Les cinq défis cruciaux de l'industrie aéronautique civile et militaire française en 2024

Sécurité, recrutement, formation, sécurisation des financements et souveraineté. Au-delà de la décarbonation de l'industrie aéronautique, ce sont les cinq grands défis de l'industrie aéronautique en 2024.
La montée en cadence de l'industrie aéronautique française crée des tensions fortes (recrutements, financements...) chez les entreprises du secteur .
La montée en cadence de l'industrie aéronautique française crée des tensions fortes (recrutements, financements...) chez les entreprises du secteur . (Crédits : Reuters)

L'année 2022 a été en deçà des objectifs, l'année 2023 a été celle du « véritable redémarrage » et 2024 doit être celle de la « détermination ». Celle où l'industrie aéronautique civile et militaire française doit dépasser son niveau d'avant la crise, selon Guillaume Faury, président du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et président exécutif d'Airbus, et poursuivre sa course vers des cadences de production inédites. C'est vrai pour Airbus mais aussi pour Dassault Aviation avec le Rafale (vers une cadence de production de trois avions de combat par mois). « On est clairement dans une dimension actuelle favorable à la défense », a d'ailleurs estimé le patron du GIFAS. Et si c'est le « retour des bons problèmes », ceux de la croissance, des investissements et du recrutement, le secteur sait qu'il doit rester vigilant pour conjuguer cette accélération avec un niveau de qualité et de sécurité le plus élevé possible.

Airbus avait déjà annoncé la couleur la veille avec un record absolu de plus de 2.000 commandes nettes et des livraisons en hausse de 11 % en 2023 par rapport à l'année précédente. De quoi conforter l'avionneur et toute la filière vers les prochaines étapes et notamment la cadence de 75 avions produits par mois pour la famille A320 NEO courant 2026. Mais malgré cette euphorie apparente, la question de la sécurité s'est faite prégnante lors des vœux à la presse du Gifas ce vendredi.

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Ne pas sacrifier la qualité et la sécurité

Il est vrai que le début d'année a été très brutal pour l'industrie aéronautique mondiale avec un accident mortel au Japon (collision entre un A350 et un Dash 8 sur l'aéroport de Tokyo-Haneda) et un incident grave dans le ciel américain (une porte arrachée en plein vol). Deux alertes qui ont relancé le débat sur la sécurité au moment où tous les avionneurs accélèrent leur cadence de production. Bien que les enquêteurs américains n'aient pas encore livré de conclusions quant à la perte en vol d'un bouchon de porte survenue la semaine dernière sur un Boeing 737 MAX sorti d'usine quelques semaines plus tôt, la question du maintien de la qualité de production dans cette phase de forte remontée des cadences interroge. D'autant que l'Administration fédérale de l'aviation américaine (FAA) vient d'ouvrir une enquête sur la chaîne de production du 737-9 MAX et sur ses fournisseurs et d'annoncer une surveillance renforcée de la production et de la fabrication de Boeing, qui a connu plusieurs accrocs ces dernières années. « Cet incident n'aurait jamais dû se produire et ne doit pas se reproduire » a indiqué la FAA dans un communiqué publié jeudi, ajoutant aujourd'hui que « c'est la sécurité des passagers, et non la vitesse, qui déterminera le calendrier de remise en service du Boeing 737-9 MAX ».

Airbus a lui aussi été touché en ce début d'année avec la collision mortelle d'un A350 avec un Dash 8 sur l'aéroport de Tokyo-Haneda au Japon. Si les deux événements sont bien différents, dans leurs causes et leur déroulement, Guillaume Faury réagit de la même façon : « Ce sont des moments où on se remet en question, on essaie de comprendre, on essaie de tirer des enseignements sur ces événements récents. Dans les deux cas d'ailleurs, il faut absolument récupérer les données, laisser le temps aux enquêtes de comprendre ce qui s'est passé et tirer les bons enseignements. » Il ajoute que « rien n'est acquis. Il faut en permanence travailler le sujet. Nous sommes en permanence exposés à des événements et notre métier est d'en minimiser les risques le plus possible pour en arriver à notre objectif de zéro accident. »

Pour autant, le patron d'Airbus et leader de la filière réfute tout abaissement du niveau ou des exigences de qualité et de sécurité dans cette course aux cadences. Il assure d'ailleurs que le niveau d'exigence du régulateur, l'Agence européenne de la sécurité aérienne, n'a sans doute jamais été aussi haut. Il est appuyé par Didier Kayat, président du Groupement des équipements aéronautiques et de défense (GEAD) et directeur général de Daher : « Nous ne ferons jamais de la production au détriment de la sécurité. Nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir le moindre biais là-dessus. » Il indique d'ailleurs la mise en place il y a quelques mois du programme Aéro Excellence au sein du Gifas avec un volet consacré à la performance opérationnelle autour d'un référentiel commun et des niveaux de labellisation.

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Digérer le turnover

L'un des enjeux sera sans doute de transmettre cette culture de la sécurité chez les nouveaux embauchés, qui vont encore arriver en grand nombre cette année. Après avoir atteint, ou quasiment atteint dans l'attente de chiffres définitifs, son objectif dantesque de 25.000 recrutements en 2023 - notamment aidé par le succès des opérations dédiées pendant le salon du Bourget (L'Aéro recrute, l'Avion des métiers, portes ouvertes sur les stands, convention avec Pôle Emploi) - le secteur va remettre ça en 2024. La fourchette va se situer entre 20.000 et 25.000 postes pour les entreprises membres du Gifas, avec environ 45 % des embauches par les grands donneurs d'ordres (Airbus, Dassault Aviation, Safran et Thales), quasiment autant par les équipementiers (hors motoristes), et le reste par les PME.

Pour autant, la taille des effectifs nets augmente modérément, de l'ordre de 4 % sur les trois premiers trimestres de l'année 2023. Ceux-ci atteignent environ 200.000 personnes désormais, soit quelques milliers de plus qu'avant la crise sanitaire, mais dans un périmètre élargi avec un nombre record de 469 entreprises membres du Gifas contre environ 400 auparavant. Comme le signale Guillaume Faury, il y a donc encore de l'attrition. Une situation complexe à gérer alors que les départs ont été importants entre 2020 et 2021. Malgré cet important turnover, Frédéric Parisot, délégué général du Gifas, et Didier Kayat assurent qu'il n'y a pas eu de pertes de compétences. « L'enjeu de sécurité est tellement important qu'un produit qui n'est pas aux normes de qualité attendues ne passe pas », ajoute ce dernier.

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La formation, nerf de la guerre

Le patron de Daher et du GEAD reconnaît en revanche volontiers qu'il y a un enjeu de formation important au vu du nombre de nouveaux arrivants dans le secteur - primo-travailleurs ou en provenance d'autres secteurs. Guillaume Faury indique aussi la nécessité d'avoir des salariés formés à « un environnement plus complexe, plus exigeant », ainsi qu'aux nouveaux domaines comme la durabilité et la numérisation. La formation va donc être un élément clef pour réussir cette montée en cadence dans des conditions de sécurité élevées.

Pour l'instant, au contraire du recrutement, les capacités de formation n'ont pas connu de goulot d'étranglement. Frédéric Parisot assure que celles-ci sont suffisantes pour prendre en charge le flux de nouveaux entrants, avec des centres d'apprentissage « remplis à 80 % en moyenne » et l'apport des pôles de formation interne aux entreprises, du travail réalisé par l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) ou encore les partenariats avec des régions qui disposent de moyens de formation professionnelle. Pour autant, cela va continuer à nécessiter des investissements importants dans les années à venir, comme le rappelle Guillaume Faury.

Défense, spatial : la quête de souveraineté

Compte tenu du contexte géopolitique actuel très incertain secoué par des crises très violentes (Ukraine, Israël...), Guillaume Faury a rappelé que l'année 2023 a été « une année au service de la montée en puissance des armées françaises, de l'export et du besoin de souveraineté ». Et de marteler qu'il « n'y pas de prospérité s'il n'y a pas de sécurité et de défense et de capacités à assurer la paix et la stabilité ». Tout comme le spatial, qui est « un élément essentiel » pour la souveraineté de l'Europe, notamment avec le premier vol d'Ariane 6 en 2024. Ce qui va « redonner l'accès à l'espace » à l'Europe qu'elle avait « perdu ». En 2024, la filière aéronautique civile et militaire va s'organiser autour de quatre grands thèmes, dont celui sur la souveraineté « avec une dimension très fortement renforcée compte tenu du contexte géopolitique européen mais aussi mondial ».

Interrogé sur une vulnérabilité de l'industrie aéronautique française par rapport à ses approvisionnements venant de Chine si cette dernière entrait en conflit avec Taïwan, le patron du GIFAS a rappelé que « la résilience des chaînes d'approvisionnement est en permanence un sujet clé des opérations dans l'ensemble des entreprises. Il n'y a pas de sujets qui soient particulièrement spécifiques dans ce domaine sauf que le Covid a été d'une certaine façon un rappel qu'il pouvait y avoir de grands bouleversements brutaux et donc qu'il fallait organiser sa chaîne d'approvisionnement de façon à ce qu'elle soit robuste à des événements imprévisibles ». C'est aujourd'hui le cas avec les graves perturbations en mer Rouge, où les rebelles houthis exercent une pression sur le trafic maritime mondial. C'est « déjà un bouleversement réel acté qui perturbe les supply chain et met à l'épreuve ce travail de résilience qu'on fait quand on conçoit nos supply chain », a-t-il précisé.

La sécurisation de l'accès au financement

Au moment où des tensions très fortes (remboursement des prêts garantis par l'État, besoins en fonds de roulement, besoins d'investissements capacitaires pour assurer la montée en cadence de la production, hausse des prix de l'énergie et des coûts salariaux...) s'exercent sur les entreprises du secteur sur le plan financier, Guillaume Faury a justifié la création du fonds d'investissement Tikehau Ace Aéro Partenaires 2, qui rassemble Bpifrance, les quatre principaux donneurs d'ordre de la filière (Airbus, Safran, Dassault Aviation et Thales), Tikehau Capital et le Crédit agricole. Ce fonds, qui disposera de 800 millions d'euros d'encours à terme, doit aider les entreprises du secteur à gérer « des situations difficiles liées à monter en cadence », a-t-il expliqué.

« Nous, on est ravi d'avoir l'État comme co-investisseur parce que c'est aussi une garantie et un signe fort donnés aux marchés financiers qui viennent aider. (...) Avoir l'État autour de la table comme un des investisseurs, cela a du sens. En l'occurrence, l'État c'est Bpifrance, qui est le bras armé investisseur de l'État français. Il vient investir dans ce fonds parce qu'il y trouve son intérêt », a expliqué Guillaume Faury.

En outre, Guillaume Faury a rappelé que « la taxonomie européenne doit être favorable à la défense et ne doit pas laisser la défense sur le bord de la route ». Au contraire, elle doit « reconnaître que les besoins de sécurité, de sûreté et de défense font partie des éléments de stabilité et de sustainability à long terme ». Et le président du GIFAS, qui avait poussé un coup de gueule début 2023 sur ce dossier explosif, « défend pied à pied le fait que la défense soit intégrée dans la taxonomie pour favoriser les investissements dans la défense ». Une position cruciale pour cette industrie aéronautique qui est une duale (civile et militaire).

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Commentaires 8
à écrit le 16/01/2024 à 9:17
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On en revient toujours à la même question : comment Dassault va faire pour livrer dans des délais raisonnables tous les Rafale vendus ces deux dernières années ?

à écrit le 15/01/2024 à 11:46
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Je pensais qu'Airbus était une entreprise européenne. Mais évidemment, les Français le considèrent comme leur entreprise, dont la participation étrangère à se débarrasser. Le quartier général d'Airbus est déjà en France et la position principale a ég...

le 15/01/2024 à 12:04
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Il n'y a jamas un therme franco-allemand ça n'existe pas Alsace aussi c'est un region qui dans nos jours n'a aucun signification strategique.

le 15/01/2024 à 16:11
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Oui Airbus est binen une entreprise européenne et oui beaucoup de français la considèrent que c'est une entreprise française bien qu'elle soit européenne (Airbus aviation civile est bien à 37,5% français en part égale avec l'allemagne ). Oui vous ave...

le 15/01/2024 à 17:10
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C'est pas vrai bien sur Cfm Leap sont 50% GE 50% Safran

à écrit le 15/01/2024 à 10:48
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Excellent rodage pour mettre en ordre de marche une economie de guerre où les supports aeriens sont cruciaux. La guerre se gagne par une capacité industrielle et innovante supérieure à celle de l'ennemi et par les moyens financiers mobilisables. S...

le 15/01/2024 à 14:24
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Il suffirait que l'on ait une patrie pour devenir un patriote ! ;-)

à écrit le 15/01/2024 à 9:38
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Le seul défie à relever c'est l'adaptation et non suivre un programme dogmatique en rajoutant le mot souverain pour faire jolie ! ,-)

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