En Israël, Aleph Farms produit de la viande de bœuf in vitro

C’est à Rehovot, en Israël, au beau milieu d’une pépinière de start-ups qui ressemble au campus d’une université américaine, que nous avons rencontré Didier Toubia, CEO d’Aleph Farms. Sa jeune pousse, pionnière dans le domaine de la viande durable, développe un procédé de production de viande en laboratoire et sans abattage, susceptible de révolutionner notre rapport à l’alimentation… (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°8 "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger", actuellement en kiosque).
(Crédits : Aleph Farms)

Comment entrevoir le futur d'une branche dont on nous promet les plus grands changements si ce n'est purement et simplement par la poursuite d'un grand soir, si ce n'est d'une révolution ? Tandis que les experts esquissent des scénarios plus ou moins réalistes à long terme, une poignée de scientifiques travaillent déjà à produire le contenu de nos futures assiettes. Des légumes aux céréales, cela fait longtemps déjà que les avancées technologiques (croisements, hybridations, hydroponie) ont concrètement fait irruption dans notre quotidien. En la matière, pas de révolution mais des évolutions, un perfectionnement des techniques poussé à son paroxysme et surtout la volonté de consommer des produits de meilleure qualité. Quid de l'élevage ? C'est ici que l'affaire se corse. Car en dépit du goût prononcé d'une majorité de consommateurs pour la production carnée, il n'y eut longtemps que des progrès à la marge. Il y a une lente, voire très lente, prise de conscience de la nécessité de changer les pratiques dans les exploitations. La fin précipitée par la crise de la vache folle de l'utilisation de farines animales puis la reconquête militante de la géographie et des paysages par l'élevage en plein air pour de meilleures conditions d'abattage. Autant de progrès réels mais jugés jamais assez suffisants pour coller aux impératifs environnementaux (selon les chiffres de la FAO, l'organisation des Nations Unis pour l'agriculture et l'alimentation, l'élevage serait responsable de près de 15 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre dans le monde) et satisfaire une demande nouvelle : mettre un terme pur et simple à la souffrance animale. Comment se faire plaisir en mangeant de la viande sans toucher un poil du cheptel ? La question relevait de la colle, jusqu'aux solutions miraculeusement trouvées par quelques savants inspirés. Pour mieux les appréhender, il faut se rendre à Rehovot, en Israël, au beau milieu d'une pépinière de start-ups qui ressemble plus au campus d'une université américaine qu'à une exploitation agricole classique. C'est là, entre les antennes locales des GAFAS et les ingénieurs en bermuda que se situent les bureaux d'Aleph Farms, petite entreprise pionnière qui promet de changer en profondeur notre façon de produire de la viande. En nous accueillant, Didier Toubia, son fringant CEO, nous en dit plus sur sa méthode révolutionnaire : « Nous travaillons autour du concept de clean culivated meat. Il s'agit d'une nouvelle façon de produire de la viande. Ce que nous faisons avec Aleph Farms, à l'instar de ce qui existe dans d'autres compagnies développant des technologies similaires, c'est de reproduire, en laboratoire, la structure de la viande de la manière la plus fidèle possible. Le concept tient à notre capacité à prélever quelques cellules d'animaux vivants, sans leur infliger quelle que douleur que ce soit. Ensuite, notre travail est d'offrir aux cellules l'environnement propice pour continuer à se développer, à se diviser, à former des tissus, le tout dans des conditions optimales de contrôle de qualité. Il ne s'agit donc pas de protéines alternatives mais bien de viande véritable. Le processus dure de trois à quatre semaines. Et le résultat est quasi-identique à un morceau de viande classique. D'ailleurs, nous ne cessons de l'améliorer. » Plutôt que de prolonger le schéma classique consistant à faire se reproduire, naître et élever des bêtes dans le seul but de les abattre pour en prélever la viande, les équipes de Didier Toubia et de Shulamit Levenberg, doyenne de la faculté de génie biomédical du Technion, innovent. Non seulement elles ne tuent plus aucune bête mais elles réduisent également considérablement les temps de production de la viande en promettant, à terme « une qualité identique et des garanties bien supérieures au niveau de la sécurité alimentaire ». Autrement dit, la possibilité offerte au grand public de consommer de la viande en évitant le désagréable arrière-goût du plaisir coupable...

« Aucun souci à ce que l'élevage traditionnel continue. Bien au contraire ! »

D'aucuns pourraient voir là le fantasme d'apprentis sorciers lancés dans un très théorique exercice de science-fiction. Il n'en est rien ! D'ores et déjà produite - en très petite quantité cependant - la viande de bœuf in vitro made in Aleph Farms fait l'objet d'améliorations constantes et d'un engouement sans précédent des investisseurs. Et il y a toutes les raisons de penser que son usage va se généraliser rapidement. Car les chiffres ne mentent pas. Depuis sa cofondation en 2017 sous l'égide de l'incubateur israélien food-tech The Kitchen, Aleph Farms a levé une première série de fonds de 12M de dollars en Europe et aux États-Unis avant de voir le géant américain Cargill entrer à son capital. Plus récemment encore, la start-up a annoncé la clôture d'un cycle de financement de 105 millions de dollars mené par le fonds de croissance de L. Catterton, la plus grande société mondiale de capital-investissement axée sur les consommateurs, et DisruptAD, l'une des plus grandes plateformes de capital-risque au Moyen-Orient. Un tel engouement ne doit rien au hasard, nous explique Liat Simha, en charge des relations presse d'Aleph Farms :

« Une étude publiée en mai dernier par le journal Foods affirme que le type de viande que nous proposons pourrait devenir majoritaire à l'avenir. L'étude montre notamment que sa consommation serait très bien accueillie, notamment par un public jeune : 87-89 % d'adultes issus de la génération Z, 84-85 % des millénials, 76-77 % de la génération X contre 70-74 % de baby-boomers ».

Demeure une question : cette nouveauté pareille à un changement de paradigme augure-t-elle la disparition des petits éleveurs et de l'élevage ancestral ? Si Didier Toubia concède volontiers qu'« en termes d'eau et de terres arables, la production de viande durable est largement plus vertueuse que la viande traditionnelle[1] », il ne se résout pas à signer l'arrêt de mort d'une filière à laquelle il s'avère être attaché. « Notre idée n'est pas de remplacer la belle tradition par de la technologie, mais de remplacer la misère animale par une meilleure manière de produire des protéines. » Et Toubia de poursuivre : « Je n'ai vraiment aucun souci à ce que l'élevage traditionnel continue. Bien au contraire ! Il y a cinquante ans, il existait un véritable équilibre dans la nature. On a cassé cela. Notre idée est de rétablir les choses, que l'agriculture et l'animal renouent avec une certaine forme d'harmonie. Au lieu de l'élevage industriel et de l'abattage à la chaîne en usine, produisons de la viande dans des fermes biologiques, et préservons par exemple l'élevage extensif de haute qualité dans des élevages traditionnels, au grand air. » On comprend ainsi que loin d'être antinomique, la production en laboratoire et l'élevage bio ultra-qualitatif pourraient constituer deux solutions permettant de perpétuer une certaine haute culture de la viande. Car de l'avis de tous, si l'on poursuit selon le schéma actuel, la situation deviendra rapidement intenable. « Le temps où l'éleveur pouvait entretenir une réelle connexion et un réel respect avec sa bête est révolu, analyse Toubia. Dans les élevages industriels d'aujourd'hui, les vaches sont vues comme des machines à produire des protéines : au lieu de leur donner des noms, on leur donne des numéros. Dans les abattoirs, les vaches sont abattues à la chaîne, à raison d'un animal toutes les 3 secondes, sans aucune considération. » C'est à inverser ce cycle et rendre à nouveau pleinement acceptable la consommation de viande pour une nouvelle génération de consommateurs soucieux de la souffrance animale qu'Aleph Farms travaille aujourd'hui. Avec un slogan en tête « Meat for Earth » et un objectif fièrement clamé par ses ambitieuses équipes : « le progrès ! ».

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[1] Didier Toubia précise ainsi : « Rappelons que pour produire 1 kg de bœuf, il faut aujourd'hui entre 10 000 et 15 000L d'eau sur toute la durée de vie de l'animal (ce qui inclut l'eau pour produire les aliments dont il se nourrit, et l'eau qu'il boit directement). Les quantités de terre nécessaires pour produire du bœuf sont gigantesques. En produisant de la viande durable, on pourrait réduire entre 90 et 98 % la quantité d'eau et de terres arables par rapport à une viande conventionnelle. Cela nous permettrait également de libérer des ressources pour produire plus de nourriture pour nourrir directement la population, au lieu de consacrer cette même surface pour produire de la nourriture pour alimenter des vaches... »

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Article issu de T La Revue n°8 - "Du champ à l'assiette - Mieux produire pour bien manger ?" Actuellement en kiosque

Un numéro consacré à l'agriculture et l'alimentation, disponible chez les marchands de presse et sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

T La Revue n°8

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Commentaires 2
à écrit le 27/03/2022 à 19:37
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La viande in vitro, ça n'a aucun intérêt, ni économique, ni écologique. C'est juste une mode du moment

à écrit le 27/03/2022 à 9:45
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Pour remplacer la viande vendue dans les supermarchés oui sans hésité, quand on achète la viande dans ces endroits c'est que l'on est pas si attaché à son goût que cela, mais il faut également préserver la filière animale en se tournant vers une prod...

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