
L'automobile va-t-elle raviver les tensions franco-allemandes ? Récemment, la guerre en Ukraine a creusé des tensions entre les deux pays, notamment autour de l'énergie et de la défense. La semaine dernière, l'Union européenne a annoncé ouvrir une enquête sur les subventions massives du gouvernement chinois à son industrie automobile électrique. Une initiative fortement poussée par les constructeurs et le gouvernement français. Quelques jours plus tard, le commissaire européen chargé du Marché intérieur Thierry Breton, ajoutait sur LCI :
« Généralement - je ne veux pas préjuger de ce que vont donner les résultats de l'enquête que nous ouvrons - mais généralement, si je regarde ce qui se passe pour les enquêtes qu'on ouvre, ça se traduit souvent par des augmentations de droits de douane de 10 à 20 % »
En outre, mercredi, l'Etat français a annoncé la publication du décret qui va conditionner le bonus écologique attribués aux voitures électriques qui auront une plus faible empreinte carbone.
Ainsi, en deux semaines, l'Europe a sorti les griffes pour protéger son industrie automobile de l'arrivée massive des constructeurs chinois et de leurs prix agressifs, environ 10.000 euros en dessous du marché.
Menaces de Pékin
Mais cette annonce de l'ouverture d'une enquête par l'UE a, sans tarder, été suivie d'effets en Chine qui a menacé l'Europe d'un « impact négatif sur les relations économiques et commerciales », dénonçant ainsi une mesure « prise au nom d'une "concurrence loyale" » et « ouvertement du protectionnisme ».
Pas de quoi effrayer la France à l'instar du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui a estimé qu'il s'agissait « d'une bonne nouvelle que l'Europe prenne conscience de la nécessité de défendre ses intérêts économiques ». Son homologue allemand s'est, lui, montré plus prudent dans ses propos : « S'il y a des doutes sur l'équité, il faut les examiner. Le commerce mondial est basé sur des règles et (elles) s'appliquent naturellement aussi aux véhicules électriques ».
Car la Chine pourrait sanctionner l'Europe par différents moyens : de l'augmentation des coûts des matières premières à l'interdiction de vente de certains constructeurs, dans les cas les plus extrêmes. « Une situation peu probable », estime toutefois Julien Pillot, économiste et enseignant-chercheur à l'INSEEC, qui souligne l'importance du continent européen sur le marché mondial. « L'Union européenne regroupe 450 millions d'habitants avec un des plus forts pouvoirs d'achat mondiaux et parfois 2 à 3 voitures par foyer. Il ne faut pas sous-estimer notre force non plus ».
Les constructeurs allemands inquiets
Pour autant, les constructeurs allemands, contactés par La Tribune, craignent que les mesures protectionnistes ne comportent plus de risques que d'avantages pour leur industrie et prônent le libre-échange. Une réaction que ne partage pas totalement Julien Pillot qui nuance la situation allemande :
« L'industrie allemande a intérêt à protéger son industrie automobile, car si elle a une position dominante sur le thermique, le futur ne dit pas si elle pourra garder l'avantage sur l'électrique », explique-t-il, avant d'ajouter néanmoins que « si l'Allemagne a beaucoup à gagner avec des mesures protectionnistes, c'est également elle qui a le plus à perdre en cas de représailles. Et tant qu'on ne connaît pas la réaction de la Chine, il est difficile d'évaluer à l'avance si les avantages prendront le pas sur les risques. »
L'Allemagne, une industrie tournée vers la Chine
La première puissance européenne est résolument portée par l'automobile et s'est largement tournée vers la Chine pour vendre ses modèles. La filière est le premier secteur industriel dans le pays et sa part dans le PIB représente environ 13 %. Cette production est en grande partie exportée en dehors de l'Europe, contrairement aux constructeurs français, et particulièrement vers la Chine. À titre d'exemple, le géant automobile Volkswagen y vend presque 40 % de ses véhicules, soit plus que toute l'Europe réunie, malgré une baisse de part de marché récemment. BMW et Mercedes ne sont pas très loin en termes de ventes. En tout, près de 30 % du chiffre d'affaires des constructeurs allemands est réalisé en Chine.
Sans compter que ces derniers sont davantage positionnés sur le premium, rappelle le cabinet Roland Berger, et sont donc, de fait, moins menacés par les importations chinoises, à la qualité plus basse. Les constructeurs français, de leur côté, se sont éloignés du marché chinois, à l'instar de Renault, qui regarde désormais vers l'Inde. Leur positionnement sur la moyenne gamme, en confrontation directe avec les véhicules chinois, a quant à lui tout intérêt à être protégé par les mesures européennes.
Autre variable désormais : l'électrique, qui rebat les cartes. Aucune marque européenne n'est parvenue à se positionner dans le top 10 des voitures les plus vendues en Chine en 2022. Toutes les places ont été occupées par les nouveaux constructeurs chinois spécialistes de l'électrique ainsi que par Tesla. Mais sur l'électrique justement, les Allemands comptent bien imposer leur style en Chine et garder leur part de marché. Par conséquent, les constructions d'usines se multiplient. Récemment, c'est BMW qui a annoncé 1,3 milliard d'euros d'investissements pour sa future gamme de voitures électriques et de batteries associées à partir de 2026. Des efforts qui pourraient donc être mis à mal par les ambitions protectionnistes de l'UE.
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