Fusion des réseaux, Boursorama, leasing automobile : comment Frédéric Oudéa réinvente Société générale

ENTRETIEN. Société générale revient de loin. Leader sur les activités de marché il y a vingt ans, la banque a subi de plein fouet la crise financière de 2007. Depuis, elle se cherche une stratégie sous la houlette de son directeur général, Frédéric Oudéa. Après des années de rationalisation et de restructurations, le groupe est désormais engagé dans trois grands projets structurants : la banque en ligne avec Boursorama, la fusion des réseaux avec le Crédit du Nord et le rachat de Lease Plan par ALD pour devenir leader dans les solutions de mobilité. Pour La Tribune, Frédéric Oudéa revient sur sa vision de l'évolution du groupe dans les prochaines années dans un univers bancaire en profonde mutation.
Directeur général de Société générale depuis 2008, et à ce titre doyen des dirigeants des grandes banques françaises, Frédéric Oudéa engage une vaste transformation de son groupe.
Directeur général de Société générale depuis 2008, et à ce titre doyen des dirigeants des grandes banques françaises, Frédéric Oudéa engage une vaste transformation de son groupe. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - 2021 aura été une année record pour l'économie mais aussi pour le secteur bancaire. Comment abordez-vous l'année 2022 ?

FREDERIC OUDEA - En 2021, nous avons vécu un très fort rebond des économies partout dans le monde. Les étoiles étaient donc alignées cette année pour la majorité des secteurs y compris pour le secteur bancaire, malgré la persistance des taux bas, voire négatifs. L'année 2022 s'ouvre avec davantage d'incertitudes. Les économies vont retrouver un rythme de croissance plus normal. Je pense qu'il y aura donc un atterrissage progressif. Les pénuries de matières premières ou de semi-conducteurs vont sans doute se poursuivre. Des tensions sur les salaires émergent ainsi que des pénuries de main-d'œuvre. Il y a des questions sur l'inflation. Retour à la situation d'avant crise sanitaire en 2022 ? Ou nouveau cycle d'inflation élevée ? Je n'ai pas à ce jour de réponse.

Et le risque sanitaire ?

Cette épée de Damoclès existe toujours au-dessus de nos têtes. Mais je ne crois peu à un retour au scénario de mars 2020, à la fois au regard des événements mais aussi des enjeux attachés à un nouvel arrêt des économies, notamment sur un plan financier. Nous nous sommes adaptés à ce virus et il faudrait une situation dramatique pour que les populations acceptent un nouveau confinement.

Comment le secteur bancaire va-t-il encaisser la normalisation attendue de l'économie ?

Nous venons de vivre un moment un peu exceptionnel en 2021 avec ce rebond très fort. Mais l'activité des entreprises devrait rester dynamique en 2022. Dans un monde en changement, les entreprises vont continuer à réfléchir à leur modèle économique, à saisir des opportunités, à investir. Les besoins de financement et d'expertise sont considérables pour mener à bien la transition énergétique des entreprises et nous allons les accompagner dans ce changement. Ce sont des facteurs structurels de soutien très fort pour les Banques. Il y aura également une normalisation progressive des taux d'intérêt, même s'il peut exister à court terme un découplage entre les États-Unis qui vont probablement augmenter leur taux d'intérêt en 2022 et l'Europe qui ne le fera sans doute pas aussi rapidement.

2021 marque également le grand retour du secteur bancaire en Bourse !

Il y a eu certes un rebond significatif du secteur en général et de Société générale en particulier. Mais force est de constater que le compte n'y est pas encore. La valorisation du secteur souffre toujours d'incertitudes sur les réglementations, sur les taux et l'interruption en 2020 du versement des dividendes a fait mal. Sur les marchés, nous sommes toujours face à une forte dichotomie entre des classes d'actifs qui séduisent énormément les investisseurs, comme la Tech, et des classes d'actifs qui restent toujours mal valorisées et sur lesquels les investisseurs se posent des questions. Le secteur bancaire en fait partie. Toutefois, une remontée progressive des taux représenterait en soi une meilleure perspective pour le secteur.

Le décalage est notamment frappant avec les valorisations atteintes par certaines néobanques. Comment analysez-vous ce phénomène ? Est-ce un effet de bulle ou quelque chose de plus structurel?

Nous sommes probablement dans une forme d'exubérance. Il y a une meilleure valorisation de ces acteurs parce qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes réglementaires et qu'ils délivrent une promesse de croissance très forte. Cette promesse doit désormais être tenue non pas uniquement en nombre de clients mais également en revenus et en profits. Il n'existe pas encore suffisamment de discriminations entre ceux qui vont réussir à transformer un modèle avec beaucoup de clients mais peu de revenus à un modèle plus diversifié avec davantage de sources de revenus tout en conservant leur base de clientèle. Tous ne vont pas réussir. Il y aura donc un retour à une réalité tangible : la capacité à générer des profits.

A quel point ces nouveaux acteurs peuvent bousculer une banque comme la vôtre ? Comment organisez-vous la contre-attaque face à ce risque « d'amazonisation » de la banque ?

Rappelons tout d'abord que les banques ont une forte spécificité, celle de collecter des dépôts et de l'épargne et de les garantir ! C'est une différence fondamentale par rapport à la majorité des nouveaux acteurs qui se positionnent plutôt à la marge du secteur bancaire. Peu d'entre eux ont fait jusqu'ici le choix de basculer sur un statut bancaire, profondément régulé. Il y a aura sans doute une forme de convergence entre certains de ces acteurs nouveaux qui vont progressivement venir vers un statut de banque en étoffant leurs offres, et des acteurs, comme Société générale, qui transforment leur modèle, en développant de nouvelles offres ou en élargissant ses frontières vers de nouvelles activités.

J'ai deux exemples en tête concernant Société Générale. Le premier, c'est le développement de notre banque en ligne Boursorama. C'est une vraie réponse à ces enjeux de transformation et de diversification. Boursorama a fait la démarche inverse de nombreuses néo-banques : elle a d'abord assuré une offre complète de services avant de s'engager dans une politique très offensive de conquête de clients. Ce ne sera pas simple pour les nouveaux acteurs de compléter leur gamme et d'offrir un service équivalent.

Deuxième exemple, notre filiale ALD, spécialisée dans la location de flottes automobiles pour les entreprises et les particuliers. Le monde de la mobilité est en pleine révolution, passant d'un monde de la propriété à celui de l'usage, et nous nous mettons en capacité d'accompagner ce changement en proposant non seulement des solutions de leasing mais également des services digitaux pour multiplier nos sources de revenus.

Bref, je pense que le futur des banques c'est notamment d'être capable de penser de manière un peu disruptive aux nouvelles façons d'exercer leur métier. Pourquoi ne pas explorer de nouveaux métiers au prétexte que nous sommes une banque ? Nous sommes dans un monde de nouvelles opportunités et Boursorama et ALD en sont des bons exemples pour Société Générale.

Serez-vous toujours une banque en 2030 ?

Bien sûr ! Car, au fond, c'est quoi une banque ? C'est un partenaire de confiance, qui fait notamment que vos dépôts et votre épargne sont protégés, tout comme d'ailleurs vos données bancaires. Tout l'enjeu d'une banque est de rester un partenaire de confiance pour ses clients tout en élargissant son spectre d'activités.

Ou en êtes-vous du rapprochement entre ALD et le numéro un mondial du leasing LeasePlan ? A quel point cette opération sera structurante pour le groupe ?

Nous avons effectivement l'opportunité de rapprocher le numéro un mondial Leaseplan avec notre filiale ALD et donc de créer, de très loin, le premier acteur des solutions de mobilité. C'est un dossier complexe, notamment sur le plan de la structuration de cette offre, qui n'est pas certain d'aboutir. Nous devrions y voir plus clair dans les prochaines semaines. Si l'opération devait se réaliser, Société Générale conserverait le contrôle majoritaire d'ALD.

En cas de réussite, ce serait la plus importante acquisition jamais réalisée par le groupe dans son histoire. Il est très rare d'avoir l'opportunité de créer un leader incontesté. Cette opération permettrait également à l'horizon 2030 de créer un troisième pilier d'activités pour le groupe Société Générale, celui des solutions de mobilité qui viendrait compléter nos piliers banque de détail et banque de financement et d'investissement. La gestion de flottes automobiles est une activité rentable que nous allons pouvoir enrichir de nouveaux services. C'est encore une histoire à écrire.

Est-ce une « nouvelle » Société générale que vous nous annoncez ?

Au-delà des résultats financiers qui seront historiques pour Société générale, 2021 a été en effet une année fondamentale pour nous. Nous n'avons jamais eu autant de projets structurants et transformants menés en parallèle sur la même période.

Premier projet, nous avons engagé le projet très ambitieux de fusionner en France nos deux réseaux de banque de détail (Société générale et Crédit du Nord) pour créer une nouvelle banque. C'est le projet numéro 1 du groupe. Cette nouvelle banque, qui verra le jour début 2023 mais qui offrira tout son potentiel à horizon 2024/2025 sera radicalement différente dans sa façon de fonctionner et de s'adresser à ses clients. Cette nouvelle Banque sera plus réactive, accessible et efficace.

Le deuxième projet, c'est Boursorama qui caracole en tête des classements de la banque la moins chère en France avec la meilleure satisfaction client. Elle est le leader incontesté en France de la banque en ligne. Autre projet, sur les services financiers, avec ALD et LeasePlan, nous avons la possibilité de constituer un nouveau pôle, potentiellement très créateur de valeur.

Enfin, sur notre activité Banque de financement et d'investissement, nous avons apporté une réponse convaincante aux problèmes que nous avons connus au premier semestre 2020 sur les dérivés actions et présenté en mai dernier une feuille de route stratégique ambitieuse. Nous avons réussi, cette année, à ajuster notre profil de risque tout en préservant nos franchises. Et cette année, cette activité va connaître une performance record dans l'histoire de la banque. Bref, nous abordons l'année 2022 avec un agenda très chargé de projets stratégiques. A l'horizon 2025, ces projets ayant abouti, le profil de la banque sera très différent.

Le centre de gravité de la banque va-t-il se déplacer de la banque d'investissement aux activités de retail ?

Avec les projets de rapprochement des réseaux de banque de détail en France et le projet ALD-LeasePlan, il est certain que nous allons allouer plus de capital sur les activités de détail et de services financiers que sur les activités de banque d'investissement. Avant la crise financière de 2007, beaucoup de profits provenaient des activités de marché, y compris pour compte propre. Après la crise financière, nous avons radicalement transformé notre modèle vers un modèle plus orienté client. Et l'année 2021 démontre la qualité de nos fonds de commerce : les produits ont changé, les clients sont restés. Mais en parallèle, nous développons nos activités de détail, y compris à l'étranger, pour équilibrer notre modèle et le rendre plus résilient.

Etes-vous candidat au rachat du fonds de commerce d'ING France ?

Pas de commentaire sinon que Boursorama récupérera probablement, quelque soit l'issue de ce dossier, des clients !

Les annonces se multiplient dans le domaine de la RSE et de la lutte contre le réchauffement climatique. Qu'est-ce que cela signifie réellement ?

C'est une vraie révolution qui s'accélère ! 2020 et 2021 auront sans doute été des années pivot. La RSE, c'est complètement repenser la manière dont nous pratiquons nos métiers. Nous venons d'annoncer des ajustements de responsabilité au sein de la direction générale afin justement de mieux incarner les principaux défis qui nous attendent.

Ainsi Diony Lebot va se recentrer sur l'ensemble des sujets RSE et des services financiers spécialisés. Gaelle Olivier, qui prendra ses fonctions le 17 janvier prochain, s'occupera du Digital et de l'innovation qui est le deuxième sujet majeur de transformation. Les autres membres de la direction générale conservent leurs périmètres actuels : Philippe Aymerich les réseaux de banque de détail à l'international et la supervision de Boursorama, Slawomir Krupa la banque de Financement et d'Investissement, et enfin Sébastien Proto les réseaux de Banque de Détail en France et la banque privée.

Sur le sujet du climat, c'est d'abord le mix énergétique qui est essentiellement concerné et nous faisons évoluer nos portefeuilles de crédit en conséquence. Nous avons pris des engagements très forts : nous sortons complètement de la filière charbon en 2030 pour les entreprises basées dans les pays de l'UE ou de l'OCDE, et d'ici 2040 dans le reste du monde. Nous réduisons également de 10 % nos financements sur l'extraction du pétrole et du gaz en valeur absolue d'ici 2025. Le Groupe est par ailleurs en avance sur l'objectif de contribuer pour plus de 120 milliards d'euros dans la transition énergétique entre 2019 et 2023, à travers une offre de solutions de financement durable dédiée.

Mais le sujet dépasse le secteur de l'énergie. Sur l'industrie automobile par exemple, nous allons devoir mesurer les engagements pris en faveur des véhicules électriques et comment un financement aide le constructeur à mener sa transformation. C'est bien là où réside toute la complexité de la transition. Il faut prendre en compte et définir les nouvelles normes et comprendre les nouvelles technologies mises en œuvre. Il faut également tenir compte du rythme de transformation différent entre les différents secteurs mais aussi entre les différents pays. Les banques françaises jouent collectif et travaillent ensemble sur tous ces sujets. Nous avons clairement une responsabilité historique et des enjeux pédagogiques forts. Il faut arriver à trouver le bon rythme et forger des consensus pour éviter des conflits potentiels entre générations.

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