Le centre de gravité du transport aérien mondial est en train de se déplacer : en commandant près de 1.000 avions fermes lors du salon du Bourget, les compagnies aériennes indiennes sur sont placées au centre de l'échiquier mondial. Si la montée en puissance du pays, désormais le plus peuplé du monde, est visible depuis quelque temps déjà, l'accélération actuelle est impressionnante. Après avoir vu la Chine venir se hisser dans les premiers rangs mondiaux aux côtés des marchés établis européen et américain dans les années 2000, puis le Moyen-Orient décoller dans les années 2010, l'heure de l'Inde semble sur le point d'arriver. Pour autant, le pays est-il prêt à accueillir autant d'avions en si peu de temps ?
Aujourd'hui, environ 700 avions commerciaux sont en service en Inde. Sur une flotte mondiale de 24.000 appareils, c'est encore une goutte d'eau dans l'océan. A titre de comparaison, c'est l'équivalent de la flotte du seul groupe Lufthansa (filiales comprises) ou encore 10 fois moins que le nombre d'appareils en service aux Etats-Unis. Mais ce rapport de force va irrémédiablement changer dans les douze ans à venir. En tenant compte des dernières commandes et de celles déjà enregistrées, environ 1.750 nouveaux appareils doivent entrer en service d'ici 2035.
Près de 1.000 commandes en deux jours
Lors du salon du Bourget, la compagnie low cost Indigo a commandé 500 appareils moyen-courriers de la famille A320 NEO à Airbus, qui seront livrés entre 2030 et 2035. C'est tout simplement le plus gros contrat de l'histoire pour un seul type d'appareil. Et elle pourrait bientôt passer une nouvelle commande, sur le long-courrier cette fois, pour 25 Boeing 787 ou Airbus A350. Mais Indigo ne va pas rester les bras croisés d'ici là, elle doit encore recevoir 477 appareils de commandes précédentes. Indigo va recevoir à elle seule pas moins de 1.000 avions fermes d'ici 2035. C'est faramineux pour une compagnie qui n'avait qu'une centaine d'avions il y a cinq ans.
De son côté, Air India a confirmé ses commandes auprès d'Airbus pour 250 avions fermes auprès d'Airbus et 220 chez Boeing. Ces chiffres donneraient le tournis à n'importe quel opérateur européen. Et d'autres compagnies attendent également des avions tels que Vistara, Go First ou encore Jet Airways. Celle dernière est en train de renaître difficilement après avoir cessé ses opérations en 2019, mais elle possède toujours 135 avions dans le carnet de commandes de Boeing, et la presse indienne fait état d'une commande à venir pour 200 appareils.
Perspectives de croissance
En passant de telles commandes, les compagnies indiennes font forcément un pari sur l'avenir et le développement du transport aérien en Inde. Le nombre de passagers en Inde a certes été multiplié par 10 depuis le début des années 2000, bien aidé par une baisse continue des tarifs des billets, mais il ne dépassait pas les 167 millions de passagers avant la crise selon les chiffres de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Ce qui représente peu sur une population de près d'un milliard et demi d'habitants. Sur la même période, la Chine a elle aussi vu son trafic multiplié par 10, mais elle représentait 660 millions de passagers avant crise.
Passé le choc du Covid, le trafic indien est l'un des plus dynamique aujourd'hui, notamment sur le domestique où il dépasse de 15 points au-dessus de son niveau d'avant crise, avec un taux de remplissage record de plus de 88 % selon l'Association internationale du transport aérien (IATA). Et ce mouvement est amené à s'inscrire dans le long terme. Avant crise, l'IATA tablait sur une croissance moyenne du trafic de plus de 6 % par an jusqu'en 2037 pour atteindre ainsi les 520 millions de passagers. Aujourd'hui, Boeing prévoit une croissance du trafic dans la région de plus de 8 % par an en moyenne jusqu'en 2042, et la livraison de plus de 2.700 avions dans la région, tandis qu'Airbus estime que le marché domestique indien va croître de plus de 7 % par an sur la même période.
Ces prévisions reposent essentiellement sur l'émergence de la classe moyenne indienne. Si elle est encore faible, elle est portée par une croissance annuelle moyenne du PIB estimée à plus de 7 % et doit être multipliée par trois d'ici 2030. La conversion de ces populations vers l'avion n'est pas automatiquement acquise, mais la taille du pays et la lenteur des connexions ferrées jouent pour lui notamment sur le domestique. D'ici quelques années à peine, l'inde est ainsi appelée à devenir le troisième marché mondial derrière la Chine et les Etats-Unis, suivie par l'Indonésie.
Un environnement consolidé
Tout semble donc pousser à un ajout massif de capacité sur le marché indien, particulièrement sur le segment moyen-courrier. Pourtant, malgré des similitudes, le passé a montré que cette croissance indienne n'a pas toujours été linéaire, avec des reculs du trafic en 2008 et 2012 ou encore la faillite de géants comme Kingfisher (2012) ou Jet Airways (2019).
De même, il faut pouvoir avoir les infrastructures pour accueillir autant d'avions en si peu de temps. Sur ce point, le gouvernement indien a engagé une politique de grands travaux à marche forcée depuis une dizaine d'années pour renforcer les capacités aéroportuaires. Le nombre de plateformes a déjà doublé depuis 2014 pour avoisiner les 150, sans compter les projets de rénovation et d'extension. Un nouveau coup de collier est actuellement en cours, avec 11 milliards d'euros investis en 5 ans par les pouvoirs publics, pour atteindre entre 200 et 220 aéroports et aérodromes opérationnels en 2025. Cet effort de construction s'accompagne d'un mouvement de privatisation, dont a notamment profité le groupe ADP.
En parallèle, le gouvernement a aussi lancé une large rénovation de son système de contrôle aérien avec le programme Future India Air Navigation (FIAN), avec entre autres l'introduction de moyens de contrôle satellitaires. L'an dernier, l'Autorité des aéroports de l'Inde (AAI) a signé un accord d'assistance de 10 ans avec Boeing pour arriver à mettre en place des systèmes de contrôle et de gestion du trafic, ainsi que de communication aux meilleurs standards.
Ce soutien politique fort est sans doute l'une des différences majeures avec ce qui pouvait se passer auparavant. Le gouvernement indien n'a pas toujours été aussi enclin à mettre un cadre favorable au développement de l'aviation. Ainsi jusqu'en 2009, il interdisait aux compagnies de pratiquer des couvertures carburant pourtant très utiles pour se protéger des envolées des cours du pétrole.
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