Limiter le trafic aérien : la préconisation de l'Ademe pour atteindre la neutralité carbone

Les objectifs de décarbonation du transport aérien sont désormais clairement établis, reste désormais à trouver le moyen de les atteindre. Côté français, l'Ademe s'est lancée dans le jeu de la prospective et a tiré trois scénarios principaux : si l'un se base sur l'innovation technologique, les deux autres avancent l'hypothèse d'une modération du trafic pour atteindre le zéro émission nette pour le transport aérien.
Léo Barnier
L'Ademe place la limitation du trafic comme une des principales options pour la décarbonation du transport aérien.
L'Ademe place la limitation du trafic comme une des principales options pour la décarbonation du transport aérien. (Crédits : Michaela Rehle)

Le rôle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) n'est pas de décider des politiques publiques, mais d'identifier les différents leviers d'actions possibles. Pourtant, le rapport « Elaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien », qu'elle a présenté le 27 septembre, fait la part belle à une ritournelle qui prend de l'ampleur : la neutralité carbone du transport aérien ne pourra pas se faire sans modération du trafic.

Cette « belle étude », telle que la présente Baptiste Perrissin Fabert, directeur exécutif de l'expertise et des programmes ainsi que directeur général délégué par intérim de l'Ademe, avait pour objectif d'identifier les options possibles pour réduire fortement l'empreinte carbone du transport aérien commercial en France (vols domestiques et vols internationaux au départ et à l'arrivée sur le territoire national), passagers et fret. Un périmètre qui représente 5,3 % des émissions de CO2 en France aujourd'hui.

Les objectifs sont fixés, reste à déterminer les moyens

Après 21 mois de recherche et d'échanges parfois « un peu vifs mais constructifs » avec les différentes parties prenantes (acteurs de l'aérien, industriels, organisations environnementales), l'Agence a établi trois scénarios. Le premier se base uniquement sur l'amélioration de l'efficacité énergétique grâce aux apports technologiques, le deuxième se concentre avant tout sur la limitation du trafic et le dernier combine logiquement les deux axes précédents.

Baptiste Perrissin Fabert reconnaît que des engagements forts ont été pris par les acteurs du transport aérien pour tendre vers le zéro émission nette en 2050 et estime qu'il n'est plus désormais question d'objectifs mais de trouver des solutions. Et dans ces solutions, la modération voire la réduction du trafic apparaît comme un impondérable pour l'Ademe. « C'est possible de réduire de 75 % les émissions de CO2 du transport aérien d'ici à 2050 si nous activons tous les leviers de décarbonation », déclare-t-il ainsi. La partie résiduelle d'émissions devra en revanche faire l'objet de compensations.

Innovation ou restriction

Après avoir pris comme référence un « scénario 0 », où rien ne change par rapport à aujourd'hui, le « scénario A » met en œuvre au maximum le renouvellement des flottes, l'utilisation des carburants aériens durables (SAF), l'apport de l'hydrogène... Ce qui doit permettre de diviser par trois les émissions de CO2 entre 2019 (28 millions de tonnes) et 2050 (9 millions de tonnes). Mais Baptiste Perrissin Fabert établit des limites. Il insiste tout d'abord sur le problème de disponibilité des SAF, qu'il s'agisse de biocarburants issus de la biomasse, ou de carburants synthétiques obtenus à partir de captation de carbone et d'électricité décarbonée. L'aérien pourrait ainsi ne pas pouvoir en tirer pleinement avantage avec des arbitrages à faire pour la répartition des ressources - principalement de l'électricité décarbonée - entre les différents secteurs économiques.

Le directeur exécutif de l'expertise et des programmes estime également que ces technologies ne sont pas encore matures et n'apporteront un impact significatif qu'à partir de 2035-2040, donc à moyen, voire long terme. C'est notamment le cas pour l'hydrogène, limité aux avions court et moyen-courriers, qui ne concernerait que 7 % des vols en 2050. Pendant ce temps, le trafic (calculé en passager au kilomètre transporté équivalent, afin de tenir compte du fret) continuerait de croître de façon dynamique par rapport à 2019, passant par une hausse de 16 % en 2030 jusqu'à quasiment doubler en 2050 (+95 %). De fait, Marc Cottignies, expert transports de l'Ademe, estime que les émissions cumulées entre 2019 et 2050 seront de 597 millions de tonnes.

A l'inverse, le « scénario B » est vanté pour son effet à court terme. Il se base sur la mise en place de mesures de restriction de trafic (limitation des mouvements sur les aéroports, encadrement de la publicité, sensibilisation des voyageurs, bonus incitatif pour prendre le train...) avant que les solutions technologiques prennent le relai. Ce scénario se base ainsi sur une réduction de trafic pouvant atteindre jusqu'à 16 % en 2030 par rapport à 2019, avant de remonter en pente douce jusqu'en 2050 (+4 % comparé à 2019). Et l'Ademe établit qu'il est le plus prometteur en termes de réduction des émissions à terme (5 millions de tonnes en 2050) et en émissions cumulées (451 millions de tonnes entre 2019 et 2050).

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Une approche plus mesurée

Baptiste Perrissin Fabert tempère tout de même la pertinence d'un tel scénario, dont les impacts socio-économiques restent à étudier en profondeur. Il estime qu'il faut prendre en compte l'acceptabilité sociale de la limitation du trafic et voir quelles sont les politiques publiques à mettre en place en parallèle. De son côté, Marc Cottignies rappelle la corrélation directe entre la croissance du trafic et celle de l'emploi, tout en évitant de mentionner la possibilité d'une baisse du nombre de salariés autour de 2030 (point bas du trafic dans ce scénario B).

Interrogés par La Tribune, les deux hommes estiment en revanche que la réduction du trafic ne nuira pas à l'émergence de nouvelles technologies moins carbonées. Faisant fi des capacités économiques des compagnies aériennes à supporter le coût de la transition, ils jugent que le soutien et les niveaux d'investissements publics seront suffisamment forts pour assurer la pérennité de ces développements. De même, Marc Cottignies juge que cela peut stimuler d'autant plus les acteurs à investir afin de desserrer le levier de la modération du trafic.

Tout compte fait, la préférence de l'Ademe semble aller naturellement au « scénario C » qui mise sur les deux leviers. Celui-ci fait davantage état d'une modération de la croissance du transport aérien par rapport à 2019 plutôt qu'une réduction de celle-ci : elle serait de 7 % en 2030, et de 48 % en 2050. De fait, la réduction des émissions est moindre que dans le scénario B, à court comme à long terme. Mais il est plus étonnant de constater qu'il est aussi moins efficace que le scénario A à long terme. En dépit des différents leviers utilisés, le scénario amènerait à un niveau d'émissions de 10 millions de tonnes de CO2 en 2050, soit un million de tonnes de plus que l'option uniquement technologique. En revanche, sa mise en œuvre plus rapide lui permet d'avoir un niveau d'émissions cumulées légèrement moindre, avec 582 millions de tonnes entre 2019 et 2050.

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Vers un transport des encore plus riches

Une variable pourrait néanmoins bouleverser la donne : l'effet prix. Quelles que soient les options choisies, les tarifs du transport aérien sont susceptibles d'augmenter de façon significative. Les nouveaux carburants coûtent ainsi plus chers que le kérosène (entre trois et huit fois le prix selon le type de carburant), tandis que les investissements pour renouveler les flottes et introduire des ruptures technologiques sont très lourds. Il faut donc pouvoir les financer, et donc faire passer une partie du surcoût sur le prix des billets. La modération du trafic ne serait pas non plus sans conséquences : la limitation de l'offre entraînerait subséquemment une hausse des tarifs. L'an dernier, l'Association internationale du transport aérien (IATA) avait ainsi évalué à près de 2.000 milliards de dollars le coût brut pour atteindre le zéro émission nette d'ici 2050 au niveau mondial. De quoi sérieusement enrayer la démocratisation du transport aérien, pourtant loin d'être achevée.

Selon les estimations de l'Ademe, cet effet prix devrait se faire sentir dans les trois scénarios avec un impact négatif sur la demande. Dans le cas de l'option technologique (scénario A), l'écart entre la croissance du trafic sans effet prix et avec effet prix atteint pas moins de 34 points en 2050. Au lieu d'une hausse de 95 % par rapport à 2019, elle serait limitée à 61 %. Dans le scénario C, l'écart serait de 22 points avec une croissance limitée à 26 % entre 2019 et 2050. Et enfin, le scénario B aboutirait à un net recul du transport aérien : le trafic plongerait jusqu'à -23 % en 2040 et, en 2050, il serait toujours inférieur de 15 % par rapport au niveau de 2019. Une possibilité qui explique sans doute les débats un peu vifs qui ont eu lieu pendant l'étude.

Léo Barnier

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Commentaires 9
à écrit le 28/09/2022 à 11:37
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Ce n'est ni le covid ni les écologistes qui nuisent au transport aérien ! Il était déjà mal en point en 2019, le covid l'a achevé en 2020. Les raisons ? Un modèle économique imbécile, le «bas-coût/bas-prix» (low-cost). Les prix des billets étant infé...

le 28/09/2022 à 21:38
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C'est sur que c'était tellement mieux quand l'avion était réservé aux riches. Les avions étaient à moitié vide, seuls quelques riches pouvaient en profiter, nous étions avec les hotesses Air France à notre service. Plus sérieusement, vous ête...

à écrit le 28/09/2022 à 11:30
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Ces "machins" OFCE ADEME..pondent des études car ils sont payés avec nos impôts pour ça. Le problème c'est qu'ils se croient investit d'une mission de bienfaiteur totalement déconnecté de la réalité. Ils ne connaissent rien au problème du travail et...

à écrit le 28/09/2022 à 1:18
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Le Qatar est il au courant que l'équipe de France ne viendra pas ?

à écrit le 27/09/2022 à 21:42
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En fait le modèle de l’Ademe si je comprends bien, c’est l’Albanie communiste de Enver Hodja ! Heureusement que nous sommes entourés de Pays qui voient l’avenir plus positivement…….

à écrit le 27/09/2022 à 19:44
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Et si on s'occupait des 95% restant?

le 27/09/2022 à 22:15
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Je me suis fait ma même réflexion... j'ai même poussé un peu plus en me disant la france c'est 1% des émissions de co2 ... donc nos vols fr c'est au final 5% des 1% des émissions de co2 ... pdr

à écrit le 27/09/2022 à 19:15
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On pourrait aussi mettre fin à l'abonnement électrique de l'ADEME, cela ferait aussi des économies.

à écrit le 27/09/2022 à 17:40
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Pas de gros porteur (cf. charge utile, autonomie) type A380 long courrier à fréquence réduite...

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