LGV britannique : malgré les déboires du projet HS2, Bouygues est prêt à en faire plus

Malgré une dérive budgétaire non négligeable, le tronçon de 22 km construit par Bouygues TP et ses partenaires fait figure de réussite technique dans le marasme du programme de LGV britannique HS2. Il va ainsi récupérer une portion de chantier attribuer à l'un de ses concurrents, qui sont actuellement à la peine.
Léo Barnier
Face à l'explosion des coûts, le projet HS2 se réduit comme peau de chagrin.
Face à l'explosion des coûts, le projet HS2 se réduit comme peau de chagrin. (Crédits : DR)

[Article publié le 29 novembre à 15h49, mis à jour à 19h51 avec des précisions de Bouygues sur le chantier supplémentaire, suite à un transfert à la demande de HS2]

Une conduite chaotique, des ambitions revues sans cesse à la baisse, un budget à la dérive qui ferait passer l'EPR de Flamanville pour un modèle de gestion... le projet de seconde ligne à haute vitesse au Royaume-Uni, baptisé HS2 (High Speed 2), a tous les aspects d'un sac de nœuds. Il semble pourtant en falloir plus pour rebuter Bouygues Travaux Publics.

La ligne qui doit relier Londres à Birmingham est découpée en sept tronçons, attribué à quatre consortiums. Déjà impliquée dans le projet pour la construction de l'un de ces sept tronçons -- le tronçon Central 1 (C1) -- avec la coentreprise Align ( Bouygues TP, 60 % ; Sir Robert McAlpine, 20 % et VolkerFitzpatrick, 20 %), la filiale du groupe français Bouygues Construction va en faire davantage.

A la demande de l'organisme public HS2, chargé de mener le projet, il va ainsi récupérer une part additionnelle de 5 kilomètres sur un chantier adjacent situé au Nord, faisant partie des lots Central 2 et 3 (C2 et C3), soit 80 kilomètres confiés au consortium EKFB JV. Celui-ci est composé du groupe français Eiffage, avec les britanniques Kier et BAM Nuttall, ainsi que l'espagnol Ferrovial.

« Il y a des négociations en cours », admet sans détour Daniel Altier, directeur du projet HS2 pour Bouygues Travaux Publics. « Il y a des négociations pour faire face à la surchauffe de certains de nos concurrents, car ils ont des lots très importants », ajoute-t-il. Il explique ainsi que HS2 possède la possibilité de réattribuer une partie du travail à un des autres consortiums pour équilibrer la charge de travail, et précise que « cela fait partie des accords dans nos contrats ». Il s'agirait alors d'un véritable transfert de chantier et non d'une mise en sous-traitance d'un consortium pour aider le primo-contractant.

Bouygues Construction précise pour sa part que ce processus de réattribution ne concerne que le tronçon de 5 kilomètres au Nord, et que cela se fait uniquement à la demande de HS2, sans sollicitation de leur part ou de celle d'Align.

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Prolonger la présence de Bouygues sur place

« Cela ne va pas doubler notre présence sur le programme HS2, mais cela peut la prolonger. Nous parlons de 2027, alors qu'ici (sur le tronçon C1) nous finissons en 2025 », indique encore Daniel Altier.

La réponse de HS2 pourrait désormais arriver très prochainement, le directeur du projet HS2 pour Bouygues Travaux Publics lançant avec un sourire : « C'est très long mais on y arrive. »

Cela pourrait apparaître comme une revanche pour la coentreprise Align qui n'a obtenu qu'un seul lot jusqu'ici, le tronçon C1 en l'occurrence. Elle avait également posé sa candidature pour les lots South 1 et 2 (S1 et S2) proches de Londres, mais ceux-ci ont été attribués au consortium suédo-britannico-autrichien formé par Skanska, Costain et Strabag (SCS JV). Les derniers lots sont les North 1 et 2 (N1 et N2), qui sont revenus au duo composé de l'entreprise britannique Balfour Beatty et du groupe français Vinci (BBV JV).

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Des jalons tenus jusqu'à présent

Si Daniel Altier et le consortium Align se montrent ambitieux, c'est que - contrairement à une bonne partie du programme HS2 - ils avancent bien. Soumis à des temps de passage avec quatre « dates clefs » par an plus huit en fin de projet, ils ont pour l'instant été dans les délais à chaque fois, soit 16 fois en quatre ans, évitant ainsi l'accumulation de problèmes inhérents à toute prise de retard sur un chantier. Interrogé sur les raisons de sa sélection pour le lot C1 et sur l'importance du critère budgétaire dans le processus, le directeur de projet répond : « Sur ce lot, c'est essentiellement la technique qui a joué. Nous avons été une des rares coentreprises à proposer des solutions techniques. Le tronçon C1 est peut-être le plus petit, mais c'est le plus difficile ».

Long d'à peine 22 kilomètres, il a la particularité d'être composé d'un viaduc de 3,4 kilomètres (Colne Valley viaduct) - rendu relativement compliqué par des contraintes architecturales spécifiques - et d'un tunnel bitube de 16 kilomètres (Chiltern tunnels). Cela ne comprend pas les éléments ferroviaires (rails, signalisation...), qui seront installés par un tiers à partir de mi-2024.

Cette spécificité peut expliquer selon lui cette bonne tenue apparente par rapport au reste du chantier : « Nous n'avons que quelques gros sujets - les terrassements, les tunnels, le viaduc et les puits - très définis, quand les autres ont 100 kilomètres constitués de petits ouvrages, beaucoup moins techniques, mais en quantité bien plus importante. »

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La bataille de la main-d'œuvre

Daniel Altier avance d'autres arguments, notamment sur la disponibilité limitée de la main-d'œuvre locale qualifiée : « Nous avons démarré plus tôt par rapport aux autres consortiums. Nous avons pu nous servir tout de suite dans le vivier britannique, et nous n'avons pas été trop affectés. Par contre, quand eux ont démarré, il y a eu de la surenchère et du siphonnage. Mais je m'attendais à pire. » Il estime avoir réussi à fidéliser les travailleurs notamment grâce à la formation, « le nerf de la guerre », et en créant « un bon environnement de travail », après une importante rotation dans les effectifs en début de chantier (de l'ordre de 20 %). Des hausses de salaires conséquentes ont tout de même dû être accordées pour faire face à l'inflation.

Align a tout de même fait largement appel à de la main-d'œuvre hors du Royaume-Uni, à hauteur de 30 % des 2.500 personnes présentes sur le chantier (en pic d'activité), notamment sur certaines compétences particulières. Le recrutement a été largement complexifié par le Brexit et les problèmes de visa, avec des temps d'attente pouvant aller jusqu'à six mois, avant de redescendre à trois mois. 27 nationalités sont ainsi présentes sur le chantier.

En ce qui concerne les matières premières, Daniel Altier estime que l'impact a été avant tout financier, sans véritable pénurie. Align a tout de même dû diversifier ses sources d'approvisionnement pour éviter les perturbations, d'où des coûts supplémentaires venus s'ajouter à l'inflation généralisée sur les matériaux.

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80 % de progression

Dans les faits, 14 km d'excavation ont été réalisés sur les deux tunnels parallèles depuis leur lancement, respectivement en mai et juillet 2021. Les deux tunneliers mis en œuvre, Florence et Cecilia, avancent ainsi à une allure moyenne de 10 mètres par jour (avec une pointe de 842 mètres en un mois cet automne). « Nous avons bon espoir de terminer dans le courant du 1er trimestre 2024. Nous sommes donc à 80 % de progression », se félicite Adrien Baudard, adjoint au directeur chez Bouygues Travaux Publics, qui estime que « la prouesse se situe vraiment dans la longueur de l'ouvrage ». Un challenge relevé avec un certain nombre d'innovations techniques dans les modes de construction et la mise en œuvre des tunneliers à en croire les équipes d'Align.

Au-delà de la construction, celles-ci soulignent le défi logistique pour acheminer le matériel, mais aussi évacuer pas moins de 3 millions de mètres cubes de déblais. Ces derniers sont d'ailleurs entassés directement sur le site afin de constituer une colline artificielle qui sera végétalisée, afin de minimiser l'empreinte environnementale. « Nous avons développé cela avec une université britannique et cette innovation a été reconnue par HS2, qui est très demandeur en la matière », indique encore Adrien Baudard.

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Dérapages budgétaires

Ces réalisations dans les temps n'empêchent pas les dérives budgétaires, en partie sous les effets cumulés du Brexit, du Covid, de l'inflation et de la bataille pour attirer la main d'œuvre ne sont pas à négliger. Daniel Altier décrit pourtant comme vertueux l'architecture contractuelle en deux phases choisie par HS2. Après un appel d'offres pour sélectionner le gagnant de chaque lot, une première phase de concertation s'est enclenchée pour concevoir le design de principe et établir le budget (2017-2020), suivi de la phase de construction (avril 2020-novembre 2025).

« Cela permet à l'entreprise d'apporter son expérience, ses idées, ces innovations et de et d'aider le client à optimiser son projet comparé à un appel d'offre classique », estime-t-il.

Lors du lancement de la conception de l'appel d'offres en 2015, les premières évaluations de HS2 faisaient état d'un budget de 1,2 milliard de livres. Cette cible a été remontée à 1,5 milliard de livres après l'attribution à Align en 2017, puis à 1,7 milliard de livres à l'issue de la phase 1 en 2020. Et désormais le budget atteint les 2 milliards de livres (2,3 milliards d'euros).

Daniel Altier reconnaît que les Britanniques ont sans doute sous-estimé à l'origine le montant d'un programme d'envergure comme HS2 : « Ils avaient abandonné les grands projets de ligne à grande vitesse depuis pas mal d'années (la seule LGV du pays, HS1, a été achevée en 2007 dans le prolongement du Tunnel sous la Manche). Lancer un tel projet va forcément être plus cher par rapport à ce qui se fait en France où nous avons fait plein de LGV. »

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Ambitions en berne face à l'explosion des coûts

Si le prix tronçon C1 a augmenté de deux tiers depuis les premiers pas du projet, le budget de l'ensemble du programme HS2 a lui presque triplé. Il devait coûter 37,5 milliards de livres en 2013 (43 milliards d'euros), mais une évaluation de 2020 a chiffré le projet à 109 milliards de livres.

Pour limiter cette envolée des coûts, toute la deuxième phase du projet a été abandonnée. En 2021, le Premier ministre de l'époque Boris Johnson a annulé la liaison vers Leeds, avant que son successeur Rishi Sunak ne fasse de même il y a quelques semaines en supprimant la prolongation de la ligne prévue entre Birmingham et Manchester. Le budget serait ainsi redescendu entre 35 et 45 milliards de livres selon le gouvernement, mais celui-ci se base sur les prix de 2019 hors inflation. Le conseil d'administration de HS2 a récemment évalué pour sa part un budget compris entre 49 et 57 milliards de livres (57 à 66 milliards d'euros).

Surtout, ce projet qui devait mettre Londres à 1h11 de Manchester et à 1h21 de Leeds, contre plus de deux heures aujourd'hui, sera donc limité à seulement 215 kilomètres de LGV qui auront pour principal effet de faire gagner une demi-heure entre la capitale britannique et Birmingham. La mise en service sera progressive entre 2029 et 2023, alors que HS2 tablait initialement sur 2026.

Autre exemple de la gabegie du projet, Align a dimensionné ses ouvrages d'art en fonction de l'objectif de neuf trains par heure en heure de pointe (dans chaque sens), décrété à l'origine par HS2 pour accélérer le développement économique des villes du Nord de l'Angleterre grâce une fréquence digne d'un service métropolitain. Cela a joué sur le nombre de puits de ventilation ou encore les circuits d'évacuation. Mais depuis, le gestionnaire public a revu son ambition à la baisse avec vraisemblablement trois trains par heure, et probablement à une vitesse moindre que les 340 km/h prévus, d'où un surdimensionnement de l'infrastructure.

Léo Barnier

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Commentaire 1
à écrit le 30/11/2023 à 14:25
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Alstom est en chute libre c'est sur le grand question est qu'est-ce qu'il se passera avec Bombardier transportation.

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