Vers une profonde crise du secteur automobile ? C'est en tout cas la conviction des consultants d'AlixPartners qui viennent de publier leur étude annuelle. D'emblée lors de la présentation de l'étude, Laurent Petizon, directeur du secteur automobile chez AlixPartners, confirme ce qui se dessinait depuis plusieurs mois, les indicateurs de marché vont se détériorer dès cette année, et ce tableau sombre va perdurer les années suivantes.
Et de préciser que toutes les données prises en compte sont « toutes choses égales par ailleurs », c'est-à-dire hors hard brexit, guerres commerciales voire guerres "non-commerciales"... Autrement dit, le scénario de crise que dessine l'étude AlixPartners s'est faite dans une version "optimiste" de l'avenir.
La Chine, un gros creux et ça repart
En résumé, le cabinet d'audit anticipe une baisse du marché automobile mondial dans les deux prochaines années avec un creux en 2020 à 91 millions de voitures (moins 3 millions par rapport à 2017), avant une remontée jusqu'en 2026 avec 106 millions de véhicules. C'est de la Chine que le choc risque d'être le plus dur à encaisser avec une baisse de 3 millions de voitures jusqu'en 2020. Il faudra attendre 2024 pour que le marché revienne à son niveau de 2017 (28 millions de voitures).
Mais, plus grave encore, l'étude pointe l'inquiétant niveau des surcapacités industrielles sur le premier marché du monde. AlixPartners estime que le taux d'utilisation des capacités de production est passé sous le seuil des 70%, seuil considéré comme périlleux en termes de rentabilité et qui peut potentiellement conduire à des fermetures d'usines. Mais selon Laurent Petizon, les constructeurs vont maintenir leurs capacités en anticipant la reprise du marché chinois et surtout la perspective d'un marché à 30 millions de voitures en 2026. Notons également que les Français ont franchi depuis bien longtemps les lignes rouges des surcapacités puisque PSA utilise seulement 26% de ses capacités de production chinoises, contre 33% pour Renault. Seul Ford fait pire avec 24%.
Même trajectoire attendue sur le marché américain qui pourrait d'ici 2021, perdre deux millions d'immatriculations sur l'année. Le marché repartirait ensuite pour un maximum de 16,8 millions de voitures par an, loin des 17,6 millions vendues en 2016. AlixPartners observe un important niveau de remises sur les ventes, et note que General Motors a également procédé à de premières fermetures d'usines afin d'ajuster sa production à la demande.
L'Europe face aux objectifs de CO2
De son côté, le marché européen va croître lentement et passer de 20,6 millions de voitures à environ 22,3 millions en 2026. AlixPartners s'inquiète surtout des conséquences des amendes pour non respect des objectifs de CO2 sur les constructeurs européens. Laurent Petizon remarque que, alors qu'il aurait fallu vendre davantage de diesel et de petites voitures pour baisser les émissions de CO2, le marché, pour diverses raisons, a fait tout le contraire. Ainsi, la part des SUV ne cesse d'augmenter partout en Europe. En France, ce segment devrait représenter près de 40% des ventes en 2026, soit 10 points de plus par rapport à 2018. En outre, la baisse des ventes de diesel est colossale. Elles ne représenteront plus que 19% des ventes contre 36% en 2018, avant de s'effondrer à 10% en 2030. Le cabinet d'audit évalue à des centaines de millions d'euros les amendes potentielles. Celle infligée à Volkswagen pourrait même atteindre les 1,8 milliards d'euros.
L'effet deuxième lame...
Ce scénario macroéconomique est la première lame de ce qui attend les constructeurs automobiles. Car en sus de cette baisse conséquente de volumes, les constructeurs vont être confrontés à une très importante hausse des investissements. Ainsi, après avoir culminé à 6,2% en 2016, la marge opérationnelle des constructeurs a déjà franchi le seuil des 5% en 2018. « Et cette baisse va se poursuivre », assure Laurent Petizon.
AlixPartners évalue à 186 milliards de dollars les investissements annuels en R&D des constructeurs automobiles, auquel il faut ajouter les 225 milliards programmés pour les seuls programmes électriques entre 2019 et 2023, et les 85 milliards pour le développement de la voiture autonome (d'ici à 2025). « Il y aura de plus en plus d'investissements et de moins en moins de retours sur investissements », pronostique Laurent Petizon. D'ici 5 à 6 ans, entre 40 à 60 usines dans le monde seront soit fermées, soit transformées dans la fabrication de batteries électriques. Les équipementiers pourraient être les premiers concernés. Ils disposent de plus grandes surcapacités en Chine. En outre, ils pourraient être frappés par l'avènement de la voiture électrique qui va faire disparaître toute une série d'équipements.
C'est donc une déferlante de mauvaises nouvelles qui va contraindre les constructeurs à rationaliser leurs dépenses. AlixPartners observe que jamais les partenariats de recherche n'avaient été aussi nombreux, dans le but de mutualiser les coûts. Les investisseurs, eux, sont d'ores et déjà fébriles sur le secteur au point où la moindre rumeur risque d'être immédiatement interprétée en Bourse. Que ce soit un nouveau risque de conflit au Moyen-Orient, ou une nouvelle série de mesures protectionnistes, ou encore, une sortie désordonnée de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Crise ou crise majeure, les constructeurs automobiles n'ont que deux scénarios auxquels se préparer...
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