"Ce sont d'abord les gouvernements qui ont commis des erreurs"

Pour le patron de la société d'investissement, les dérives des financiers ne sont pas les seuls responsables de la crise.

La crise a pris une nouvelle dimension depuis septembre 2008. Etes-vous surpris par sa profondeur et sa durée?

Patrick Sayer : En vérité, non. J'ai été inquiet dès le printemps 2007, lorsque le marché immobilier américain a commencé à ralentir. C'est d'ailleurs à ce moment que nous avons pris les premières mesures de prudence au sein d'Eurazeo, en redoublant de vigilance sur la gestion de notre trésorerie et en sécurisant le prix de cession de nos titres Veolia.

Néanmoins, l'impact de la crise sur les banques ne dépasse-t-il pas tout ce que vous auriez pu imaginer?

J'ai depuis le début eu une inquiétude concernant la qualité des actifs présents dans le bilan des banques. Après un rapide calcul, il était aisé de constater que si la somme des actifs « toxiques » était provisionnée par les établissements de crédit, les conséquences sur l'offre de crédit, et donc sur l'économie, seraient considérables. Les équipes en place aux Etats-Unis avaient normalement toutes les compétences. La présence de Ben Bernanke, un économiste réputé, à la tête de la Réserve fédérale américaine, ainsi que celle de Henry Paulson au secrétariat du Trésor laissait penser que la situation était sous contrôle. Mais, après la faillite de Lehman Brothers le 16 septembre, la question de la solvabilité des banques a vraiment commencé à se poser. Et les inquiétudes quant à leur capacité à octroyer des crédits ont émergé.


Afin de réalimenter la machine du crédit et ainsi aider les entreprises à faire face à la crise, estimez-vous qu'il faudrait « nettoyer » une fois pour toutes les bilans des banques en isolant les actifs toxiques?

Une chose est certaine, il faut contenir coûte que coûte la dégradation du bilan des banques. Elle empêche tout redémarrage de la distribution de crédits à l'économie. Les banques ne peuvent pas prêter plus que ce qu'autorisent les règles de Bâle II en matière de solvabilité. A ce propos, ces règles ne contribuent pas à améliorer la situation, bien au contraire. En fait, il existe une contradiction : les établissements de crédit doivent à la fois sécuriser leur bilan en conservant une grande quantité de fonds propres et distribuer plus de crédits à la demande de l'Etat. Pour elles, l'équation est difficile à résoudre. A mon avis, il faudrait abaisser, au moins à titre temporaire, le ratio minimum de fonds propres de 8 % actuellement à 6 ou 5 %, tout en révisant les normes comptables qui valorisent des actifs détenus sur une longue période sur la base de critères de court terme. A plus long terme, la question posée est à mon avis la question de la taille des banques quand je vois les monstres créés, banques de dépôts, de crédit, de marché, de détail, de particuliers, de grandes entreprises, bancassureurs, gestionnaires de capitaux multi marchés, multi devises, je me dis qu'ils échappent aux règles les plus élémentaires de contrôle de risques et que, quelles que soient les compétences de leurs dirigeants, il est inimaginable qu'ils puissent réellement en maîtriser la complexité. D'où le recours à des modèles dont on connaît désormais les limites en période de volatilité extrême.


 A quelle échéance pourrait-on entrevoir une sortie de crise?

Il faut espérer que l'enthousiasme qui règne depuis l'élection de Barack Obama permettra de réveiller l'Amérique, dont nous sommes largement dépendants. Si les Etats-Unis sortent de la crise à la fin de l'année, compte tenu du décalage qui existe pour que le phénomène traverse l'Atlantique, la France pourrait sortir la tête de l'eau mi-2010.

La crise a gelé le marché des grands LBO (rachats par effet de levier). Comment les fonds et les sociétés d'investissement comme Eurazeo investiront-ils demain?

Dans LBO, il y a le « L » de levier, c'est-à-dire la dette. Comme il n'y a plus de dette, il n'y a plus de « BO », c'est-à-dire de rachat. C'est un problème qui se pose surtout pour les gros LBO, très gourmands en dette. Mais il faut rester optimiste car avec la crise, deux grands financeurs de l'économie ont cédé du terrain, ce dont devraient bénéficier les acteurs du capital-investissement. En effet, les banquiers prêtent maintenant très difficilement et les levées de capitaux sur les marchés boursiers sont devenues compliquées. Cela dit, il va falloir réapprendre à investir en fonds propres, sans recours à l'endettement. Eurazeo, qui dispose d'une trésorerie nette de près de 400 millions d'euros, d'une ligne de crédit syndiqué de un milliard d'euros et d'une réserve de titres cotés liquides de plus de 400 millions d'euros, a les capacités de s'adapter à ces évolutions.


Le capital-investissement va mal. Certains acteurs du marché disparaîtront certainement. Quel rôle pourrait avoir Eurazeo dans une consolidation du secteur?

Dans un contexte difficile, certains fonds ou sociétés d'investissement éprouvent plus de difficultés que d'autres. Eurazeo a évité plusieurs écueils en restant fidèle à un certain nombre de principes simples : l'équilibre du portefeuille, la rotation des actifs et, chose très importante, l'absence de dette structurelle au bilan de la société mère. Aussi, nous avons toujours attaché beaucoup d'importance à la qualité des entreprises dans lesquelles nous investissons, en examinant de près la qualité du management, la rentabilité de l'entreprise, les barrières à l'entrée du marché et la pérennité des cash flows.
Tout le monde n'a pas fait cela. Certains ont pris des risques en menant des investissements dont la taille ou les enjeux les dépassaient complètement. Ces fonds sont aujourd'hui en butte à des problèmes de confiance de la part des investisseurs qui leur ont confié de l'argent. Assez naturellement, ces investisseurs souhaiteront se tourner vers des acteurs dont la stratégie d'investissement s'est avérée plus prudente. S'y ajoute le fait que de nombreux institutionnels, qui ont un besoin pressant de liquidités, céderont des portefeuilles de private equity (capital-investissement, ndlr). Nous avons déjà été en discussion avec au moins deux d'entre eux. Pour Eurazeo, ce qui a du sens reste de prendre des participations dans des entreprises en y investissant au moins 100 à 200 millions d'euros.

Un retour vers plus de capital développement implique moins d'effet de levier, donc moins de rendement. Ne serait-il pas difficile de l'expliquer aux investisseurs si Eurazeo se tournait vers ce type d'investissement?

Les actionnaires d'Eurazeo ont toujours été habitués à obtenir un rendement de 15% et plus... Si nous pouvons continuer à leur apporter un tel niveau de performance, ils en seront ravis et continueront à faire confiance à l'équipe de direction en place. Et même si le capital-développement apporte traditionnellement un rendement inférieur au LBO, cette différence tend à s'estomper avec la crise. En outre, il faut garder à l'esprit que c'est un investissement relativement moins risqué. Il faut toujours raisonner par rapport au couple rentabilité-risque. Il est clair que nous ne dépasserons plus, en tout cas dans un avenir proche, les 50% de rendement comme cela avait pu être le cas pendant les années fastes.


Le titre Eurazeo a perdu 20,95% depuis le 1er janvier. Cette baisse est-elle justifiée?

Je ne le pense pas, même s'il est difficile d'affirmer que les marchés se trompent. Le problème est que le marché, fortement baissier, ne fait pas forcément encore de distinction entre les acteurs d'un même secteur. Ainsi, le LBO et le private equity dans son ensemble ont été décriés au point que nous valons aujourd'hui moins que la valeur de nos titres cotés et de notre trésorerie. Certains jugent que nos investissements non cotés valent zéro, non pas parce que leurs fondamentaux sont mauvais mais parce qu'ils ont été rachetés avec une part de dette. De même, nos actifs immobiliers cotés, bien que de grande qualité, sont largement sous valorisés. Rappelons qu'aucune de nos participations consolidées n'a de problèmes de « covenants » au 31 décembre 2008 et que leurs financements sont globalement assurés pour plusieurs années. Parmi nos participations, B&B fait preuve d'une croissance robuste, notamment en termes de revenu moyen par chambre. Elis respecte le plan de marche prévu, grâce à sa présence sur des segments de marché qui ne sont pas affectés par l'environnement actuel, tels que les hôpitaux ou les maisons de retraite. Quant à Rexel et Europcar, ce sont des sociétés plus sensibles à la conjoncture mais qui ont su montrer une forte capacité d'adaptation au nouvel environnement de marché.

La décision du président de la République Nicolas Sarkozy demandant la suppression des bonus et des dividendes des banquiers vous semblent-elles justifiées?

La suppression du bonus comme contrepartie du soutien de l'Etat est légitime. En revanche, ce qui peut surprendre est que cette mesure, même si elle conserve un sens au niveau politique, soit imposée après coup. Je crois qu'il est important de laisser aux conseils d'administration, responsables devant les actionnaires, les prérogatives qui sont les leurs. Dans cette crise particulièrement complexe, il faut éviter de jouer aux apprentis sorciers. Certes, il y a eu des excès de la part des financiers mais la cause première de la situation actuelle a été la faillite des régulateurs du système financier américain. Le fait d'avoir laissé ne serait-ce qu'exister des crédits hypothécaires si risqués, d'avoir permis à des gens de s'endetter à des conditions usuraires, est scandaleux ! Le fait d'avoir laissé les agences de notation avoir le rôle d'officiers ministériels, sans aucune contrainte, sans aucune régulation, c'est de la folie furieuse ! Le fait que la Réserve fédérale américaine (Fed), Alan Greenspan en tête, ait abaissé à ce point le loyer de l'argent après le 11-Septembre pour soutenir la croissance américaine avec la bénédiction du gouvernement américain, parce que cela lui permettait de payer le coût social de sa guerre, a été une mauvaise décision ! Dans cette affaire, ce sont d'abord les gouvernements qui ont commis des erreurs.  Enfin, je trouve très choquant que l'on nous parle de retour de l'éthique et de la morale alors qu'un homme, qui a avoué avoir abusé de la confiance des épargnants en les spoliant de la somme de 50 milliards de dollars, est toujours en liberté. C'est le symptôme d'un système qui ne fonctionne pas.
 

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Commentaires 11
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La crise des subprimes est du à l'interventionisme du gouvernement américain qui a voulu favoriser l'accés à la propriété des pauvres sans aller au bout de sa logique c'est-à-dire ans s'assurer de leur solvabilité quoiqu'il arrive notamment en cas de...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Est-il vrai que les errements sont antérieurs à la gestion BUSH et que le Congrès ait refusé à ce dernier les moyens de les corriger?

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les banquiers voyous français n'étaient pas obligés d'acheter des produits toxiques. Les Naquiers voyous ont commis des délits de recel de produits toxiques, pire les banquiers voyous ont dissimulé les produits toxiques achetés aux américains dans de...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bizarre, Eurazeo annonçait il y à peine quelques mois une trésorerie beaucoup plus importante que le chiffre cité dans l'interview. Une autre précision, le levier du LBO redoutable en période de croissance et aussi redoutable mais en négatif en pério...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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TF, es-tu sur de comprendre ce dont tu parles ? Sinon cet article est sans utilite... Le contenu est du deja vu/deja dit et la forme un coup de pub pour Eurazeo... pour qui les choses ne sont pas si vertes que cela...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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vanité, tout n'est que vanité

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Eurazero

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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oui

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Si les gouvernements ont fait des fautes, pourquoi les grands "X" à la tête des fonds ou assimilés n'ont pas profité de ces erreurs?...Pas vues, bévues ou erreurs de calculs? Le plus minable footeux sait qu'il faut profiter des fautes de l'adversaire...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'article est un plaidoyer pro domo culotté . La faute d'abord aux gouvernements est à demi juste dans la mesure où le krach financier provient d'un sauvetage bancaire par la puissance publique , il s'agit bien des USA , à l'occasion du désastre des ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La justice est sourde et aveugle, pour une catégorie d?individus, malgré ses ordonnances notre justice est victime d?un mal incurable, la maladie du notable intouchable ! Même dans les cas extrêmes. Le meurtre, le mensonge, l?hypocrisie en oppositio...

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