Impôts : le cauchemar de la déclaration des revenus des cryptomonnaies

Commencée la semaine dernière, la période déclarative des revenus 2022 constitue un véritable casse-tête pour les contribuables qui ont vendu des cryptomonnaies l’an dernier. Le droit fiscal est en effet complexe et chronophage à la fois. La plateforme d’échanges Binance (et son concurrent Crypto.com) propose pour la première fois un outil pour aider leurs clients à retrouver et synthétiser leurs transactions. Une initiative bienvenue mais néanmoins insuffisante pour réellement aider les contribuables à déclarer de manière fiable leurs plus-values et revenus en actifs numériques. Explications.
Maxime Heuze
« Quelqu'un qui a effectué 5 transactions imposables dans l'année doit déclarer au moins 50 données à l'administration fiscale », rappelle Pierre Morizot, le PDG de Waltio.

Le compte à rebours fiscal est enclenché et les contribuables ont jusqu'au 25 mai (en zone 1), 1er juin (en zone 2) ou 8 juin (en zone 3) pour déclarer leurs revenus 2022. Et pour ceux qui ont succombé à l'achat de cryptomonnaies (des actifs inscrits sur une blockchain), la tâche devrait être ardue comme chaque année, à moins que la plateforme d'échange Binance ne change la donne.

Depuis la loi Pacte de 2019, les plus-values sur ce type d'actifs numériques sont soumises au prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% et doivent donc être déclarées si vous avez converti plus de 305 euros de cryptomonnaies en 2022 en monnaie officielle (ou si vous avez acheté un bien ou un service pour plus de 305 euros).

Pour faire part de vos bénéfices à l'administration fiscale, il faudra vous munir du formulaire Cerfa 2086 et inscrire plusieurs données concernant vos transactions, à la main :

  • la date de la transaction
  • la valeur totale de votre portefeuille en euros au moment de la transaction
  • la valeur des cryptomonnaies que vous avez vendu (en euros)
  • La valeur de ces mêmes cryptomonnaies quand vous les avez achetées (en euro).

Le site des impôts calculera ensuite automatiquement votre plus ou moins-value en fonction de ces données.

Et c'est là où le bât blesse. Bercy demande en effet à chaque contribuable imposable de répéter cette opération pour chaque transaction crypto-euro (mais pas crypto-crypto). Autrement dit, si vous avez réalisé cent transactions crypto vers des euros, vous devrez inscrire vos cent plus ou moins values sur votre déclaration. « Cela demande un suivi très minutieux, il faut bien noter toutes les transactions, ça peut être vraiment compliqué », confie Frédéric Poilpré, membre du cercle des fiscalistes. « Quelqu'un qui a effectué 5 transactions imposables dans l'année doit déclarer au moins 50 données à l'administration fiscale », ajoute Pierre Morizot, le PDG de Waltio, une startup d'aide à la déclaration fiscale.

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Pour aider ses clients qui ont accumulé les transactions sans s'attendre à en payer le prix administratif, la plus importante plateforme d'échange au monde Binance a mis au point un service d'aide à la déclaration fiscale « Binance Tax » en février 2023, peu après le lancement du même outil par son concurrent « Crypto.com Tax ». Ces nouveaux services gratuits développés par les géants des échanges de cryptoactifs permettent de répertorier l'intégralité de vos transactions (jusqu'à 100.000 effectuées sur la plateforme Binance) et de calculer vos plus-values et vos revenus passifs annuels à déclarer, en un seul clic.

Un système qui se limite à une estimation du montant de ses impôts

Si l'initiative est saluée par leurs clients, elle en reste néanmoins largement incomplète. Les calculateurs des plateformes ne supportent par exemple pas les opérations liées aux produits dérivés et aux jetons non fongibles (NFT). Ces outils ne prennent pas non plus en compte les transactions effectuées en dehors de leur plateforme. Problème, « le monde des cryptomonnaies est un monde débanquarisé où les gens possèdent des comptes sur différentes plateformes et différents portefeuilles personnels » explique Pierre Morizet. Binance explique pour sa part que « nous sommes en train de travailler à une solution qui permettrait d'importer les transactions d'autres wallets dans Binance Tax ».

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Mais le plus gros problème réside dans le choix des informations données par Binance Tax et crypto.com Tax concernant la déclaration de plus-values. Dans leurs rapports détaillés, les outils répertorient la somme (en euro) de cryptomonnaies achetée puis revendue lors d'une transaction, mais pas la valeur du portefeuille lors de chaque transaction.

Résultat :

« Les plateformes ne sont pas en mesure de fournir une déclaration fiscale fiable. En fait, le problème c'est qu'il n'est même pas possible techniquement de se baser sur le rapport de Binance car le formulaire 2086 ne peut être validé sur internet que si l'on inscrit la valeur des cryptomonnaies vendues, leur valeur à l'achat et la valeur du portefeuille au jour de la transaction et sa valeur initiale », regrette Alexandre Lourimi, avocat associé chez ORWL, spécialiste de la fiscalité crypto.

Les initiatives de Binance et Crypto.com ressemblent donc à un coup d'épée dans l'eau, pour le moment. « Notre offre est pensée pour s'améliorer sans cesse, grâce aux feedbacks de la communauté Binance », tient néanmoins à assurer Binance.

Waltio aide réellement les contribuables à bien déclarer leurs impôts, mais contre une coquette somme

Les lacunes des géants Binance et Crypto.com permettent aux pure players de l'aide à la déclaration fiscale de maintenir leurs services (souvent payants) aux contribuables embourbés dans leurs déclarations. « On ne se sent pas menacé car ce qu'on fait est tellement complexe qu'il n'est pas possible pour un géant de nous remplacer pour le moment », explique Pierre Morizet.

La startup française créée en 2019 propose de répertorier toutes les transactions d'un individu sur l'intégralité des plateformes et portefeuilles qu'il utilise et de mettre en avant les données demandées dans le formulaire 2086. Un service qui a trouvé son public puisque la jeune pousse (qui propose des services gratuits jusqu'à 50 euros, à 179 euros par an au-dessus de 50 transactions et à 1.100 euros au-delà de 10.000 transactions) est passée de 300 clients payants à 10.000 en 2023. Pour continuer de se développer Waltio aimerait conclure des partenariats avec les plateformes d'échange pour être intégré à leurs services « car ce sont eux qui auront le plus de moyens pour sensibiliser les utilisateurs à la déclaration des plus-values en crypto ».

Mais la startup le reconnaît, même en utilisant ses services, les contribuables devront passer beaucoup de temps à inscrire les données de leurs transactions sur leur déclaration fiscale. A terme, Pierre Morizet estime que le plus simple serait que les fournisseurs de services crypto puissent eux-mêmes remplir et fournir l'annexe 2086 en se connectant aux services de l'administration fiscale. C'est d'ailleurs, déjà le cas dans le monde de la finance traditionnelle ou les banques et autres courtiers fournissent un imprimé fiscal unique (IFU) à intégrer dans sa déclaration. La balle est maintenant dans le camp de Bercy même si Frédéric Poilpré estime que « cela nécessiterait une grosse réforme fiscale ».

Maxime Heuze

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Commentaires 6
à écrit le 18/04/2023 à 7:11
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Si on taxe ce qu'on appel improprement cryptomonnaie, pourquoi ne pas alors taxer aussi les bons de réductions commerciales, les tickets restaurant... ?

à écrit le 17/04/2023 à 15:49
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"Waltio aide réellement les contribuables à bien déclarer leurs impôts" voire même déclarer leurs revenus, sinon on déclarerait "impôts = 0€". :-)

à écrit le 17/04/2023 à 12:56
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Le pire c’est la vérification des biens immobiliers, les données sont souvent erronées On doit faire le travail des services du cadastre c’est inadmissible et en plus on vous prévoit une amende dans le cas contraire tout cela parce qu’on a supprimé...

le 17/04/2023 à 15:47
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Normalement ce qu'il mettent par défaut (à vérifier par le propriétaire) c'est ce qui était déjà connu, sauf si vous venez d'acheter et découvrez l'étendue de votre bien. Les erreurs auraient déjà dû être signalées (j'ai remarqué que mon cellier (gra...

à écrit le 17/04/2023 à 9:04
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Pour ma part ce numérique qui s'infiltre dans tous mes pores est devenu un cauchemar.. Vivement un bon orage solaire..

le 17/04/2023 à 18:33
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Je suis d'accord.

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