Le long de la vallée de la Seine, les logisticiens n'ont plus la cote et cherchent désespérément des hectares pour se développer

La chasse à l’hectare est ouverte le long de la Seine où la pression foncière s’accentue. Industriels, constructeurs de logements, logisticiens et défenseurs de la biodiversité se disputent l’espace en Normandie et dans l’Ouest francilien. A ce jeu de gagne terrain, l’entrepôt qui jouit d’une mauvaise image de marque sort rarement gagnant. Une situation préoccupante pour les acteurs de la logistique, en plein boom du commerce en ligne. Explications.
Entre 2015 et 2020, les surfaces disponibles « à court terme » pour des activités logistiques ont diminué de près de la moitié en Normandie et dans les départements de l'Ouest francilien
Entre 2015 et 2020, les surfaces disponibles « à court terme » pour des activités logistiques ont diminué de près de la moitié en Normandie et dans les départements de l'Ouest francilien (Crédits : Haropa)

Une usine ou un parc logistique ? Le long de la vallée de Seine, où la pression foncière s'accentue, les entrepôts peinent de plus en plus à se ménager une place. Plusieurs projets d'installation ont vu la porte se fermer récemment.

Près du Havre, l'agglomération Caux Seine a tranché début avril en faveur de l'implantation d'une usine au détriment d'un entrepôt. La promesse de vente d'un terrain de 40 hectares, conclue quelques années auparavant avec le promoteur Panhard qui projetait d'y construire 160.000 m2 d'entrepôts, a été déclarée caduque au profit de l'usine de recyclage de plastique de l'américain Eastman. « Panhard n'est pas très content mais j'assume ce choix qui sera plus créateur de richesses pour le tissu de PME du territoire », a argumenté la présidente de l'agglo, Virginie Carolo.

Lire aussi 8 mnÀ Rennes, l'explosion du e-commerce sature le marché immobilier des entrepôts

Entrepôts, ma non troppo

A Rouen, les autorités portuaires, elles aussi, ont arbitré au profit de l'industrie lorsqu'il s'est agi d'attribuer une vaste friche en bord de Seine laissée libre par Renault. Au terme d'un appel à manifestation d'intérêt, le projet d'usine du sucrier émirati AKS a ainsi été préféré à cinq propositions logistiques concurrentes. « Il conforte la dynamique de réindustrialisation du territoire soutenue par l'Etat, la Métropole Rouen Normandie et la Région Normandie », ont justifié les autorités portuaires auprès des recalés.

Autre cas de figure à quelques dizaines de kilomètres de là, dans l'Eure. Cette fois, ce sont des considérations environnementales qui ont obligé le chocolatier Ferrero à faire marche arrière. Le groupe a renoncé à implanter une plateforme de distribution de 37.000 m2 en bordure de l'autoroute A13 à Criquebeuf-sur-Seine après une décision défavorable du tribunal administratif. En cause, la présence sur les lieux de plusieurs espèces d'oiseaux protégés.

Espaces en voie d'extinction

Entre 2015 et 2020, les surfaces disponibles « à court terme » pour des activités logistiques ont diminué de près de la moitié en Normandie et dans les départements de l'Ouest francilien. En cause, l'inadaptation de certaines parcelles, l'hostilité des riverains mais surtout la concurrence croissante entre industriels et promoteurs immobiliers, y compris désormais les développeurs d'énergies renouvelables. Il faut ajouter à cela un début de saturation du foncier sur des secteurs très recherchés, situés en connexion directe avec le ventre de Paris, comme la zone industrialo-portuaire du Havre ou encore la zone portuaire de Gennevilliers.

« Ce phénomène de pénurie, couplé à des difficultés d'acceptation et à la prise en compte du Zéro Artificialisation Nette, constitue une grosse préoccupation », reconnaît Sonia Dubes, présidente du cluster Logistique Seine Normandie (LSN) à l'origine de la création d'un observatoire du foncier.

De son côté, Pascal Sanjuan, délégué interministériel à la vallée de Seine, reconnaît une certaine tension mais joue la tempérance. « Ne jouons pas à nous faire peur, recommande t-il. Des possibilités existent pour la logistique notamment sur des sites industriels qui ont vocation à muter comme la centrale EDF de Porcheville (Yvelines ndlr) ». L'intéressé n'en plaide pas moins « pour l'élaboration d'une stratégie foncière concertée avec les collectivités » qui permettrait tout à la fois de préserver les espaces naturels et l'activité économique.

Logistique d'hier et de demain

En attendant, il invite les professionnels à mieux prendre en compte cette nouvelle donne. En clair, à délaisser le modèle des hangars XXL voraces en énergie né aux plus belles heures de la mondialisation. « Il est certain que la logistique doit devenir plus moderne dans sa conception », insiste t-il. Le message passe déjà auprès de quelques promoteurs. Par exemple, sur le territoire du Grand Paris Sud, Prologis aménage pour Monoprix une installation présentée comme « le premier bâtiment logistique carbone neutre au monde ».

Chez Logistique Seine Normandie, on aime aussi à citer en modèle la messagerie écoresponsable construite pour Mondial Relay par le groupe Barjane sur le parc A5-Sénart. « Un entrepôt peut tout à fait être le support de démarches vertueuses autour de la gestion de l'eau ou de l'installation de panneaux solaires en toiture. Il peut être construit en hauteur pour consommer moins d'espace », suggère Lucile Audièvre, cheffe de projet. « Ce sont des projets comme ceux-là qui aideront à changer le regard sur la logistique », complète en écho Sonia Dubès, présidente de LSN.

La législation apporte son tribut à cette transformation du modèle. Promulguée en août 2021, la loi « Climat et résilience » grave dans le marbre l'obligation de mettre en place des systèmes de production d'énergies renouvelables (panneaux photovoltaïques, ou  toitures végétalisées), lors de la construction, de l'extension ou de la rénovation lourde de bâtiments à usage commercial, industriel ou artisanal de plus de 500 m². Autrement dit, tout nouvel entrepôt logistique est directement concerné.

Trente sites à prendre

Unies au sein d'une entente, les grandes collectivités de la vallée de Seine tentent elles aussi d'apporter une réponse à la pénurie de terrains qui handicape le développement du secteur, en particulier celui de la logistique fluviale, érigé par le gouvernement comme une priorité. En association avec l'établissement des ports de la Seine Haropa et VNF (Voies Navigables de France), les Métropoles de Rouen, du Havre et de Paris ont lancé, début avril, un appel à manifestation d'intérêt qui porte sur l'aménagement d'une petite trentaine de sites répartis le long du fleuve.

Leur objectif est de « faire émerger des projets logistiques innovants permettant de mieux desservir la zone urbaine dense par la voie d'eau » et de « favoriser la décarbonation des transports des marchandises sur le dernier kilomètre ». Les professionnels ont jusqu'à juin pour candidater. L'enjeu n'est pas neutre à la veille du déploiement des Zones à faible émission qui vont interdire de séjour les camionnettes et poids-lourds les plus polluants dans les grands centres urbains, redonnant au passage du crédit à l'acheminement des marchandises par la voie d'eau.

Lire aussi 5 mnLe fluvial débloque 3 milliards d'euros pour concurrencer la route et le rail

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 18/05/2022 à 21:09
Signaler
Usine de recyclage américaine au Havre ? Le plastique est très polluant ! la production et l'incinération de plastique a généré 850 millions de tonnes de gaz à effet de serre, l'équivalent de 189 centrales au charbon. Les Etats-Unis ne recyclent q...

à écrit le 18/05/2022 à 14:22
Signaler
La rareté et l'intelligence sont les moteur du progrés et de l'innovation. Il faut encore plus de rareté de terrains: il faudrait imposer le zero artificialisation de façon contraignante sans attendre et récuperer plus de friches industrielles. Le m...

à écrit le 18/05/2022 à 8:57
Signaler
est donc à dire que les logisticiens, plutot que de consommer des hectares ed manières déraisonnables , vont donc découvrir le pouvoir des ascenseurs ? construire en hauteur avec des étages ? ou même , Ô folie, penser des immeubles concertés ou le...

le 18/05/2022 à 18:00
Signaler
Les bangladais ont déjà essayé, quelques immeubles sont tombés...

à écrit le 18/05/2022 à 8:43
Signaler
Faut être cohérent : on ne peut pas se plaindre du recul des surfaces agricoles en France obérant l indépendance agro-alimentaire du pays et faciliter ou promouvoir l artificialisation des sols pour des entrepôts immondes , aux allers retours de cami...

à écrit le 18/05/2022 à 8:40
Signaler
Ben oui du fait de la mortifère spéculation immobilière mais depuis que j'ai appris que nos riches français le devaient essentiellement à l'immobilier j'ai bien peur que ce dysfonctionnement majeur de l'économie ne puisse être réparé.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.