Comment réconcilier le train et l'avion ? Air France, la SNCF, ADP, Michelin répondent

La loi climat veut interdire les vols intérieurs dès lors qu'il existe une alternative ferroviaire pour les trajets de moins de 2h30 (hors vols vers les hubs). Peut-on réconcilier le train et l'avion ? C'est de ce sujet sensible qu'ont débattu Anne Rigail, directrice générale d'Air France, Augustin de Romanet PDG du Groupe ADP, Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF et Florent Menegaux, président du Groupe Michelin lors du Paris Air Forum du 21 juin organisé par la Tribune au Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget.

La guerre entre l'avion et le train est-elle finie ? La pression sociale exercée sur le transport aérien a conduit le gouvernement à légiférer en faveur d'une interdiction des vols intérieurs dès lors qu'existe une alternative ferroviaire en moins de 2h30, hors vols vers les hubs pour le trafic de correspondance. Un moindre mal pour l'industrie aéronautique par rapport aux exigences de la Convention Citoyenne qui réclamait la suppression des vols sur tous les axes assurés par le train en moins de 4 heures. Ce qui revenait à supprimer la quasi-totalité des vols intérieurs français.

Ce choix politique concerne en fait peu de trajets : Paris-Orly-Nantes, Orly-Lyon, Orly-Bordeaux, mais pas les vols au départ de ces métropoles régionales vers Roissy-Charles de Gaulle. Sur les deux premières liaisons, la clientèle aérienne domestique est assez faible. La liaison avec Bordeaux, en revanche, peut poser un problème aux entreprises installées près de l'aéroport bordelais.

« Cette loi illustre un alignement des planètes en faveur de la mobilité durable, tout comme le Green Deal européen. Mais il ne faut pas opposer artificiellement train et avion. Nous souhaitons travailler de la manière la plus complémentaire avec Air France », a tempéré Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, pour qui l'enjeu principal pour les deux industries est de se décarboner.

Pour rappel, le transport aérien représente entre 2 et 3% des émissions de carbone dans le monde. Et les acteurs de l'aviation entendent relever le défi de la décarbonation du secteur, alors que le transport aérien est appelé à croître au cours des prochaines années.

« En 2040, l'avion électrique sera opérationnel pour les petits trajets, des avions à hydrogène voleront sur les distances moyennes et les long courriers seront propulsés par des carburants durables. L'important, c'est de décarboner l'avion », a indiqué Augustin de Romanet, le PDG du groupe ADP. Un changement de paradigme qui, peut-être, sera accompagné à l'avenir d'une nouvelle climat beaucoup plus dure pour le transport ferroviaire.

Lire aussi 3 mn"Qui vous dit qu'en 2029, il n'y aura pas de loi climat qui interdira de faire des lignes de TGV" ? (PDG d'ADP au Paris Air Forum)

Du côté d'Air France, cette loi climat entérine la décision prise au début de la crise de fermer ces lignes déficitaires en raison de la concurrence du TGV.  Elle s'additionne à un autre engagement plus large qui est de diviser par deux en valeur absolue les émissions de CO2 sur le réseau domestique.

 « L'opposition du train et de l'avion est un combat d'arrière-garde », a fait valoir Anne Rigail, directrice générale d'Air France. Air France et la SNCF ont d'ailleurs profité du Paris Air Forum pour annoncer l'extension de leur partenariat  «Train + Air », permettant aux passagers de combiner dans une même réservation des trajets en train et en avion entre plusieurs villes de province et les aéroports de Paris-Charles de Gaulle et Paris-Orly. Pour autant cette offre commune doit s'améliorer a-t-elle fait valoir. Pour avoir un billet combiné, il faut en effet aller le chercher dans sa gare de départ, a rappelé Anne Rigail qui souhaite donc une offre digitalisée. Elle demande aussi d'avoir "une compétitivité tarifaire" pour que "le client n'ait pas intérêt à acheter des billets séparés" et une "adaptation des infrastructures aéroportuaires pour favoriser cette intermodalité", non seulement dans les aéroports parisiens mais aussi sur son hub de Lyon. En tout cas, pas question de relancer le projet de créer sa propre compagnie ferroviaire sur le marché domestique au départ des gares parisiennes, comme cela fut envisagé en 2008, avant d'être abandonné avec la crise financière. Aujourd'hui, au regard des investissements « ce serait folie de faire autrement », a expliqué Anne Rigail.

Des rails et des trains neufs pour Michelin

Si Air France réduit la voilure sur le réseau domestique, sa directrice générale a rappelé que les élus locaux tiennent beaucoup à conserver les liaisons aériennes vers Paris et donc vers le monde entier. Ils ne sont pas les seuls. Les entreprises aussi. Le cas de Michelin en est le meilleur exemple. Le spécialiste du pneu est en effet la seule entreprise du CAC 40 dont le siège social est en région, à Clermont-Ferrand. Difficile par conséquent de conserver cet ancrage régional sans liaisons aériennes vers Paris, point de départ vers les autres continents.

« Plus de 10 000 de nos salariés voyagent dans le monde entier en permanence. Nous sommes présents dans 174 pays. Nous avons impérativement besoin de tous les moyens de transport », a expliqué Florent Menegaux, le président du Groupe Michelin.

Très dépendant du transport aérien, le groupe auvergnat a d'ailleurs créé sa propre compagnie aérienne, Michelin Air Services, dont les Falcon acheminent les personnels vers les sites industriels en Europe. Se rendre à Paris en train s'avère difficile pour les collaborateurs de Michelin : la capitale régionale ne bénéficie pas de liaisons TGV et les Intercités souffrent de retards fréquents.

« Nous sommes à 420 Km de Paris et il faut 4 h15 en moyenne pour y arriver, alors que Marseille, qui est à 770 km, n'est qu'à 3h30 de la capitale. Nous décourageons nos personnels à prendre le train pour se rendre à Paris, c'est une perte de temps trop importante » regrette le président de Michelin, qui voudrait que la SNCF investisse sur les voies et le matériel roulant, ce qui pourrait ramener le temps de trajet à 2H30.

En réponse à ces doléances, Jean-Pierre Farandou a rappelé le plan de d'investissement prévu pour le renouvellement des voies (1 milliard d'euros), ce qui permettra de relever la vitesse à 200 km/h sur plusieurs tronçons. Et du matériel neuf, des rames de type TGV, va être construit et devrait être disponible vers 2024/2025.

« À ce moment-là, nous auront un service satisfaisant et beaucoup plus fiable entre Clermont et Paris », a affirmé le président de la SNCF.

Autre « trou dans la raquette » dans l'offre SNCF, selon son PDG, ce sont des connexions transversales inexistantes puisque toutes les lignes TGV passent par Paris. C'est pourquoi la ligne TGV Bordeaux Toulouse, prévue à horizon 2027, « est intéressante car elle permettrait d'amorcer une transversale sud à grande vitesse « en se raccordant à des bouts de lignes qui finiraient par arriver à Montpellier et Marseille » d'après Jean-Pierre Farandou. "Les transversales devront être rénovées en matière d'offre, de matériels roulants, de services pour être capable d'offrir une alternative sérieuse" à la voiture essentiellement et à l'avion, a-t-il ajouté.

CDG Express en 2026?

L'autre grand chantier qui concerne ADP, la SNCF et les compagnies aériennes, c'est celui du CDG Express. Initialement prévu pour les Jeux Olympiques de 2024, il ne devrait entrer en service que vers 2026, selon Augustin de Romanet. Le président d'ADP est néanmoins satisfait de l'avancée des travaux, malgré un contentieux sur une zone où la présence d'un lézard des murailles dans le ballast bloquent les travaux : « nous attendons un jugement de la cour administrative d'appel dans quelques semaines qui, je l'espère, permettra au chantier de reprendre ».

Sur ce sujet du CDG Express, Jean-Pierre Farandou estime que « Paris souffre de l'absence de cette ligne. Je suis impatient que ce service soit opérationnel, car cela permettra de soulager une autoroute A1 saturée et ainsi de réduire le trafic automobile. Il faut vraiment mener à bien ce projet, nous en avons tous besoin ».

ADP veut développer l'intermodalité

Outre le CDG Express, s'il voit le jour, plusieurs nouvelles lignes ferroviaires vont converger vers la gare de Charles-de-Gaulle dans les prochaines années : la ligne 17 du Grand Paris Express et la liaison Roissy Picardie, relancée par le Président de la République pour une ouverture prévue entre 2025 et 2027.

« La gare TGV de Charles-de-Gaulle est destinée à accueillir dans les dix ans qui viennent autant de passagers que la gare de Lyon Part Dieu dans un tout petit espace qui n'a pas du tout été conçu pour ça », a expliqué Augustin de Romanet, qui se dit prêt à investir pour développerl'intermodalité, conscient que le confort du passager suppose qu'on s'occupe de lui bien avant son arrivée dans l'avion, notamment pour l'enregistrement des bagages : « dès que le sujet du CDG Express sera derrière nous, nous allons devoir réfléchir à l'enregistrement des bagages à la gare de l'Est, et aussi à la possibilité pour le passager de les enregistrer en arrivant au niveau du Terminal 2E pour toutes les compagnies aériennes. C'est un vrai défi pour nos ingénieurs ».

La desserte de l'aéroport d'Orly n'est pas oubliée non plus.

« Jusqu'à présent, il y avait deux hypothèses. Le premier était la construction d'une gare sous Orly Sud à 30 mètres de profondeur. Mais les difficultés techniques nous ont conduit à choisir la seconde option, celle d'une gare TGV à Pont-de-Rungis, à quelques centaines de mètres au nord de la plateforme d'Orly. Celle-ci doit être reliée à Paris par la future 14. Nous allons travailler à améliorer la correspondance entre cette gare et la ligne 14 du métro pour la rendre la plus souple possible », a expliqué Augustin de Romanet.

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Commentaires 6
à écrit le 06/07/2021 à 16:41
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La liberté d'entreprendre, de voyager, semblent des expressions de plus en plus tabou en France. Perso, je n'aime pas le train. Bousculades, prix déments, sales, etc...et pour mes déplacements je préfère la voiture ou l'avion. Alors m'imposer un mod...

le 06/07/2021 à 18:10
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@ européen. Et la liberté de se vacciner ou pas vous en pensez quoi ?

à écrit le 06/07/2021 à 11:36
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Pourquoi surtout ! Cocasse tandis que la classe idrigeante sabotait le train pour l'avion on ne se posait pas ce genre de question, maintenant que l'avion s'est écrasé il faudrait les reconcilier, que l'avion fasse enfin sans les aides publiques c'es...

le 06/07/2021 à 17:56
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La SNCF n'a pas besoin la classe dirigeante pour saboter la SNCF, elle a la CGT.

à écrit le 06/07/2021 à 10:34
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"avion électrique en 2040" est-il précisé. Mais la nécessité de réduire nos émissions de GES n'est pas à réaliser dans 20 ans mais AUJOURD'HUI !

le 06/07/2021 à 15:05
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La production d'électricité dans le monde avec le charbon, ça génère combien de CO2 ? Beaucoup mais les 2% des avions, ça serait déjà mieux que rien. Supprimons les avions. Et ensuite ? Fermons les stations service début 2023. On prendra le bus, le t...

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