Aliments bio : après des années de croissance, la consommation baisse

2021 marque pour le première fois un fléchissement des achats de produits bio, alors que la production augmente. En plein contexte inflationniste, un obstacle structurel semble expliquer ce repli : le prix. L'Agence Bio espère qu'une meilleure communication et de nouveaux débouchés relanceront la dynamique.
Giulietta Gamberini
Préservation de leur santé, de l'environnement, du made in France, de l'équité sociale, du bien-être animal... Les gens projettent beaucoup d'attentes dans le bio, auxquelles tous les produits, en raison de leur composition, de leur modes de production ou de leurs emballages, ne répondent pas.
Préservation de leur santé, de l'environnement, du made in France, de l'équité sociale, du bien-être animal... Les gens projettent beaucoup d'attentes dans le bio, auxquelles tous les produits, en raison de leur composition, de leur modes de production ou de leurs emballages, ne répondent pas. (Crédits : Eric Gaillard)

Absolument inattendu, le phénomène est vécu par de nombreux acteurs de la filière comme une grande déception. En 2021, pour la première fois après des années de croissance à deux chiffres, le marché des produits bio a fléchi, avec une baisse des ventes de 3,1% en valeur par rapport à 2020, selon l'Institut de recherche et d'innovation (IRI), cité par l'AFP.

Une dégringolade qui est même bien plus importante pour certains produits: -18% pour la farine, -12% pour le beurre, -7% pour le lait et -6% pour les œufs, précise la même source, alors que le chiffre d'affaires global de la grande consommation alimentaire n'a perdu que 0,3% par rapport à l'année précédente, selon le groupe Nielsen.

Lire aussi: Vins bio : la filière reste optimiste malgré le tassement des ventes en 2021

Des prix divisés par deux

Les effets sur la production, laquelle n'a cessé de croître tout au long des dernières années, sont dévastateurs. De nombreuses filières se retrouvent en surcapacité, et donc contraintes à écouler leurs produits sur le marché conventionnel, à des prix inférieurs aux coûts de production du bio - de surcroît en augmentation à cause du contexte inflationniste.

Pour les producteurs de lait, qui cherchent des débouchés pour un surplus de 250 millions de litres, la perte représente rien de moins qu'un tiers du prix, analyse Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA chargé de l'agriculture biologique, et lui-même éleveur et agriculteur bio dans le Cher. Quant aux œufs, le prix de ceux bio, qui comme le lait avaient atteint 16% de part de marché, et dont la production a crû de 12% en 2021, "est divisé par deux lorsqu'ils sont passés en conventionnel", calcule Etienne Gangneron.

 "Cela anéantit les efforts déployés par les producteurs pour leur conversion à l'agriculture bio. Certains vont revenir au conventionnel, mais d'autres risquent de faire faillite, ou vont choisir d'arrêter leur production", regrette-t-il.

Des industriels qui jusqu'à présent encourageaient les conversions au bio, comme Lactalis, ont d'ailleurs décidé de geler les nouveaux projets.

Une baisse de la demande à nuancer

Alors, qu'est-ce qui explique un tel retournement, d'autant plus surprenant qu'en 2020, pendant le premier confinement, les produits bio avaient été plébiscités par les consommateurs? La comparaison avec 2020, "année exceptionnelle où les consommateurs ont tenu des comportements pas toujours très rationnels", doit être nuancée, avance d'emblée Stéphane Brunerie qui, après avoir travaillé 20 ans dans l'agro-alimentaire, en conseille aujourd'hui les acteurs.

"En 2020, les rayons bio ont été dévalisés aussi par des acheteurs qui ne les fréquentaient pas du tout avant", observe-t-il.

"Le lait et les œufs ne représentent que 8% des produits bio sur le marché. Et dans ces deux segments, le recul de la demande frappe aussi les produits conventionnels", ajoute Laure Verdeau, directrice de l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (Agence Bio).

"Puisque les conversions durent au moins trois ans, le marché fonctionne naturellement par à-coups", observe-t-elle encore, en précisant que pour le moment, si "la tendance de conversions frémit à la baisse", le taux de sorties du bio (de 4,17% et dû pour la moitié aux départs à la retraite) n'a augmenté que de 0,2% en 2021 par rapport à l'année précédente. L'augmentation de volumes de lait serait aussi due en 2021 aux pluies abondantes qui ont généré beaucoup plus de fourrages, rappelle enfin Etienne Gangneron.

Le retour du critère du prix

Cependant, un obstacle structurel semble aussi expliquer la baisse de la demande de produits bio: leur prix, en moyenne 50% plus cher que celui d'aliments conventionnels, selon l'IRI. Au moment où tous les coûts augmentent en raison de l'inflation, les consommateurs ponctuels de bio reviennent ainsi à celui qui reste le principal critère de choix lors d'un achat. D'autant plus que la concurrence entre le bio et d'autres "signes de qualité" officiels (haute valeur environnementale, Nutriscore etc.), voire d'autres simples allégations commerciales (local, bien-être animal etc.), souvent moins chers, est de plus en plus rude.

Lire: Agriculture : la crise conforte le modèle, plus résilient, des circuits courts

l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique, est la plateforme nationale d'information et d'actions qui s'inscrit dans une dynamique de développement, de promotion et de structuration de l'agriculture biologique française., observe en outre Stéphane Brunerie.

 Le risque d'une "grosse désillusion"

"Aurait-on donc atteint un plafond de verre?", s'inquiète Etienne Gangneron, en craignant que le nombre de consommateurs "prêts à faire un effort" ne dépasse pas le 5% de parts de marché que représente désormais le bio. "Ce qui est sûr, c'est que tout le monde demain ne consommera pas du bio", estime Stéphane Brunerie, qui rappelle d'ailleurs aussi les limites du côté de la production: rentabilité moindre, plus grande exposition aux aléas climatiques etc.

"La transition alimentaire se fera de manière progressive et dans la diversité", est-il convaincu.

"Cela remet en cause le travail que nous menons depuis des années sur la montée en gamme", commente, amère, Etienne Gagneron, en soulignant que cette recherche de qualité n'est d'ailleurs pas un avantage compétitif sur le marché international.

"Si nous ne retrouvons pas nos consommateurs en France, ce sera une grosse désillusion", affirme-t-il.

"Un retour sur investissement en termes environnementaux"

Car certes, cumulées, les ventes de produits liés à la transition alimentaire (bio, sans conservateurs, vegan, équitables) augmentent: entre 2019 et 2021, elles sont passées de 18,5% à 20,8% selon l'institut Kantar, cité par Les Echos. Et globalement, les Français acceptent d'acheter moins tout en payant plus cher, puisqu'en 2021 le chiffre d'affaires du marché de la grande consommation a baissé moins (-2,2%) que les achats en volumes (-3,6%), et ce malgré une légère déflation (0,5%).

Mais "comment peut-on monter en gamme sans passer par le bio?", s'interroge Laure Verdeau, directrice de l'Agence Bio.

"Le bio est le seul à assurer aux consommateurs un véritable retour sur investissement en termes environnementaux", estime-t-elle, pour qui il représente la forme "la plus aboutie de l'agro-écologie et le seul label sécurisant, car régi par un cahier des charges et contrôlé".

La France veut d'ailleurs atteindre 18% de surfaces agricoles en bio en 2027 (contre 9,5% fin 2020), alors que l'Union européenne vise, dans la cadre de sa stratégie "De la ferme à la fourchette", 25% en 2030. Un objectif désormais "en décalage avec la réalité de la consommation", selon Etienne Gangneron.

Expliquer les bienfaits "objectifs"

Pour relancer voire accélérer la dynamique, l'Agence Bio voudrait donc miser sur la communication, pour laquelle elle estime toutefois manquer de fonds. Elle vient néanmoins de débloquer 400.000 euros du ministère de l'Agriculture pour financer une campagne commune avec les inter-professions, qui devrait être lancée en mai-juin.

"L'enjeu est d'expliquer les bienfaits objectifs du bio à 60 millions de Français", souligne Laure Verdeau.

Il s'agit également de les convaincre de la nécessité de consacrer davantage de valeur à l'alimentation, car aucune transition alimentaire n'aura lieu sans cela, souligne Stéphane Brunet.

Lire: Prix alimentaires : négociations explosives entre la grande distribution et les fournisseurs

Les pouvoirs publics en retard

L'Agence Bio espère en outre que la demande augmente sur d'autres segments: la vente directe notamment, ainsi que les magasins voire les restaurants spécialisés. La restauration commerciale, très en retard sur le bio, recèle aussi un grand potentiel.

"Ces débouchés sont en train de rebattre les cartes de la distribution des produits bio", estime Laure Verdeau, même si les données sur l'état du marché ne seront disponibles qu'en juin.

L'enjeu est de sortir de la dépendance d'acteurs qui adoptent un raisonnement court-termiste incompatibles avec les contraintes du bio, explique-t-elle. Dans ce sens, les pouvoirs publics doivent aussi faire des efforts, estime Etienne Gangneron. Il les appelle notamment à respecter la loi Egalim 1, qui fixe l'obligation de 20% de bio dans la restauration collective, mais qui n'est toujours pas pleinement appliquée.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 17
à écrit le 14/02/2022 à 18:35
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Chacun se fait son avis sur cette question du bio, et c'est bien ainsi. Les avantages pour la santé sont pour le moins marginaux (personnellement, je ne recherche pas le bio, fait confiance en la technologie, et sait bien que pour certaines productio...

le 15/02/2022 à 13:29
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"entre un fongicide et du sulfate de cuivre utilisé en bio à fortes doses, mieux vaut le fongicide. " C'était un message à caractère informatif de BAYER-MONSANTO puisque votre animal domestique s'il ingère du sulfate de cuivre ne mourra pas tandis qu...

à écrit le 14/02/2022 à 16:26
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Sur les marchés direct producteurs.. de la ferme aux consommateurs..

à écrit le 14/02/2022 à 15:48
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Les gens découvrent que l'agriculture Bobiologique se destine à engraisser encore et toujours les grands propriétaires terriens qui ne paient plus l'ISF...

à écrit le 14/02/2022 à 15:15
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Rayon prétendu Bio de la grande distrib à zapper évidemment : études expertes implacables prouvant 100% de Faux Bio. Enorme niche pour Marge abusive de la Grande Distrib.

à écrit le 14/02/2022 à 15:08
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On a profité de cultiver mieux nos jardins de cette mode bio. Sinon les prix sont énormes bien souvent sans commune mesure avec le prix d'achat, le seigle est payé 50 cmes, c'est une céréale de faible valeur, la farine appelée bio: 5 €, on jette un c...

à écrit le 14/02/2022 à 15:05
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Tout dépend aussi d'où on achète. La farine de châtaigne, on ne la trouve qu'en bio, dans le passé c'était du "banal", tout courant, sans chichi (la même mais pas certifiée). Mais chez Bioco* c'est moins cher au kilo que chez Lecl*, comme quoi tout t...

à écrit le 14/02/2022 à 14:32
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Le problème ne se posera plus quand tout le monde cultivera bio, sans cahier des charges mais simplement parce que plus rentable que d'utiliser des intrants chimique a mauvais escient!

le 14/02/2022 à 14:59
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Plus rentable, au rendement près, il parait qu'il baisse sans "produits spécialisés", d'où le prix supérieur mécaniquement. Un ennui du bio est qu'il doit être certifié, contrôlé régulièrement (genre CT des voitures), et que ça, ça coûte. A voir si ...

à écrit le 14/02/2022 à 11:04
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Enfin, la faim (sic) de l'arnaque.

à écrit le 14/02/2022 à 10:27
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Le bio fait la preuve que ça n’est qu’un marché de niche s’adressant à une clientèle qui peut payer le surcoût important de tous ces produits. Le bio se voulant pure de toute substance chimique n’a pas fait la preuve irréfutable qu’il était vraiment ...

à écrit le 14/02/2022 à 9:53
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On est très loin du "Bio" d'il y a 15 ans. Un exemple: les œufs. Entre un "vrai" oeuf bio et un œuf "bio" produit à grande échelle, y a pas photo. Le test? La couleur et la consistance du jaune. Quand au goût....!

le 15/02/2022 à 4:32
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La couleur d'un jaune ne signifie rien. Il suffit d'ajouter certains produits dans la ration de la poule pour modifier sa teinte. Il y a sur internet un recoltant bio qui explique video a l'appui la magouille. Desole de vous casser la baraque.

à écrit le 14/02/2022 à 9:51
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Bon, ben c'est normal, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Ca pouvait pas croitre indéfiniment. Le bio reste un beau succès, il répond à une attente des gens qui veulent de la qualité

à écrit le 14/02/2022 à 9:40
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sans deconner!!!!!!! ce qui est extraordinaire, c'est que les gens decouvrent!!!!!! et on va encore plus rire, quand les politiciens vont decouvrir avec stupefaction ce qu'on sait, c'est a dire que les gens n'ont pas les moyens de sauver la planete a...

le 14/02/2022 à 17:45
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mais si on peut sauver la planete. Il y a 2 solutions. La premiere c est de diviser par 2 la population, la seconde c est de faire vivre les gens comme en 1960: viande ->luxe, voiture -> luxe, chauffage : 1 piece, la cuisine. avion : tu oublies Ev...

à écrit le 14/02/2022 à 9:36
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En effet, la filière agro-industrielle a vu de bons gros profits à se faire grâce aux prix plus élevés qui forcément en période inflationniste sont un frein pour la consommation. De toutes façons confier cette activité à l'obscurantisme agro-industri...

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