Jeux en ligne : le patron de Betclic dénonce les distorsions de concurrence de la FDJ

GRAND ENTRETIEN - L'annonce a fait l'effet d'une bombe dans le secteur des jeux et paris en ligne fin janvier : la Française des Jeux (FDJ), l'ex opérateur public devenu privé qui jouit toujours d'activités exclusives, projette de racheter le géant suédois Kindred pour 2,6 milliards d'euros. Une opération qui risquerait de « déséquilibrer » gravement le secteur selon Nicolas Béraud, PDG du groupe français Betclic et président de l'Afjel, l'association française des jeux en ligne. En pleine consolidation, le marché est aussi confronté à d'autres fléaux que sont les sites illégaux de jeux qui pullulent et les risques d'addiction des joueurs.
Nicolas Béraud, PDG de Betclic et président de l'Afjel.
Nicolas Béraud, PDG de Betclic et président de l'Afjel. (Crédits : DR)

Près de quinze ans après l'ouverture du marché des jeux et paris en ligne en France, les gains continuent de croître, surtout pour les poids lourds du secteur. Parmi eux, la marque Betclic, filiale de FL Entertainment, le géant du divertissement en Europe qui affiche une croissance organique multipliée par cinq en cinq ans, tout en affrontant l'appétit féroce des concurrents étrangers. En France, alors que l'activité a généré plus de 13 milliards de chiffre d'affaires en 2022, soit plus de 50% de croissance depuis l'ouverture du marché en 2011, les règles du jeu sont complexes.

Seules six activités sont autorisées par la loi (casino terrestre, paris hippiques, poker, paris sportifs, loterie, jeux instantanés tel le grattage). Et la législation française va encore plus loin. Si les jeux de casino en ligne sont, de facto, interdits, l'opérateur historique, la Française des Jeux (FDJ), - comme le PMU sur les paris hippiques -, bénéficie d'un monopole exclusif sur les jeux de loterie, jeux de tirage et instantanés. L'ex opérateur public s'est ainsi arrogé près de la moitié du marché avec, en 2022, 6,5 milliards d'euros de produits bruts par jeu (PBJ), soit la différence entre les mises des joueurs et leurs gains. Plus inquiétant, l'offre illégale explose en ligne dans l'Hexagone.

Une situation intenable aux yeux de Nicolas Béraud, le PDG de Betclic et président de l'Afjel, l'association représentative des opérateurs agréés par l'ANJ (Autorité Nationale des Jeux). Le patron basé au siège à Bordeaux, qui a fondé Betclic en 2005 à Londres, milite aussi pour la légalisation des casinos en ligne.

LA TRIBUNE - La Française des Jeux a annoncé fin janvier son intention de mettre la main sur le géant suédois Kindred Group (propriétaire des activités de paris sportifs, poker, turf de la marque Unibet en France) pour un montant faramineux de 2,6 milliards d'euros. La FDJ veut devenir « un champion européen des jeux d'argent et de hasard ». Cela vient-il renforcer un acteur français ou, à l'inverse, plier le match des parts de marché ?

NICOLAS BERAUD - C'est effectivement un gros deal. Il existait déjà des problèmes de distorsion de concurrence puisque la FDJ est positionnée sur des jeux exclusivement réservés à son monopole (loto, grattage) et, en plus, sur des jeux qui sont ouverts à la concurrence (paris sportifs en ligne, poker). Or, cela génère au moins deux problèmes pour le secteur. Le premier est qu'ils utilisent la marque « Parions Sport » pour le territoire de jeux sous son monopole mais aussi pour ceux ouverts à la concurrence. Résultat, lorsqu'ils s'affichent dans les 35.000 points de vente réservés pour leurs activités en monopole - dans lesquels les autres opérateurs de l'AFJEL ne peuvent pas aller -, ils font de la publicité pour leurs autres activités ouvertes à la concurrence. Et ce, à un moment où, depuis trois ans, on met aux autres opérateurs de plus en plus de contraintes sur la publicité. C'est la première grosse distorsion de concurrence. La seconde se trouve en ligne, où les comptes des joueurs sont les mêmes que l'on joue sur les activités du monopole ou sur des jeux ouverts à la concurrence. Ainsi, à un client qui joue au loto, la FDJ va lui proposer d'aller jouer sur ses activités des jeux ouverts à la concurrence. Ils utilisent leur base de données clients et les transfèrent à toutes leurs activités pour les booster. C'est du dumping. Avec l'arrivée du groupe Kindred (Unibet en France), qui est déjà un leader, la part de marché de la FDJ dans l'Hexagone va considérablement augmenter en produit brut des jeux (PBJ), en paris sportifs en ligne, en poker... dans un contexte où il y avait déjà des distorsions. Les opérateurs de l'AFJEL s'inquiètent de cette transaction. Elle risque de déstabiliser l'équilibre du marché en France. Reste à savoir comment l'Autorité de la concurrence va réagir à ce deal.

Quelles sont les conséquences pour les autres opérateurs ?

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les résultats de la FJD sont en forte croissance. Il s'agit de la deuxième acquisition de la FDJ en France, après Ze Turf. Il y a un vrai problème d'équilibre des filières. C'est très compliqué pour les petits opérateurs d'exister et de gagner de l'argent. D'abord parce que pour eux, le cadre réglementaire est très lourd. Ensuite parce que le monopole de la FDJ est très puissant. Quand vous avez 35.000 points de vente, c'est une force marketing gratuite et la distorsion est énorme. Le marché s'est fragilisé depuis la loi Pacte (de 2019 autorisant la privatisation de la FDJ et son entrée en Bourse Ndlr).

Quelles sont vos propositions ?

Ce que l'on demande à l'ANJ et aux pouvoirs publics, c'est qu'on rétablisse un équilibre "fair" (juste) entre tous les opérateurs et que les distorsions soient corrigées. La FDJ n'est pas la même marque lorsqu'elle s'affiche sur les activités concurrentes et, de même, elle ne saurait utiliser les mêmes comptes-joueurs. Nous sommes aussi favorables à ce que l'on soit tous autorisés (opérateurs comme FDJ) à proposer des jeux de casino en ligne et des jeux de hasard, comme dans tous les autres pays européens. Cela permettrait de rééquilibrer la filière et aux petits opérateurs de se développer. Le nombre de licences est passé de 43 lors de l'ouverture du marché (la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne Ndlr), à 17 aujourd'hui. C'est un marché où il est très difficile de se développer face à la FDJ et aux contraintes réglementaires.

Comment faire reculer l'offre illégale des jeux d'argent et de hasard en ligne qui fait partie du paysage numérique en France, avec 1.241 sites internet et 106 applications mobiles dénombrés par l'ANJ ?

Le marché illégal est colossal. Il compte 3 à 4 millions de joueurs pour 1 à 2 milliards d'euros de PBJ, selon l'ANJ fin 2023. Or, ce qui est inquiétant, c'est la trajectoire. Le marché est en train d'exploser avec des acteurs qui sont basés au Curaçao, Chypre, ou autres paradis fiscaux. Ce sont des millions de joueurs à risque sur des sites illégaux, sans aucun contrôle, sans aucune protection. Il est vital d'assécher cette offre illégale. Malgré les efforts de l'ANJ, on voit que la méthode ne marche pas. Dès lors, le seul moyen est de réglementer cette activité comme nous l'avons fait en 2010 avec sur les paris sportifs où il n'y a pas plus d'offres illégales. Il est urgent d'agir. On ne peut pas mettre des contraintes sur les sites autorisés sans que cela déporte des joueurs vers des sites illégaux. Il faut une réglementation qui délivre des agréments. Et l'ANJ doit contrôler afin notamment de lutter contre le blanchiment d'argent et la fraude.

Le marché est plutôt à l'heure de la concentration où les géants rachètent plus petits qu'eux. La tendance va-t-elle encore s'accentuer ?

La tendance à la consolidation est amorcée depuis quelques années. Il y avait beaucoup d'opérateurs en Europe. Comme dans d'autres secteurs, les petits sont progressivement rachetés. Au final, il ne restera plus que 3 à 5 opérateurs majeurs. Il y a deux sociétés principales à l'œuvre sur cette consolidation en sur le Vieux continent : Flutter (qui possède les marques PokerStars, Skybet, Betfair...) et Entain (Bewin, Eurobet...) Il n'est d'ailleurs pas impossible que des groupes américains arrivent. En France, la tendance à la consolidation est plus récente.

Betclic Everest Group, filiale du groupe FL Entertainment côté au Pays-Bas, se voit-il comme l'un des leaders européens sur le moyen long terme ?

Nous l'espérons. Nous faire absorber n'est pas à l'ordre du jour mais tout peut arriver. Nous connaissons aujourd'hui une belle croissance organique (dont 860 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022) et comptons aller sur de nouveaux marchés à l'international, principalement en Europe. Nous sommes leader sur les paris sportifs en France et au Portugal. Et une acquisition nous permet de gagner du temps et de démarrer avec une base de données clients.

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Pour augmenter la notoriété auprès de vos cibles, la publicité est omniprésente. Cette année, les investissements promotionnels vont augmenter de 14% par rapport à 2023, pour un montant total investi par les opérateurs de 670 millions d'euros, selon l'ANJ. Pour réduire des risques d'addiction, ne faudrait-il pas l'interdire ou limiter davantage comme l'ont déjà suggéré des députés de l'aile gauche ?

Depuis trois ans, beaucoup de travail a été fait avec le régulateur et les opérateurs. On a mis en place des chartes et un certain nombre de bonnes pratiques pour limiter la publicité autour d'événements sportifs. Il faut attendre de voir le résultat de ce travail avant de renforcer ou non le contrôle de publicité. L'un des intérêts de la publicité est justement de faire connaître l'offre légale. Aussi, si les investissements ont augmenté, c'est d'abord à cause des coûts publicitaires et non en raison des volumes d'affichages. Ce serait une erreur d'interdire la publicité car cela reviendrait à laisser le champ libre au marché illégal. Les clients ne sauraient plus faire la différence. Nous rappelons enfin que tous les plans marketing des opérateurs sont validés par le régulateur (ANJ et l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité ARPP). La promotion est sous contrôle.

Les joueurs dits « à risque » ont représenté 21% du chiffre d'affaires du secteur en 2019 (Observatoire des Jeux). Quels sont les résultats de ces bonnes pratiques mises en place au niveau publicitaire ?

Il n'y a pas encore d'études plus récentes et nous attendons la prochaine pour la fin d'année 2024. Au niveau de Betclic, nous avons mis en place un logiciel d'intelligence artificielle capable de détecter les profils de joueurs à risques en matière d'addiction. 98% des joueurs jouent de manière récréative, les profils problématiques représentent seulement 1 à 2%. Grâce à des algorithmes, nous les détectons, avant de les contacter, de les accompagner ou de leur abaisser leur limite de jeu.

Prévoyez-vous chez Betclic d'augmenter vos dépenses publicitaires et marketing dans la perspective des JO de Paris ?

Non, les jeux olympiques ne sont pas un événement très attractif pour les parieurs. Le joueur aime en effet parier sur ce qu'il connaît. Et aux JO, il y a beaucoup d'athlètes qu'on ne connaît pas, il faut être spécialiste. Pour nous, l'événement important est l'Euro 2024 de football (du 14 juin au 14 juillet en Allemagne Ndlr).

Vous devrez faire face à vos concurrents lors de cet événement, sur quoi misez-vous pour vous différencier ?

L'ADN de Betclic, en tant que boîte tech, est de proposer la meilleure expérience mobile pour tous les amateurs de sports, de tous âges, avec une grande simplicité d'utilisation, via l'application. C'est ce qui fait que les clients reviennent et rejouent. Betclic se veut une marque grand public, dans une logique de divertissement. Aussi, sur 650 salariés aujourd'hui à Bordeaux, 350 sont des ingénieurs. Et en tout, 500 personnes sont dédiées au design produits si l'on réunit tout le monde. On continue d'ailleurs de recruter massivement sur ces profils en 2024, plus de 150 ingénieurs à Bordeaux et dans nos bureaux dans toute l'Europe (Lisbonne, Pologne, Italie, Malte).

Le Web 3 (de la propriété numérique via les NFT ou du paiement en cryptomonnaies) a donné naissance à de nouveaux champions des jeux et paris, à l'image de Sorare, qu'en pensez-vous ?

On suit le sujet avec attention. C'est bien qu'il y ait de nouvelles licornes. Il y a aura des opportunités, il faut laisser la créativité et, dans le même temps, mettre le bon cadre pour que ce secteur ne devienne pas un moyen de contourner la loi. Pour l'heure, le projet de loi français SREN, relatif à la sécurité numérique, est bloqué à Bruxelles par la Commission européenne. On attend de voir le cadre légal définitif.

Lire aussiLa licorne française Sorare soupçonnée d'être un site de paris déguisé

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Commentaires 3
à écrit le 30/01/2024 à 9:33
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Betclic, entreprise française est domiciliée à Londres. Tout est dit.

à écrit le 30/01/2024 à 8:12
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à écrit le 30/01/2024 à 8:02
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Et il a raison d'autant que nous sommes tranquilles ceux qui ont acheté la FDJ doivent avoir un bon gros réseau de dirigeants politiques dans leurs contacts. On connait la chanson avec les autoroutes, l'eau... il veut pas se laisser bouffer tranquill...

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