Des armes qui "violent les principes humanitaires fondamentaux". Voila la raison invoquée par le fonds de pension norvégien KLP, qui gère près de 78 milliards d'euros d'actifs, pour retirer ses participations dans 14 entreprises internationales spécialisées dans l'armement. Deux tricolores figurent sur la liste noire : Thales et Dassault Aviation. Toutefois, l'impact capitalistique et boursier de ce désengagement devrait être minime. Selon le document de référence du fonds publié en 2020, KLP posséderait seulement 6.952 actions chez Thales (sur 213.365.958 actions au 31 décembre 2020) pour... 172 chez Dassault Aviation. Le cours du géant français gagnait 1,97% à 16H00 ce jeudi (à 82,82 euros), tandis que celui de Dassault Aviation grignotait 1,89% (à 94.30 euros).
D'autres entreprises internationales sont également exclues des participations de KLP. Le britannique Rolls-Royce, les américains Leidos, General Dynamics (17.300 actions) et Raytheon, l'Italien Leonardo ainsi que du constructeur naval chinois CSIC, explique-t-il dans un communiqué.
Le nucléaire en ligne de mire
Dans la cuvée 2021 du rapport éthique du plus grand fonds de pension de Norvège, la plupart des groupes sont exclus pour leurs produits liés à l'arme atomique. Thales est ainsi écarté pour sa participation à la production du missile nucléaire M51, utilisé par l'armée française, tandis que Dassault Aviation est banni parce que son avion de combat, le Rafale, a une version adaptée à l'usage de l'arme nucléaire.
Mais le fonds norvégien justifie également sa décision par l'implication de Thales dans la guerre au Yémen. Le quatorzième groupe mondial de défense est épinglé pour avoir fourni du matériel militaire et des services à la coalition dirigée par l'Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis, justifie le fonds. KLP s'appuie sur le rapport d'Amnesty international pour exclure l'industriel français. L'ONG média Disclose avait également révélé l'implication du fabriquant au Yemen, notamment via la fourniture du "Pod Damocles". "Ce système de 'désignation laser' fixé sous les avions de combat permet aux pilotes de guider tous les types de missiles", détaille le média.
Retour sur la liste noire pour Thales
L'exclusion par le fonds KLP n'est pas une nouveauté pour Thales. Le fournisseur a déjà été banni dès 2005 pour cause de production d'armes à "sous-munitions" (une bombe "mère" remplie de mini-bombes explosives.) Sa participation dans une co-entreprise avec EADS, qui commercialisait une grenade d'artillerie PR Cargo, avait été dénoncée. Un produit dont l'usage était alors décrit comme constituant "un problème humanitaire important". EADS avait également été exclu des bénéficiaires du fonds à cette époque et pour le même motif. Le KLP est toujours en lutte ouverte contre ces armes à sous-munitions : le groupe de défense israélien Elbit Systems a été banni cette année pour cette raison.
Un autre élément avait motivé la première exclusion de Thales. En 2006, l'industriel a été sanctionné par le fonds pour son implication dans un système de corruption dans le cadre d'un accord d'armes en Afrique du Sud. Thales est alors associé, rappelle le document, à des pratiques commerciales corrompues, impliquant le versement de pots-de-vin à l'ancien vice-président sud-africain Jacob Zuma.
Le Norvégien s'appuyait alors sur une décision de justice rendue par la Haute Cour de Durban de 2005 qui pointait ainsi le rôle d'un joint-venture pilotée par Thales permettant d'avoir un accès facilité au marché, tout en rappelant les déclarations d'un ancien directeur du groupe français qui accusait ouvertement l'industriel de pratiques commerciales systématiques teintées de corruption.
Thales va toutefois réintégrer la liste des bénéficiaires en 2009. Selon le fonds norvégien, l'entreprise française, à cette époque, n'était "plus impliquée dans la fabrication d'armes à sous-munitions dans aucun pays". Le document de référence publié en 2010 confirme la réintégration de l'entreprise française.
Plusieurs industriels français épinglés
Pour Dassault Aviation, c'est semble-t-il sa première exclusion. L'avionneur se voit reprocher le double usage offert par le Rafale, qui peut être équipé par des armes classiques mais également par des missiles nucléaires. C'est à ce second titre que l'entreprise est exclue. Mais c'est aussi la participation de Dassault Aviation dans Thales qui pousse KLP a inscrire l'avionneur sur le liste noire. Il "détient une participation et une influence importantes dans Thales SA, qui est en soi susceptible d'exclusion", peut-on lire dans le rapport.
Dassault Aviation détient en effet 24,6% des parts de Thales, pour 25,7% par l'Etat français. Le solde, 49,7%, est flottant sous forme d'actions. C'est dans cette part du capital qu'intervenait la participation du fonds norvégien.
D'autres acteurs français ont été épinglés ces dernières années par le puissant fonds de pension nordique. Safran a été banni en 2006 pour un programme d'armement portant sur la production de missile balistique lancé pour les sous-marin M51. Alstom a été, pour sa part, supprimé des bénéficiaires en 2007. En cause, selon le fonds, son implication dans des violations de droits humains dans le cadre d'un projet hydro-électrique au Soudan. KLP fondait alors sa sanction sur un rapport de l'ONU qui alertait sur la situation de plus de 50.000 personnes gravitant autour du projet.
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