
« À nous de vous faire préférer le train » : ce slogan de la SNCF datant de 1995 pourrait être repris par Midnight Trains en y ajoutant à la fin la précision « de nuit ». Cette start-up française veut redonner du lustre à ce mode de transport tombé petit à petit en désuétude au profit des trains à grande vitesse. Elle promet pour 2024 un véritable « hôtel sur rails » et de nombreux services comme un wifi efficace, des chambres avec salle de bains, un vrai restaurant et une application pour gérer son voyage. Douze destinations sont programmées à partir de son hub parisien : Barcelone, Berlin, Bruxelles, Copenhague, Édimbourg, Florence, Hambourg, Madrid, Milan, Porto, Rome et Venise.
La jeune société cofondée par Adrien Aumont et Romain Payet, respectivement cofondateur et secrétaire général de la plateforme de financement participative KissKissBankBank, surfe sur le renouveau du voyage nocturne. Avec la prise de conscience généralisée du réchauffement climatique, le ferroviaire (mode de transport 32 fois moins polluant que la voiture et 23 fois moins que l'avion selon l'Ademe) est de nouveau tendance.
« Ma copine a décidé de ne plus jamais monter dans un avion. Or, en Europe, dès lors que vous souhaitez vous rendre à plus de 800 kilomètres, il n'y a pas d'alternative à l'aérien. De plus, le train de nuit n'a pas évolué. On continue de voyager avec des inconnus sur des matelas de mauvaise qualité dans des rames fatiguées. Si l'on veut que les gens abandonnent l'avion, il faut mettre le paquet avec une offre radicalement différente » analyse Adrien Aumont. Lors d'un voyage de nuit avec la compagnie italienne Thello jusqu'à Milan, le couple se retrouve seul dans un compartiment. « Désirant me faire vivre un trajet agréable, ma compagne avait acheté les meilleurs fromages, la meilleure charcuterie, mon vin préféré et apporté un film que l'on voulait regarder depuis longtemps. » Arrivé à destination, le trentenaire imagine le concept d'un train de nuit à la fois confortable, durable et abordable. Et en s'assurant que la « bulle sociale » des voyageurs - seul, en couple, avec des amis ou en famille - sera préservée. Le deuxième pilier de l'offre, c'est le couchage avec un lit de qualité. Troisième proposition, une expérience digitale digne de ce nom : payer en un clic, préprogrammer sa chambre, réserver au restaurant de bord, être remboursé d'un retard avant même de descendre du train. Reste la question de la tarification. Une telle offre sera-t-elle accessible au plus grand nombre, en particulier aux jeunes de la Génération Climat avides de moyens de transport alternatifs à l'avion ? Pour Adrien Aumont, il est encore trop tôt pour parler prix. Mais il précise que Midnight Trains ne sera pas en concurrence avec le prix du simple billet d'avion mais avec le coût global d'un voyage aérien, en ajoutant le transport de la ville de départ à l'aéroport, de l'aéroport d'arrivée au lieu de destination et une éventuelle nuit d'hôtel. « Quand je voyageais en Europe pour le travail, un vol low-cost pour Barcelone me coûtait en moyenne 95 euros, auxquels il fallait ajouter 50 euros pour les trajets vers et depuis l'aéroport. Et si l'horaire de la réunion était très matinal, je prenais une chambre la veille, soit 75 euros supplémentaires. Donc, oui, dans ce cas de figure, nous serons compétitifs. » Créer une compagnie ferroviaire requiert un investissement considérable. Plutôt que d'acheter des trains neufs, très onéreux, ou d'occasion, difficiles à trouver car très demandés, la start-up a choisi la formule du leasing en s'adressant à une ROSCO (Rolling Stock Company), un acteur spécialisé dans l'acquisition de matériel roulant ferroviaire. « Nous avons fait le choix de ne pas porter l'actif, le matériel roulant, au bilan, mais de payer un loyer mensuel » explique Adrien Aumont.
Un hôtel sur rail en 2024
Le cofondateur de Midnight Trains évoque un coût à l'achat de 30 à 40 millions pour 14 voitures, soit un train de 400 m de long. Or, pour desservir 12 liaisons, il faut 24 trains et donc mobiliser des sommes énormes, ce que le business model de la location permet d'éviter. Pour ne pas donner d'indices à la concurrence, il ne dit pas s'il a opté pour du neuf ou de l'occasion, mais donne une information en reconnaissant qu'acheter du neuf revient moins cher. Le cofondateur de la start-up ferroviaire ne divulgue pas non plus le nom de son leaser. Il en existe plusieurs dont l'allemand Railpool basé à Munich, le français Akiem (filiale de la SNCF et du fonds allemand DWS), Mitsui Rail Capital Europe dont le siège est à Amsterdam et Alpha Trains qui a plusieurs filiales, dont une en France, et se présente comme « leader des solutions de location en Europe ». La concurrence sur ce segment est aujourd'hui majoritairement composée de compagnies nationales. Thello, filiale de la compagnie nationale italienne Trenitalia, et surtout l'autrichien ÖBB, qui a repris en 2016 la branche déficitaire des chemins de fer allemands et créé la marque Nightjet, qui connaît un succès certain et serait rentable. Côté privé, deux Hollandais passionnés de train de nuit, Elmer van Buuren et Chris Engelsman, ont créé European Sleeper, qui prévoit de relier Amsterdam à Bruxelles, Berlin, Dresde et Prague. Organisée en coopérative, European Sleeper a levé 500 000 euros en vendant des parts à 350 investisseurs particuliers. S'attaquer à une industrie dominée par des opérateurs nationaux actifs depuis plus d'un siècle et dont les ressources sont considérables n'est pas une mince affaire. D'où le souci de confidentialité des fondateurs de Midnight Trains qui sont actuellement en recherche de fonds. Reste la question de la rentabilité d'une telle compagnie privée positionnée sur un marché de niche. Pour Adrien Aumont, la réponse passe par le déploiement d'un réseau : « Nous sommes sur une structure de coûts fixes. Il est nécessaire de mutualiser les voitures, les locomotives, la rotation du personnel. Il faut passer à l'échelle. Mais c'est une activité qui va dégager du chiffre rapidement. » Inspiré par l'histoire du fondateur d'easyJet Stelios Haji-Ioannou, qui a commencé avec deux avions en leasing et 5 millions d'euros, le trentenaire a confiance dans son projet. Partant du principe que l'avion propre ne sera pas opérationnel avant la fin du siècle, il parie sur les performances du train en termes d'émissions de gaz à effet de serre (GES) et surtout sur l'attractivité de son offre : « Nous communiquons plus sur le produit que sur l'aspect environnemental car les gens savent que le train pollue peu. Beaucoup d'autres d'acteurs, comme les associations écologiques, le répètent régulièrement. » Un train de nuit complet de 14 voitures transporte plus de passagers qu'un vol moyen-courrier, ce qui n'est pas négligeable. Autre atout du voyage nocturne : on ne perd pas de temps, on arrive reposé et on peut travailler durant une partie du trajet. « La clientèle business pèse 25 % du CA du train de nuit. Nous avons d'ailleurs déjà été contactés par de nombreuses entreprises » explique Adrien Aumont. Rendez-vous en 2024 pour sillonner l'Europe en rêvant aux fastes disparus de l'Orient-Express.
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