« On veut faire participer toute l'industrie. Pas seulement les compagnies aériennes, mais toute la chaîne logistique ». C'est ce qu'a déclaré Remona van der Zon, directrice de la stratégie durable de KLM, lors d'une table-ronde du Paris Air Forum organisé ce 16 juin par La Tribune.
Face aux constructeurs Boeing et Airbus, mais aussi à l'entreprise finlandaise spécialisée dans le raffinage Nesté, celle-ci a appelé l'« écosystème » entier à se mobiliser, alors que l'aviation civile mondiale fait face à des défis immenses pour devenir « neutre en carbone » d'ici à 2050. Et ce, afin de mettre à l'échelle les technologies de décarbonation du secteur, notamment les carburants d'aviation durable (SAF, sustainable aviation fuel) qui nécessiteront des investissements massifs. Avec une répercussion inévitable sur les prix payés par les clients.
L'œuf ou la poule
Et pour cause, se pose aujourd'hui la « question de qui, de l'œuf ou de la poule, doit agir », a souligné Jonathan Wood, vice-président Commercial & Technique Aviation Durable de Nesté.
« On a suffisamment de potentiel pour remplacer le carburant fossile utilisé actuellement. [...] Mais il faut maintenant voir comment on finance toutes ces nouvelles technologies à risque plus élevé au niveau technologique et de risque financier en tant que tel », a-t-il fait valoir.
Sans quoi le secteur pourrait se retrouver dans une impasse : « Plusieurs développeurs de projets ont aujourd'hui du mal à obtenir des financements, car il y a beaucoup d'incertitudes », a-t-il alerté. « Nous sommes en train d'agir, de créer une demande », a répondu Chris Raymond, directeur du développement durable chez Boeing. Et d'ajouter qu'« on ne pourra y arriver que si on a des clients qui viennent avec nous. »
L'importance du cadre politique
Et cela doit aussi (et surtout, si l'on en croit Airbus) se jouer au niveau politique. « Les clients sont d'accord, les producteurs aussi ! On en revient toujours au niveau politique, avec l'association de mandats d'incorporation et d'incitations, et un cadre prenant en compte les schémas de réduction du CO2 pour démontrer de manière transparente les progrès », a souligné Julie Kitcher, vice-Présidente Exécutive Communication, Développement Durable et Affaires Corporate d'Airbus. Et de citer l'Inflation Reduction Act américain (IRA), ce vaste plan d'investissement qui va fortement subventionner la transition vers les carburants décarbonés aux Etats-Unis.
Car tout, ou presque, reste à faire : disposer de 10% ce combustible durable dans le mix d'ici à 2030 reviendrait à produire 30 millions de tonnes de SAF en valeur absolue. Or, « on en est à moins de 1 million de tonnes en 2022 », a-t-elle insisté. Pour avancer sur le sujet,« il ne faut pas être pénalisé moyennant l'utilisation combustible durable »... et même « être célébré », a ajouté Chris Raymond.
« La politique est absolument essentielle pour faire progresser en la matière en Europe » et « justifier les investissements », a abondé Jonathan Wood.
« Là où on vend le plus de SAF aujourd'hui, c'est aux Pays-Bas et en France. Or, les Pays-Bas mènent une politique qui incite à acheter du SAF. Et en France, on commence à avoir un niveau de mandats d'incorporation », a-t-il précisé.
Les annonces du gouvernement français saluées par Boeing
Dans cette même veine, Chris Raymond a salué les annonces d'Emmanuel Macron de ce matin. « C'est fantastique de voir que l'industrie se rassemble autour de cette question. Il n'y a plus de question sur la technique, mais sur comment en obtenir plus [de SAF, ndlr] et combien ça coûte », a affirmé le directeur du développement durable de Boeing.
En effet, lors d'une visite à l'usine de Villaroche (Seine-et-Marne) du motoriste Safran, le chef de l'Etat a annoncé une slave d'investissements pour décarboner le secteur de l'aviation. Au total, 8,5 milliards d'euros seront mobilisés d'ici à 2027. Dans cette enveloppe, l'Etat prévoit notamment de débourser 200 millions d'euros pour monter une filière française SAF.
Ces fonds vont servir à l'implantation du projet BioTJET dans la zone de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), qui vise à construire et opérer la première unité commerciale française de biocarburants à destination du secteur de l'aéronautique. Ce carburant sans pétrole sera produit à partir de biomasse composée de résidus issus majoritairement de la sylviculture locale et de déchets de bois en fin de vie.
Quid du prix du billet ?
Au global, aussi bien Nesté que Boeing, Airbus et KLM se montrent confiants sur la capacité du secteur à se décarboner à temps. D'ici à 1 an, Nesté « aura des capacités de production qui dépasseront les obligations européennes d'incorporation de SAF », s'est d'ailleurs félicité Jonathan Wood. Pour rappel, l'Union européenne va imposer aux compagnies aériennes des obligations graduelles d'incorporation de SAF dans le kérosène d'aviation (2% en 2025, 6% en 2030, au moins 70% en 2050).
De son côté, Air France-KLM entend aller au-delà de la régulation européenne et vise une incorporation de 10% à l'horizon 2030 sur tous ses vols, afin d'atteindre ses objectifs de décarbonation, qui consistent à baisser de 30% ses émissions de CO2 par passager-kilomètre, unité de référence du secteur, en 2030 par rapport à 2019.
« Cette industrie a lancé des fusées, mis des hommes sur la lune ! [...] Elle a démontré qu'elle peut résoudre des problèmes difficiles quand elle se rassemble », a défendu Chris Raymond.
Il n'empêche, le chemin reste long et semé d'embûches. Reste aussi à savoir « si les passagers seront enclins à payer » le coût de la transition, alors que les SAF coûteront plus cher que le kérosène, aujourd'hui non taxé, a noté Remona van der Zon. « Aujourd'hui, pour un vol au départ d'Amsterdam, le carburant représente 1% du prix du billet, soit entre 3 et 4 euros. Que se passera-t-il si vous augmentez jusqu'à 30% cette part ? », s'est-elle interrogé. Avant de conclure qu'il s'agit là d'un « vrai défi ». Un de plus.
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