/03/2024 à 23:39
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@Dossier 51: Excellent ministre, en effet, pour le déficit, la dette et le roman; mais il ne règne plus sur les "comptes publics", domaine d'un normalien énarque inspecteur des finances, Thomas Cazenave. La France et nous y gagneront-ils?

à écrit le 11/03/2024 à 20:27
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Pour atteindre la sobriété budgétaire, il faudrait également une sobriété démographique car on compare souvent la France avec des pays ayant arrêté de faire des enfants depuis des décennies, d'où des écoles moins surchargées et plus efficaces, moins ...

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