La fusion Fiat-Peugeot aura-t-elle lieu ?

Crise du coronavirus, enquête approfondie par les autorités de la concurrence... La fusion géante entre PSA et FCA a pris du plomb dans l'aile. Si les analystes continuent de voir dans ce projet de belles opportunités de valorisation, ils s'interrogent encore sur les termes du deal à 50-50. Un équilibre encore moins justifié depuis l'emprunt garanti par l'Etat italien octroyé à Fiat...
Nabil Bourassi
(Crédits : REGIS DUVIGNAU)

La crise du coronavirus va-t-elle enterrer le projet de fusion PSA et FCA ? Si ce scénario paraît radical, il rappelle que ce projet vit actuellement une phase critique... Dernier épisode en date, la décision par la Commission européenne d'enclencher la phase deux de son enquête de conformité concurrentielle. Cette décision était une très mauvaise nouvelle puisqu'elle reporte le feu vert des autorités à au moins novembre prochain, là où Carlos Tavares (PDG de PSA) et Mike Manley (PDG de Fiat Chrysler), espéraient un accord de principe au terme de la phase une, soit en juin...

Une péripétie

Mais cette question procédurale ne paraît être qu'une péripétie face à l'incroyable détérioration des conditions de marché et des profils financiers des parties prenantes, du fait de la crise du coronavirus. « Nous ne sommes plus dans la même configuration qu'à l'époque où la fusion avait été annoncée... Les écarts d'efficience opérationnelle se sont creusés entre les deux entreprises, le schéma d'une fusion entre égaux est encore moins justifié qu'auparavant », souligne Frédéric Rozier, gérant action chez Mirabaud.

De fait, les ventes se sont effondrées, et il est vrai que le coronavirus n'a pas fait dans le détail livrant tous les groupes automobiles au même carnage sans épargner aucune région du monde. Ainsi, les cours des deux entreprises ont fondu d'un tiers depuis le 1er janvier. On peut toutefois noter une reprise plus forte de FCA puisque le titre a repris 17% en trois mois, contre 5% pour PSA. Le groupe italien a joui d'une reprise plus rapide sur le marché chinois où il est beaucoup plus présent que le français. Mais d'après les experts, FCA pourrait être amputé de 21% de son chiffre d'affaires cette année, contre 18% pour PSA.

Le prêt de trop

Mais, le vrai point de bascule reste le recours, par FCA, d'un prêt garanti par l'Etat de plus de 6 milliards d'euros, soit un endettement supplémentaire conséquent qui change radicalement son profil financier. Cette information a largement nourri le débat autour d'une fusion à 50-50. Déjà, dans le projet initial, de nombreux analystes de marchés avaient relevé que les actionnaires italiens profitaient d'une prime de 40% par rapport à la valorisation de l'entreprise. Avec cet emprunt garanti par l'Etat, les conditions d'un "deal" à 50-50 semblent donc moins justifiées.

En outre, la restructuration du secteur automobile européen pourrait être plus douloureux que prévu. Bernard Jullien, maître de conférence à l'université de Bordeaux et spécialiste de l'industrie automobile, estime que déjà en 2018, le marché européen était monté trop haut et que le rythme de croisière pourrait davantage se situer autour du niveau de 2015... Autrement dit, l'Europe automobile se dirige droit vers des réajustements de capacités de production. Et en matière de surproduction, le groupe Fiat passe pour le champion d'Europe des usines sous-utilisées... L'utilisation des capacités des usines italiennes de FCA ne dépassait pas 60%, d'après une note LMC Automotive publiée il y a un an, c'est-à-dire à un moment où le marché était au plus haut... Pour Bernard Jullien, la question ne se pose pas seulement en termes de capacités de production, mais également en termes de portefeuilles de marques: «même le groupe Volkswagen a montré qu'on pouvait gérer 4 marques généralistes mais pas davantage, ici, on parle de pas moins de sept marques généralistes». D'autant que côté FCA, la relance des gammes coûtera une petite fortune... La nouvelle entité pourrait dès lors faire des arbitrages en défaveur de telle ou telle marque: «quand on n'investit plus dans le plan produit d'une marque, on la laisse disparaître», explique Bernard Jullien qui s'interroge ainsi sur l'avenir d'une marque comme Alfa Romeo.

Autrement dit, la fusion FCA-PSA pose d'immenses défis dont l'enjeu critique a été largement amplifié par la crise du Covid-19. En outre, de nombreuses questions se poseront d'un point de vue politique.

"La presse italienne a déjà commencé à interroger les pouvoirs publics sur l'opportunité de verser des dividendes aux actionnaires alors que FCA vient de recevoir un prêt garanti par l'Etat. Cela pourrait sérieusement contrarier le montage de fusion qui était aussi fondé sur des compensations aux actionnaires", observe Frédéric Rozier et d'ajouter que des engagements en matière d'emplois pourraient également faire obstacle à la restructuration du groupe.

Une dimension politique

Enfin, le projet à 50-50 revêt en soi un caractère éminemment politique sur fond d'éternelles considérations de souveraineté... Le gouvernement italien laissera-t-il des usines fermer sur son territoire ? Le gouvernement français fermera-t-il les yeux également ? Il interroge également sur le contrôle effectif du groupe. Dans la configuration actuelle, la famille Elkann deviendrait le premier actionnaire du nouveau groupe. Acceptera-t-elle de perdre ce contrôle s'il devait falloir réviser les termes du deal en défaveur de la partie italienne ?

Pourtant, cette fusion va dans le sens de l'histoire... Le marché automobile européen est ultra-concurrentiel, tout autant que les marchés américains et chinois. De l'avis de tous les observateurs, une consolidation est inéluctable. Pour Fiat, l'affaire est entendue. Le groupe a besoin des plateformes et technologies de PSA. Mais PSA y trouve également son compte dans l'affaire.

"Pour PSA, il n'y a pas photo, même s'il est moins rentable, FCA pèse deux fois plus en chiffre d'affaires et est positionné sur les marchés les plus dynamiques comme les Etats-Unis ou la Chine. PSA est confronté aux limites de son modèle de croissance organique...", relève Frédéric Rozier.

Le groupe PSA a échoué sur son expansion en Chine, l'Amérique Latine est loin d'être l'eldorado prévu, et le groupe ne vend aucune voiture en Amérique du Nord. Au final, le groupe automobile emmené par Carlos Tavares réalise 85% de ses ventes en Europe... Et l'essentiel de ses profits ! Pour le patron choc de PSA, il faut briser ce plafond de verre en volumes qui l'empêche d'amortir les énormes dépenses en R&D qu'implique la transformation du secteur entre électrification et voiture autonome. Il a fallu racheter Opel à l'Américain General Motors pour que PSA acquiert un peu de taille critique et s'approcher des 4 millions de voitures par an.

Une fusion à tout prix ?

Mais face à la complexité des fusions, les constructeurs choisissent de plus en plus la voie de la coopération. Volkswagen a ainsi annoncé qu'il approfondissait son partenariat avec Ford dans la voiture autonome. Suzuki travaille depuis deux ans avec Toyota sur l'électromobilité. Sauf que PSA et FCA estiment que ce format ne permettra pas d'atteindre les 3,7 milliards d'euros de synergies espérées par leur fusion.

Début juillet, PSA a donc publié un communiqué pour réagir aux rumeurs sur les conditions de poursuite de la fusion. Il confirme que le projet de fusion reste d'actualité et ce, en dépit, des spéculations, convaincu qu'il sera créateur de valeurs. Pour autant, il ne dit rien à propos d'un reparamétrage des termes de la fusion... Et ainsi, lever les doutes sur sa faisabilité mais également sa pérennité.

Nabil Bourassi

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Commentaires 12
à écrit le 13/07/2020 à 8:48
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Les des ont roules depuis, la reponse est evidente : Non.

à écrit le 11/07/2020 à 10:50
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Que nos 2 Français se rapprochent. Que va faire PSA avec un moribond comme Fiat...

à écrit le 11/07/2020 à 8:03
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Le chiffre de €3.7 Mlds de synergie a été calculé avant la crise et en haut du cycle. Ce montant est-il toujours correct ? A mon humble avis, un partenariat serait beaucoup moins risqué pour Peugeot. Cordialement

à écrit le 10/07/2020 à 22:38
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Si cette fusion ne devait pas se faire, en raison d'un deal trop favorable sur le plan financier en faveur de FCA, ce serait un coup très dur pour PSA qui a un besoin vital de grossir pour faire des économies d'échelle et s'internationaliser hors d'E...

à écrit le 10/07/2020 à 16:42
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avec une enquête à charge il est certain que la fusion n'a plus beaucoup de chance d'aboutir : encore une commission choisie "impartialement", cela va de soi !

à écrit le 10/07/2020 à 16:37
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Fiat reçoit un emprunt garanti par l'Etat italien et Renault (qui a un PDG italien) a reçu une aide de l'Etat de 5 milliards et PSA a été aidé par l'Etat en 2018/2019 ....

le 11/07/2020 à 11:48
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PSA n'a pas été aidé en 2018 / 2019. Cette information est erronée raca.

à écrit le 10/07/2020 à 11:33
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Correctif : A part se goinfrer de cash, à quoi sert Chrysler ? Fiat a déjà abondé, maintenant la cible est PSA.

à écrit le 10/07/2020 à 11:32
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A part se goinfrer de cash, à quoi sert FCA ? Fiat a déjà abondé, maintenant la cible est PSA.

à écrit le 10/07/2020 à 9:33
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"enquête de conformité concurrentielle" Alors que si cela avait été du fait de la volonté de VW ou Mercedes ce serait déjà fait, ça se passe comme ça au sein de l'empire prévu pour durer mille ans.

à écrit le 10/07/2020 à 9:32
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FCA un boulet à traîner...

le 10/07/2020 à 16:41
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Monsieur Titou avant de dire des âneries analysez les chiffres que diable !!!

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