Luxe : J.M. Weston, un exemple made in France depuis 1891

Produire en France, avec des matières françaises et des savoir-faire anciens des chaussures qui habillent autant la garde républicaine que les présidents de la République ou les gentlemans c’est tout à fait possible. Reportage à Limoges chez J.M. Weston. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
Organisée en différents espaces d’atelier, la manufacture opère entre 180 et 200 gestes pour constituer les chaussures de la marque. Dans ces 180 gestes minimum – d’où l’appellation de « Mocassin 180 » pour le modèle iconique de la marque – toute une kyrielle de savoir-faire.
Organisée en différents espaces d’atelier, la manufacture opère entre 180 et 200 gestes pour constituer les chaussures de la marque. Dans ces 180 gestes minimum – d’où l’appellation de « Mocassin 180 » pour le modèle iconique de la marque – toute une kyrielle de savoir-faire. (Crédits : Denis Allard/Leextra pour La Tribune)

Dans La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq imagine une France dédiée au tourisme et au service. Un pays dans lequel tous les savoir-faire historiques ont disparu et où plus aucune marchandise n'est produite sur le territoire. Désindustrialisation j'écris ton nom, semblait, en quelque sorte, décrire le romancier. Visionnaire, en partie. Et pourtant, au-delà des nouvelles industries qui éclosent un peu partout dans l'Hexagone, certaines sont demeurées ancrées et attachées à un territoire. C'est notamment le cas de J.M. Weston, fabricant de chaussures françaises depuis 1891 !

Maintenir ses savoir-faire et sa production en France constitue pour Weston plus qu'un objectif. C'est un état d'esprit. Une fierté même, peut-être. C'est à Limoges que se situe la manufacture qui produit les 70 000 paires de chaussures annuelles. Mais la visite de ce que représente J.M. Weston, tant dans son savoir-faire que dans son implantation territoriale, débute à trente minutes de Limoges dans le village de Saint-Léonard-de-Noblat. C'est ici que démarre la production des Weston. Dans les historiques tanneries Bastin, devenues propriété du chausseur en 1981 et dont il est le plus important client. Dans cette tannerie, les peaux passent douze mois. Elles servent à équiper les semelles des modèles de la marque.

Durant ces douze mois, plusieurs étapes dont chacune œuvre à faire des paires de Weston des pièces uniques en leur genre. Dans cette région du Limousin, historiquement dédiée au cuir, la tannerie Bastin est la dernière. Dans ce lieu qui ressemble à un grand corps de ferme, la première étape pour les peaux de vaches - uniquement de femelles car leurs fibres sont plus serrées et donc plus résistantes - c'est d'être placées dans une chambre froide avec du sel. Puis ce tannage végétal se poursuit par un passage dans un foulon qui est une sorte de grande machine à laver. Ensuite, les douze tanneurs font un premier battage, et immergent les peaux dans des grandes fosses - c'est la basserie - dans lesquelles elles sont mélangées avec les différents tannins. Deux pour être précis. L'un qui vient d'Italie et celui du quebracho, un arbre qui vient d'Argentine. Les deux seuls éléments non hexagonaux des chaussures Weston. Ce passage à la basserie dure deux mois environ et concourt à resserrer au maximum les fibres. Les peaux sont sorties des bassins, passent dans un autre foulon et sont immergées dans de grandes fosses avec du chêne broyé dont l'acidité permet encore de solidifier le cuir.

Dix mois plus tard, les peaux sont extraites des fosses, passent à l'essorage, à l'étirement, sont nourries à l'huile de foie de morue, sèchent et terminent leur passage à la tannerie par un battage précis au marteau-pilon. Une fois toutes ces étapes réalisées, les cuirs sont livrés à la manufacture de Limoges afin de devenir les semelles des chaussures. Une autre tannerie de Weston, située au Puy-en-Velay en Auvergne travaille selon la même méthode sur les cuirs plus souples qui viendront, eux, équiper le dessus des modèles.

La manufacture du geste

Direction Limoges donc, vers la manufacture qui depuis le début des années 1990 est située un peu en retrait du centre-ville où elle se trouvait initialement afin de bénéficier d'un espace plus grand, et élargi. Organisée en différents espaces d'atelier, la Manufacture Weston opère entre 180 et 200 gestes pour constituer les chaussures de la marque. Un geste consiste à prendre la chaussure à une étape de sa fabrication, de faire quelque chose, et de passer ensuite l'objet. Dans ces 180 gestes minimum - d'où l'appellation de « Mocassin 180 » pour le modèle iconique de la marque - toute une kyrielle de savoir-faire.

Le premier des ateliers est celui de la découpe des cuirs. Toutes les peaux qui servent à habiller le dessus des souliers sont stockées et répertoriées dans ce que les collaborateurs de la Manufacture appellent le « magasin ». Veau, autruche, lézard, et autres peausseries plus exotiques encore garnissent les rayonnages. Les peaux de veaux sont celles qui habillent les modèles « classiques » et iconiques de la marque ainsi que pour certaines commandes spéciales qui utilisent également les peausseries plus rares. Les commandes spéciales des clients qui disposent d'un espace dédié dans l'atelier. Un espace dirigé par Romain Aquilo, compagnon du devoir qui est entré dans la maison en 2007, il y a quinze ans, après son tour de France en tant que compagnon. Aujourd'hui, il gère les commandes spéciales, mais aussi et surtout le contrôle qualité de l'ensemble des chaussures Weston. Il assure, également, la transmission des savoir-faire grâce à l'école des ateliers Weston qui est intégrée à la Manufacture. « Les Ateliers Weston sont une école de formation qui permet d'obtenir le CAP Cordonnier-Bottier en un an. Les étudiants sont douze par promotion et nous œuvrons à la transmission de l'ensemble de nos savoir-faire en ayant l'envie de les intégrer, ensuite, à la Manufacture », confie Aquilo.

Le jour de notre visite, il inspecte aussi la qualité de la commande très spéciale que la maison Weston a reçue quelques semaines auparavant : confectionner des chaussures pour le jeune basketteur français de 2,19 m qui vient d'être choisi par le club américain des San Antonio Spurs, Victor Wembanyama. Taille du pied : 57 ! Il a ainsi fallu créer des formes spéciales, et procéder à quelques ajustements au niveau des machines pour réaliser ces objets rares avec les canons de la qualité Weston.

40 000 formes différentes

Les formes justement. C'est l'une des autres spécificités de la marque. Dans l'un des espaces de l'atelier des formes de chaussures en pagaille qui correspondent, soit aux commandes spéciales pour clients aux pieds très petits ou très grands, soit, et surtout, à ce qui constitue la particularité Weston. 40 000 formes différentes pour des modèles qui possèdent tous sept largeurs différentes en plus des demi-pointures classiques. Sur ces formes les peaux du dessus et celles du dessous sont assemblées. La Weston prend alors son apparence.

C'est à ce moment-là que s'applique la technique du cousu Goodyear, qu'Eugène Blanchard, le fondateur de la maison, a rapportée d'un voyage aux États-Unis dans le village de...Weston. En rentrant de son périple américain, Blanchard qui produisait alors des chaussures en très grande quantité, passe à la plus petite série, et importe le cousu Goodyear qui permet d'assembler la semelle et la tige (le dessus de la chaussure) en les cousant à la main l'une à l'autre. Cela permet une meilleure solidité et une plus grande facilité pour réparer les chaussures, et donc leur assurer une plus grande longévité. En plus de ces deux modifications, Eugène Blanchard change le nom de l'entreprise qui s'appellera désormais Weston.

C'est donc au moment du mariage du bas et du haut de la chaussure que l'un des plus importants savoir-faire se met en place. Restent différentes opérations et le bichonnage qui vise à donner le dernier coup d'œil au soulier qui sera présenté au client en boutique.

Relocaliser la production de baskets

Savoir-faire, ambiance familiale et transmission des savoirs sont des valeurs chères à Weston. Comme est très chère, aussi, l'idée de produire en France et de se fournir auprès des producteurs locaux. Signe que cette idée est très importante pour la maison. Elle s'est lancée, il y a cinq ans environ dans la confection de baskets haut de gamme. Ce savoir-faire-là, elle ne le possédait pas. Elle a appris en les faisant assembler au Portugal dans une manufacture qui connaissait les us et coutumes. Cinq ans plus tard, Weston est en train de rapatrier l'ensemble de sa production de baskets en France. Des produits qui ont toujours été là, et d'autres qui viennent s'y installer. Comme quoi, à Limoges, tout est possible.

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