Décarbonation des transports publics : les opérateurs alertent Matignon et le Parlement

EXCLUSIF. Le Groupement des autorités organisatrices de transports (GART), la Plateforme automobile (PFA) et l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) viennent d'écrire à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour l'alerter sur l'objectif européen d'acquisition de 100 % de bus propres à partir de 2030. Il manque, selon ces professionnels des transports urbains, près de 2 milliards d'euros aux collectivités territoriales pour amortir le surcoût de la transition énergétique. Explications.
Du côté des autres pays européens, l'Allemagne a déjà débloqué 1,25 milliard d'euros sur deux ans, de même que l'Espagne octroie une aide de 200.000 euros par bus électrique acheté. (Photo d'illustration)
Du côté des autres pays européens, l'Allemagne a déjà débloqué 1,25 milliard d'euros sur deux ans, de même que l'Espagne octroie une aide de 200.000 euros par bus électrique acheté. (Photo d'illustration) (Crédits : DR)

Les trois fédérations représentatives de la mobilité du quotidien sonnent l'alerte après une décision de la Commission européenne les concernant au premier chef. Le Groupement des autorités organisatrices de transport (GART) qui porte la voix des élus locaux responsables de la compétence transport, l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) qui représente les opérateurs ferroviaires, de transport public urbain et les gestionnaires d'infrastructures ferroviaires (RATP, SNCF...), ainsi que la Plateforme automobile (PFA) qui incarne la filière de l'automobile et des mobilités, viennent d'écrire à la Première ministre à propos du règlement révisant les normes d'émission de CO2 pour les véhicules lourds.

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En 2030, tout bus mis en service dans une ville de l'Union européenne devra être zéro émission. « Les fabricants pourront recourir aux technologies de leur choix pour atteindre cet objectif, par exemple l'électrification, les piles à hydrogène ou l'hydrogène », a précisé la Commission européenne. Les camions, bus urbains et bus longue distance génèrent en effet près de 6% des émissions de gaz à effet de serre de l'UE et près de 25% du transport routier, à rebours de l'objectif de neutralité carbone à horizon 2050.

Risque de retard sur la décarbonation des transports

Les présidents du Groupement des autorités organisatrices de transport, de l'Union des transports publics et ferroviaires et de la Plateforme automobile, Louis Nègre, Marie-Ange Debon et Luc Chatel, ne remettent pas en question cet objectif, mais le jugent difficilement atteignable tant que les moyens économiques et financiers ne seront pas au rendez-vous. A eux trois, ils ont donc pris leur plume, le 9 juin, pour faire part à Elisabeth Borne de leurs « inquiétudes partagées ».

« Le rythme imposé par ce texte expose le transport public urbain à un risque majeur de vulnérabilité économique et soulève de très sérieuses interrogations quant à sa faisabilité, eu égard aux conséquences financières induites pour les autorités organisatrices et leurs réseaux de transport public », ont écrit les trois co-signataires.

Dans ce courrier que La Tribune a pu lire, le GART, l'UTP et la PFA ne contestent pas le « verdissement des transports recherché par la Commission européenne » mais estiment que la date-butoir de 2030 « induirait d'importants retards dans le renouvellement de la flotte avec des conséquences environnementales préjudiciables et un risque pour les usagers des transports publics si cet investissement contraint devait se traduire par une baisse de l'offre de transport ».

Ce nouveau texte vient en outre en contradiction avec la directive européenne dite « Véhicules propres » de 2019 et transposée dans le droit français fin 2021. « Sur cette base, de nombreuses collectivités ont déjà investi massivement dans des technologies à faibles émissions comme le biogaz », ont souligné les trois organisations professionnelles. Dans ces conditions, le nouveau règlement bruxellois risquerait de rendre « caducs » les investissements déjà engagés dans les infrastructures de distribution et « obliger[ait] » les collectivités à réaliser de nouveaux investissements « encore plus importants » pouvant les mettre en difficulté et « retard[ant] de fait la décarbonation des transports ».

Les collectivités réclament 2 milliards d'euros

Le Groupement des autorités organisatrices de transport (GART), l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) ainsi que la Plateforme automobile (PFA) ont en effet sorti leur calculette. Alors que les constructeurs ont la capacité « technologique et industrielle » de répondre au besoin croissant de bus urbains zéro émission, les collectivités territoriales auraient, elles, besoin de 2 milliards d'euros de « soutien nécessaire en investissement » pour atteindre les objectifs de transition énergétique dans les cinq prochaines années.

Selon nos informations, l'UTP pousse déjà des amendements en ce sens auprès des députés et des sénateurs en vue de l'examen à la rentrée de la loi de finances (PLF) au Parlement. Le premier vise à mettre en place un dispositif de soutien pour aider les collectivités à développer des infrastructures et des systèmes de transport public urbain ou périurbain. A savoir, une dotation annuelle de 500 millions d'euros pour développer du métro, du tramway, des bus à haut niveau de service (BHNS) ainsi que la création de voies dédiées et de parking-relais.

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Un surcoût de 300.000 euros par nouveau bus

Le représentant des opérateurs ferroviaires, de transport public urbain et des gestionnaires d'infrastructures ferroviaires défend également la mise en place d'un bonus écologique pour aider les collectivités à acquérir des bus zéro émission, sachant qu'au 1er janvier 2022, seule 4% de la flotte des 16.323 bus roule à l'électrique ou à l'hydrogène.

« Un bus électrique standard coûte en moyenne à l'achat 554.000 euros et un bus hydrogène 698.000 euros alors qu'un bus diesel coûte 273.000 euros et un bus au gaz 290.000 euros. Le surcoût est donc de l'ordre de 300.000 euros par bus [...] Appliqué aux 96% de bus qui ne sont ni électriques ni à l'hydrogène, on obtient 4,7 milliards d'euros à l'achat », justifie l'UTP auprès des députés et des sénateurs.

1.700 bus sont renouvelés chaque année, mais seulement 38% ont été basculés vers l'électrique et l'hydrogène en 2022. Pour 2024, l'organisation se veut optimiste et estime que cette part va monter à 60% et concernera donc 1.080 bus. Autrement dit, si le Parlement suivait cette autre piste, la facture s'élèverait pour l'Etat à 1,08 milliard d'euros supplémentaire rien que pour l'année prochaine.

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Du côté des autres pays européens, l'Allemagne a déjà débloqué 1,25 milliard d'euros sur deux ans, de même que l'Espagne octroie une aide de 200.000 euros par bus électrique acheté.

Exonérer les cotisations jusqu'à 75 % du titre de transport

En parallèle, pour faire revenir les populations dans les transports publics, moins fréquentés depuis la Covid-19 du fait du télétravail, l'Union des transports publics et ferroviaires recommande de pérenniser l'exonération de cotisations et contributions sociales pour la prise en charge par l'employeur des titres d'abonnement des transports publics jusqu'à 75%. Jusqu'à l'été 2022, l'employeur pouvait en effet en bénéficier tant qu'il remboursait 50% des frais d'abonnement de ses salariés. Puis ce plafond a été rehaussé à 75% dans le projet de loi de finances rectificatif.

« Les salariés ont pu voir leur pouvoir d'achat augmenter de 252 euros en Île-de-France et de 226,20 euros pour un abonnement Thionville-Metz [...] Cela permet de revaloriser le pouvoir d'achat des salariés tout en protégeant l'environnement », assure l'organisme, chiffres à l'appui.

L'UTP appelle par ailleurs le gouvernement à concrétiser les engagements de son plan ferroviaire à 100 milliards d'euros dès le budget 2024. Le ministère des Transports a certes annoncé 1,5 milliard d'euros pour régénérer et moderniser le réseau ferroviaire pour viser 4,5 milliards d'ici à la fin du quinquennat, mais l'UTP plaide pour une enveloppe supplémentaire de 300 millions d'euros.

En d'autres termes, il faudrait 250 millions pour la régénération et 50 millions pour la modernisation « afin d'accompagner la rénovation des lignes et la transformation numérique du système ferroviaire ». A ce sujet, le ministre des Transports, Clément Beaune, rencontre actuellement tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat pour co-construire avec eux une loi de programmation pluriannuelle de financement.

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Reste surtout à convaincre le nouveau ministre des Comptes publics Thomas Cazenave qui va passer l'été avec les services de Bercy à rédiger la loi de finances. Avec sa casquette de président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation à l'Assemblée nationale, l'ex-député (LREM) de la 1ère circonscription de Gironde avait déjà pris le temps de les auditionner...

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Commentaires 11
à écrit le 25/07/2023 à 14:19
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Deux milliards pour la France. Que vont donc dépenser l'Afrique, l'Amérique du sud, l'Inde. l'Indonésie...etc? Cela prouve que la décarbonation totale est hors de portée de la plupart des pays, sauf à exiger des populations qu'elles (se) serrent la c...

le 25/07/2023 à 15:44
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Vous voudriez que les pays pauvres commencent la décarbonation ?

le 25/07/2023 à 16:10
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Les pays en développement n'ont aucune intention d'adhérer à ces objectifs, au contraire leurs émissions continueront à augmenter fortement, ce qui réduira à néant les efforts imposés aux pays européens qui ne représenteront au final qu'une part négl...

à écrit le 25/07/2023 à 13:57
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on lance n'importe qu'elle parole en l'air sans reflechir on ne va pas pondre des centaines de bus electrique d'un coup de baguette magique il y a le coup il faudra trouver les moyens financiers et il faudra aussi revoir la production electr...

à écrit le 25/07/2023 à 13:33
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Après le Covid, le Carbone, quel seront les prochains apocalypses ? Sachant que cela signifie "Révélation" ! ;-)

à écrit le 25/07/2023 à 13:04
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Si on doit dépenser 2 milliards d'euros il est bcp plus utile pour la santé et l'environnement de les dépenses pour le développement de l'agriculture biologique que pour réduire de façon dérisoire les emissions de CO2. Il faudrait faire des arbitrage...

à écrit le 25/07/2023 à 12:48
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Quand on a pas d'argent, on ne fait pas ! Faut sortir du logiciel "toujours plus de dépenses, toujours plus de dette".

à écrit le 25/07/2023 à 12:48
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"Il manque près de 2 milliards d'euros pour les collectivités territoriales pour amortir le surcoût de la transition énergétique"? Pas de soucis, si les amérindiens dansaient pour faire tomber la pluie, en France, à l'Élysée, on a des faiseurs de mir...

à écrit le 25/07/2023 à 10:08
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Pendant que le carburant des avions et cargos est toujours détaxé. Que c'est cohérent tout ça !

le 25/07/2023 à 14:26
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Pas tous les avions. Je paie la tipp pour mon biplace, seules les companies de transport sont exemptées

le 25/07/2023 à 16:08
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Encore moins cohérent du coup ! Ils se moquent vraiment du monde ! Ou plutôt de tout ce qui n'a pas un milliard de patrimoine.

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