Selon les estimations du gouvernement, la filière hydrogène pourrait créer quelque 100.000 nouveaux emplois directs et indirects à l'horizon 2030... Si, et seulement si, elle parvient à recruter. Or, tous les métiers de l'hydrogène sont en tension, alerte l'étude Def'Hy, publiée ce jeudi 14 septembre par France Hydrogène, l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), l'incubateur soutenu par la Commission européenne EIT InnoEnergy, Pôle emploi, le réseau des Carif-Oref et Adecco Digital France.
Le rapport mentionne ainsi une « tension qui concerne les plus de 80 métiers auxquels la filière fait appel » et une tension particulièrement accrue sur les postes de chefs de projets, de commerciaux, de développeurs d'affaires et des techniciens de maintenance.
Un risque pour le développement de la filière
L'hydrogène, cette minuscule molécule produite par électrolyse de l'eau (un procédé qui consiste à séparer les atomes de la molécule d'eau grâce à un courant électrique) est considérée comme clé pour la transition énergétique dans la mesure où elle doit permettre de décarboner les usages qui ne peuvent être électrifiés. C'est notamment le cas de certains procédés de l'industrie lourde (chimie, sidérurgie, cimenterie), qui ont aujourd'hui massivement recours aux énergies fossiles. Ce gaz, qui n'émet pas de CO2, pourrait aussi être utilisé dans un second temps dans la mobilité lourde et intensive. Dans cette optique, l'exécutif vise un objectif de 6,5 gigawatts (GW) d'électrolyseurs installés en 2030. Le gouvernement vient ainsi de débloquer une enveloppe de 4 milliards d'euros pour permettre aux projets de production de passer à une échelle industrielle.
Le nucléaire et les batteries électriques, comme grands concurrents
Mais, « la montée en puissance de la filière, conjuguée à la concurrence des secteurs industriels entre eux, génère des tensions qui font peser un risque sur le bon développement de cette industrie », alerte le rapport. Encore à ses balbutiements, la filière souffre notamment de la forte concurrence avec les celles des batteries et du nucléaire, qui elles aussi, doivent recruter à tour de bras. 100.000 recrutements sont ainsi prévus au cours des dix prochaines années pour assurer la maintenance et la prolongation des centrales existantes, tout en menant à bien la construction de trois nouvelles paires de réacteurs nucléaires.
« On parle beaucoup plus des batteries et du nucléaire que de l'hydrogène », pointe Philippe Boucly à la tête de l'organisation professionnelle France hydrogène, selon qui la filière pâtit d'un manque de « visibilité et de lisibilité ». En atteste la différence entre les offres de formation existantes et la perception des recruteurs. « Selon les enquêtes que l'on a pu faire auprès des industriels, l'offre de formation est insuffisante. Or, on comptabilise actuellement 216 offres de formation », expose-t-il.
Reste que ces offres de formation sont très concentrées d'un point de vue géographique. « Les régions Grand Est et Auvergne-Rhône-Alpes concentrent 38% de l'offre de formation, les projets étant en développement partout sur le territoire, ceci peut constituer un point de vigilance », relève l'étude. « En ajoutant l'Ile-de-France, l'Occitanie et l'Aquitaine, 60% des offres de formations sont concentrées sur cinq régions seulement », complète Philippe Boucly. Par ailleurs, seules 35% de ces offres sont certifiantes.
Créer des passerelles
Pour surmonter ces écueils, la filière formule plusieurs propositions concrètes, comme « ranger » les formations en trois grandes familles : les formations de sensibilisation, les formations cœur et les formations connexes, lesquelles seront principalement dédiées aux travailleurs en reconversion. « La question de la transférabilité des compétences des filières en décroissance, comme celle des moteurs à combustion, vers la filière hydrogène est clef. Il faut favoriser les passerelles via des Pass métiers », insiste Philippe Boucly. Une bascule illustrée il y a quelques jours par la reprise des Fonderies du Poitou à Châtellerault (Vienne), par un consortium français alliant Lhyfe, spécialiste de l'hydrogène renouvelable et TSE, producteur d'électricité solaire.
Les professionnels du secteur plaident aussi pour la mise en place d'un observatoire des compétences et métiers de la filière hydrogène qui « permettrait d'éclairer les dynamiques d'emploi afin de les anticiper ».
« Il faut qu'on fasse rêver »
Pour renforcer son attractivité, la filière entend capitaliser sur son rôle dans la transition énergétique. Une caractéristique sur laquelle s'appuient, aussi, les acteurs de l'atome civil et des batteries... « Il faut qu'on fasse rêver », lance Philippe Boucly, « en mettant, par exemple, en avant les atouts de l'hydrogène dans la mobilité par rapport à la batterie ». En revanche, « il n'est pas évident de se différencier par rapport au nucléaire dans la mesure où l'hydrogène est produit, en partie, à partir du nucléaire », concède-t-il.
À la veille d'une révision de la stratégie nationale de l'hydrogène, les acteurs du secteur attendent du gouvernement un large soutien répondant à ces besoins de formation. « Le problème est identifié, il y a des recommandations, il faut désormais s'organiser », conclut Philippe Boucly.
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