
C'est une affaire de quelques jours. Selon des sources concordantes, EDF s'apprête à dévoiler le nom du vainqueur du premier appel d'offres de génie civil des nouveaux réacteurs nucléaires. Et plus précisément de la première paire de réacteurs EPR2 à Penly (Seine-Maritime), dont les premiers travaux sont prévus mi-2024 pour une mise en service au plus tôt en 2035. Un marché qui suscite les convoitises. Et pour cause : selon des sources concordantes, il représenterait à lui seul 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Et trois fois plus sachant qu'EDF va construire d'ici à 2050, deux paires supplémentaires, l'une à Gravelines dans les Hauts-de-France, l'autre à Bugey, dans l'Ain.
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Parmi les différents candidats, les trois champions tricolores, Bouygues, Vinci et Eiffage, sont sur les rangs. Certains se sont d'ailleurs alliés. C'est le cas selon nos informations de Bouygues et Vinci, tandis qu'Eiffage a, par la voix de son PDG Benoît de Ruffray, confirmé avoir « postulé comme beaucoup d'acteurs » et y aller « seul ».
Interrogés, ni EDF ni les majors concernées ne veulent s'exprimer sur ce sujet brûlant.
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Bouygues part avec une longueur d'avance
Bouygues semble néanmoins partir avec une longueur d'avance. Dès les années 1970-1985, le groupe dirigé par Olivier Roussat a réalisé pour l'énergéticien français tous les ouvrages d'Europe, que ce soit à Bugey - déjà -, à Saint-Alban (AuRA) ou à Chooz, à la frontière franco-belge. Aujourd'hui, il travaille sur le chantier de Flamanville - avec les aléas qui sont connus - et a participé à la construction du réacteur EPR d'Olkiluoto en Finlande, mis en service mi-avril, après plus de 13 ans de retard.
Un savoir-faire que la filiale Bouygues Construction exporte jusqu'en Chine. La major française est présente à Daya Bay, dans le sud-est du pays, près d'Hongkong, où elle a érigé le troisième réacteur en service depuis deux ans. Plus tôt, en janvier 2017, elle avait décroché auprès de la filiale britannique d'EDF un contrat de plus de 1,7 milliard d'euros pour construire deux réacteurs EPR à la centrale d'Hinkley Point (Angleterre). Sur ce chantier, elle utilise la plus grande grue au monde - 250 mètres de haut, 96 roues sur rail - qui peut soulever, en une fois, jusqu'à 5.000 tonnes de charges utiles dans un rayon de 40 mètres.
Un partenariat stratégique avec EDF et Vinci
A cela s'ajoute un partenariat stratégique avec l'énergéticien depuis le 1er décembre 2021. Lors du World Nuclear Exhibition (WNE) à Paris, le PDG d'alors d'EDF, Jean-Bernard Lévy, et le directeur général de Bouygues, Olivier Roussat, ont signé un accord-cadre de coopération mondiale portant sur la technologie EPR et les futurs projets en République tchèque, en Pologne et en Arabie Saoudite.
« Cette signature s'est soldée par la conclusion d'un protocole d'accord entre Bouygues Travaux Publics et l'entreprise de construction saoudienne NESMA & Partners Contracting Co. Ltd portant sur leur participation conjointe à l'exécution des travaux de génie civil d'un projet d'EPR potentiel en Arabie saoudite. Ces accords prouvent la volonté commune des deux groupes de renforcer leur coopération de longue date sur le marché de l'exportation, Bouygues Travaux Publics confirmant ainsi son engagement de partenaire historique des projets d'EPR », écrit EDF dans une déclaration transmise à la presse.
Pour répondre à l'appel d'offres de Penly, Bouygues est également allié avec Vinci et Fayat. Avec le premier, Bouygues a réalisé le sarcophage de Tchernobyl, tandis que la seconde lui apporte son expertise en construction métallique. Selon nos informations, en cas de victoire, Bouygues empocherait 42%, Vinci 42% et Fayat 16% des 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires prévus pour chaque paire d'EPR 2.
Eiffage n'a pas dit son dernier mot
Chez Eiffage, le PDG Benoît de Ruffray fait savoir à La Tribune que ses équipes Génie Civil et Energies Systèmes ont répondu au premier appel d'offres pour Penly. « Nous avons toujours été actifs sur le parc nucléaire et travaillons déjà pour le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), que ce soit à Cadarache - projet ITER - et à Valduc. Avec cette décision affirmée au plus haut niveau de l'Etat de construire 6 EPR, le cap est clair et la décision d'investir est forte », poursuit le patron de la major cotée au SBF 120.
Reste toutefois à résoudre une équation financière et non des moindres : le financement desdites centrales...
Mode d'emploi pour construire une centrale nucléaire Pour construire une centrale nucléaire, même en 2023, rien n'est moins simple. Il s'agit d'abord de préparer le sol, c'est-à-dire de le terrasser à coup de brise-roche ou d'explosif, avant d'y faire couler une dalle en béton de 4 à 5 mètres d'épaisseur qui supportera l'ensemble des bâtiments. Sans surprise, la zone la plus sensible est le bâtiment du réacteur, composé aussi de barres de contrôle, d'un pressuriseur - le « P » d'EPR - et d'un générateur de vapeurs. Rien que pour ce bâtiment, il faut 250 à 300 kg d'acier par mètre cube de béton, contre 50 à 100 kg pour un bâtiment traditionnel. Ce bâtiment principal doit ensuite être accolé à un îlot conventionnel, c'est-à-dire à une salle des machines où tournent une turbine et un alternateur. Eux-mêmes sont couplés à un transformateur connecté à des lignes à très haute tension qui transporteront l'électricité ainsi produite, ainsi qu'à un condenseur relié à un circuit de refroidissement alimenté en eau. De l'eau que des tunnels vont chercher à 500-600 mètres dans un fleuve voire à 2 ou 3 kilomètres dans la mer selon la hauteur des marées... Le bâtiment du réacteur et l'îlot conventionnel doivent en outre laisser passer tout un tas de tuyaux et d'équipements pour que tout fonctionne bien. Pour autant, ce n'est pas fini : à ces deux bâtis essentiels, il faut en rajouter au moins une dizaine d'autres baptisés « le reste de l'usine ». Cela peut être des bureaux, des réservoirs, des stations de pompage... ou des usines de pré-assemblage. Pour gagner du temps, il ne suffit pas en effet de modéliser le chantier sur une maquette numérique, il faut aussi préfabriquer certains éléments pour gagner du temps sur site. Une fois ces bâtiments debout, EDF et ses partenaires peuvent insérer les derniers lots en aval : l'électricité, la ventilation, le condenseur, la turbine et bien sûr le réacteur.
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