
De quoi mettre de l'huile sur le feu. Alors que les relations entre l'Union européenne et la Chine s'enveniment depuis l'annonce de Bruxelles la semaine dernière de lancer une enquête sur les subventions accordées par Pékin à son industrie automobile, la France détaille son bonus écologique, une arme qui exclura les véhicules construits dans l'ex-empire du Milieu. Ce mardi en effet, vont être publiés un décret sur les conditions du nouveau bonus écologique dans l'automobile ainsi que l'arrêté précisant la méthodologie de calcul du score environnemental pour chaque modèle de voiture électrique. Pour rappel, ce nouveau bonus concernera les véhicules électriques de moins de 47.000 euros vendus après le 15 décembre prochain. Pour l'heure, le montant de cette aide est de 5.000 euros et de 7.000 euros pour les ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur ou égal à 14.089 euros.
Conditionné à un score environnemental qui est établi par l'Agence de la transition écologique (l'Ademe), ce bonus permettra d'économiser 800.000 tonnes de CO2 par an en moyenne selon le gouvernement et une part conséquente - bien que non précisée - de financement public. En effet, le bonus écologique coûte actuellement 1 milliard d'euros par an à l'Etat. Près d'un tiers des véhicules électriques vendus subventionnés présenteraient un mauvais score environnemental et ne seraient pas éligibles.
Pour bénéficier du bonus, il faudra que les voitures aient un score environnemental minimal de 60 sur 100, sur une base de 4 critères : la production de matériaux pour le véhicule (en particulier l'aluminium et l'acier), la fabrication de la batterie, l'assemblage de la voiture ainsi que son transport. La liste des véhicules qui pourront bénéficier de cette aide sera disponible à partir du 15 décembre.
Quels modèles seront susceptibles d'être dedans ?
Avant cela, les constructeurs doivent fournir l'ensemble des modalités du véhicule - poids, lieu d'assemblage, volume et provenance des matériaux utilisés, batteries, transport - sur une plateforme de l'Ademe. S'il est difficile d'identifier exactement les véhicules qui en seront exclus, tant le gouvernement se montre précautionneux, il est facile de noter que les véhicules produits en Chine ne seront probablement pas éligibles. C'est en tout cas ce qu'avait annoncé Agnès Pannier-Runacher sur TF1 il y a une semaine, citant notamment le chinois MG et le modèle de Dacia électrique, la Spring (groupe Renault)
Sur la valeur de chaque critère du bonus dans la note finale, difficile d'en savoir plus. Une batterie produite en Chine a une empreinte carbone 1,7 fois à 3 fois plus élevée que sa consœur européenne. Quant à la production totale d'une petite berline, elle serait 45 fois plus polluante en Chine que son équivalente européenne, avance une source ministérielle. En outre, ces chiffres sont calculés selon le mix énergétique du pays, la Chine ayant un mix très carboné par rapport à la majorité des pays européens, qui possèdent davantage de nucléaire.
Si la Dacia Spring et les MG ont été cités, d'autres modèles sont également sur la sellette. Quid des Tesla Model 3 et Model Y produites en Chine ? Idem pour la Smart 3 #1 produite également en Chine ou de la Kia Niro en Corée du Sud ? Tous ces modèles pâtiraient à la fois du mix énergétique mais aussi du transport. Sur les modèles produits en Europe, des questions se posent également. D'une part, certains modèles comme la Fiat 600 électrique ou la Jeep Avenger, fabriquées en Pologne, où le charbon domine, pourraient être exclus.
D'autre part, la plus grande inquiétude se place sur le reste des constructeurs européens qui, pour la plupart, possèdent des batteries venues de Chine. À ce rythme, presque aucun véhicule ne pourra bénéficier de ces 5.000 euros. Un argument que balaie le gouvernement : « Nous avons fixé des seuils d'éligibilité de façon à avoir suffisamment de choix pour les ménages. La batterie représente 30 % de l'empreinte carbone d'un véhicule, si vous êtes excellent sur tous les autres points, alors vous rentrerez dans le bonus ».
Une faible disponibilité de choix
Sauf que ce choix sera plus coûteux. De fait, les véhicules qui auront le meilleur score environnemental seront fabriqués en France, avec une batterie au mieux française ou tout du moins européenne. Or, ces modèles sont plus coûteux, car l'inflation a obligé les constructeurs, comme Renault avec sa R5, à réhausser leurs prix. Le gouvernement planche donc sur une augmentation du bonus écologique afin de ne pas pénaliser les ménages.
Afin d'élargir les choix de véhicules dans le bonus, l'Etat propose également aux constructeurs la possibilité d'un recours si leur modèle ne rentre pas dans les critères. Ainsi, si la voiture est produite dans une usine alimentée aux énergies renouvelables uniquement alors elle pourra demander à être intégrée au bonus.
En plus de cette conditionnalité à l'empreinte carbone, le bonus pourrait être une nouvelle fois conditionné dans les années à venir, soit pour 2025 ou 2026. Les autres critères visés sont la réparabilité de la batterie et l'incorporation de matériaux recyclés et recyclables.
Simplifications du bonus
Afin d'éviter une « usine à gaz » décrite par de nombreux spécialistes du secteur, l'Etat, et l'Ademe ont simplifié des critères de sélection pour le bonus après une vaste consultation des acteurs du secteur en août dernier. Les mêmes modèles produits sur différents sites, comme les Tesla Model Y et Model 3 à Berlin et en Chine, auront un score environnemental pondéré. L'empreinte carbone de la batterie, initialement calculée sur tous ses composants, sera uniquement orientée à son lieu de production.
Malgré ces simplifications, difficile d'y voir clair dans ces calculs, tant les modalités exactes restent opaques.
« C'est du name-bashing. La méthodologie de calcul manque de transparence. Les critères adoptés paraissent biaisés, ciblant notamment les productions asiatiques sans fondement écologique évident », tempête Athina Argyriou, présidente déléguée de la Chambre syndicale internationale de l'automobile et du motocycle (CSIAM).
Les règles de l'OMC en partie respectées
Ce bonus, qui vise clairement à favoriser les constructeurs européens, interpelle les représentants de la filière sur les règles du commerce international qui imposent de ne pas établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux. Le gouvernement assure, de son côté, que « ces subventions ne vont pas à l'encontre des règles puisque deux dérogations existent : l'une si cela concerne la santé de la population et l'autre concernant l'écologie ».
« Nous sommes sur une ligne de crête qui mérite beaucoup de vigilance. Avec les subventions massives de la Chine en faveur de l'industrie automobile chinoise, nous sommes passés du respect des règles de concurrence équitable à un rapport de force fondé sur une des distorsions de concurrence », explique Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors et en charge de la Géopolitique du commerce.
La semaine dernière, l'Europe a d'ailleurs lancé une enquête sur les subventions massives de la Chine attribuées à son industrie. Ce bonus marquera une première riposte d'un pays européen face aux protectionnismes chinois et américains. L'Allemagne, autre industrie automobile puissante, ne souhaite pas mettre en place un tel dispositif, craignant une riposte trop forte qui mettrait en danger sa propre industrie.
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