Quand le Brexit fait exploser le trafic de marchandises entre l'Irlande et les ports français de la Manche

Les chauffeurs irlandais, qui traversaient le Royaume-Uni pour rejoindre le continent, préfèrent désormais rallier la France par la voie maritime pour s’éviter paperasserie et tracasseries administratives. La situation irrite le gouvernement de Boris Johnson mais fait les affaires du port de Cherbourg, et peut-être bientôt celles du Havre où une liaison vers l’Eire vient d’être rétablie. Explications.
La compagnie irlandaise assure la liaison entre la pointe du Cotentin et le Connemara.
La compagnie irlandaise assure la liaison entre la pointe du Cotentin et le Connemara. (Crédits : www.irishferries.com)

C'est le chemin le plus court pour rallier le pays du trèfle au vieux continent. Et pourtant le landbridge (pont routier dans la langue de Molière) n'a plus les faveurs des chauffeurs de poids-lourds de la république d'Irlande. Pour rejoindre l'Europe, ils avaient coutume d'embarquer à Rosslare, au sud-est de l'île, puis de débarquer au Pays de Galles, direction Douvres par la route, puis Calais par la mer. Cela, c'était avant le Brexit. Depuis le mois de janvier, on estime que près des trois quarts des 150.000 camions qui empruntaient le landbridge, préfèrent désormais transiter par les ferries qui desservent la France en direct, quitte à rallonger leur temps de transport de plusieurs heures. L'objectif : s'affranchir des passages en douanes et de la paperasserie à l'entrée ou à la sortie du Royaume-Uni.

En l'espace de dix mois, le port de Rosslare a ainsi connu une augmentation de 360% (!) de son trafic ferries avec le vieux continent. « Incredible » (incroyable) s'enflamme son directeur, Glenn Care sur son site Internet. Le constat vaut dans les deux sens. En mars dernier, la BBC rapportait voir vingt camions chargés de colis arriver quotidiennement à Rosslare en provenance des côtes européennes, là où ils venaient auparavant de Grande Bretagne.

Le gouvernement de Boris Johnson a eu beau repousser à janvier 2022 la mise en place de nouveaux contrôles pour les marchandises venues de l'UE - et même à mars pour les animaux vivants et les végétaux -, rien n'y fait. Le landbridge n'a plus la cote. Même les camions chargés de denrées périssables le contournent au point que les autorités britanniques hurlent au « détournement de trafic ».

Jeu sans frontière entre le Cotentin et le Connemara

Si elle embarrasse Boris Johnson, cette nouvelle donne fait les affaires du port de Cherbourg  où les compagnies de ferries ont vite senti le vent tourner. Dès le début de l'année, la Stena Lines, le plus grand opérateur en mer d'Irlande, a doublé le nombre de ses liaisons entre la pointe du Cotentin et Rosslare, tandis que Irish Ferries y a positionné son plus gros navire. Britanny Ferries, de son côté, à ouvert une ligne hebdomadaire. Moyennant quoi, le port normand a vu son trafic avec l'île plus que tripler, passant de 2.500 poids-lourds par mois à 8.500 en moyenne.Largement de quoi compenser la baisse du transit avec l'Angleterre à marée basse depuis le divorce d'avec l'UE.

« Nous fêterons en décembre, la cent millième remorque en provenance ou à destination de l'Irlande, là où le niveau ne dépassait pas 35.000 les meilleures années » se félicite Philippe Deiss, patron du port.

Pour faire face à ce surcroît de trafic, les collectivités locales, qui administrent le port via un syndicat mixte, ont investi. Le terminal a été modernisé et de nouveaux postes douaniers aménagés. D'autres travaux sont programmés. Trop petite pour accueillir les plus gros navires, l'une des trois passerelles dédiées au transmanche doit être agrandie.

A l'étude également, l'extension d'une zone d'activité logistique en arrière des quais. « Les opérateurs font état d'un besoin énorme », indique Philippe Deiss. Pour conforter cette position, les autorités portuaires tablent aussi le lancement, en 2022 ou 2023 par Britanny Ferries, d'une autoroute ferroviaire entre Cherbourg et Bayonne aux portes de l'Espagne. Laquelle pourrait susciter un nouvel appel d'air auprès des Irlandais.

Le Havre aussi joue le trèfle

En attendant, le port de la pointe de Cotentin prévoit un trafic stable avec le pays du trèfle pour 2022. Car entre-temps, la concurrence s'est mise en ordre de marche. La compagnie DFDS a ouvert en début d'année une liaison vers l'Irlande depuis Dunkerque où elle propose six rotations par semaine avec trois navires. Au Havre, la Brittany Ferries vient de relancer (le 12 novembre) une ligne hebdomadaire pour le fret avec le Connemara, un quart de siècle après le départ d'Irish Ferries. Une évidence économique à écouter le président de la compagnie bretonne.

« Je ne doute pas que l'activation par les Britanniques des mesures de contrôles sur le Landbrige, début 2022, ne renforce encore cette appétence pour la voie maritime et que cette ligne Le Havre/Rosslare ne soit promise à un bel avenir », commente Jean-Marc Roué dans un communiqué.

Il n'est pas le seul à le penser. Pour l'Institut Paris Région qui a publié, fin octobre, une étude sur les impacts du Brexit sur le fret transmanche, ce choix est bien inspiré. « Un renforcement du positionnement du port du Havre sur le transmanche pourrait accroître l'attractivité de l'axe Seine », analyse Lydia Mykolenko, experte transport et logistique auprès de l'Institut, pour qui « la région normande pourrait devenir une porte d'entrée maritime du Royaume Uni, en complément du détroit du Nord Pas de Calais ». De quoi rebattre les cartes en Manche.

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Commentaires 5
à écrit le 16/11/2021 à 17:46
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le bojo avait promis le paradis: les travailleurs étrangers -ue- qui représentaient jusqu à 40% des salariés dans certains secteurs strategiques - santé transports etc...sont partis engendrant des problèmes de ravitaillement dans les grande/moyennes...

à écrit le 16/11/2021 à 9:27
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Ils préfèrent garder leurs poissons que leurs camions, pas mieux.

à écrit le 15/11/2021 à 19:32
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Renseignez vous, c'est le port belge de Zeebruges qui recupere la plupart du traffic, car les belges sont plus efficaces.

le 16/11/2021 à 19:05
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Efficaces ? Jusqu'en demi-finales seulement ! Sans rancune

à écrit le 15/11/2021 à 16:46
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"près des trois quarts des 150.000 camions qui empruntaient le landbridge, préfèrent désormais transiter par les ferries" ça allège le trafic routier en GB, c'est donc bon, écologique, etc, nul ne peut s'en plaindre.

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