Transition énergétique : comment la filière gazière française compte se réinventer

En pleine mutation, l'industrie française du gaz s’interroge sur son avenir. Car si le gaz naturel représentait encore près de 15% de la consommation d’énergie primaire du pays en 2019, son utilisation semble incompatible avec la promesse de neutralité carbone d’ici à 2050. Pour s’en sevrer, des technologies alternatives voient bien le jour, comme le biométhane ou la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, qui concentrent de nombreux espoirs. Mais cela ne suffira pas. Car un enjeu souvent oublié dans le débat public agite le secteur : comment renouveler les emplois et les compétences, pour réussir à faire face aux transformations à venir ?
Marine Godelier
Les emplois directs dans les unités de méthanisation, souvent situés en zone rurale, se heurtent à un manque d'attractivité.
Les emplois directs dans les unités de méthanisation, souvent situés en zone rurale, se heurtent à un manque d'attractivité. (Crédits : iStock)

Alors que les réflexions sur le futur énergétique de la France irriguent le débat public, une chose est sûre : une bonne partie des usages thermiques devra être électrifiée. C'est même, selon toutes les trajectoires étudiées, la condition sine qua non pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Car celles-ci sont liées à la combustion d'énergies fossiles, parmi lesquelles le gaz, moins polluant que le charbon ou le pétrole, mais bien plus carboné que l'éolien, le photovoltaïque ou le nucléaire.

Un constat qui semble, a priori, menacer l'avenir de la filière gazière. Pourtant, celle-ci n'a pas dit son dernier mot : forte des annonces du gouvernement, qui compte investir neuf milliards d'euros dans la production d'hydrogène dit « vert » et subventionne le biométhane, le secteur prépare le terrain. Et tente de voir plus loin que la dépendance de l'économie au gaz naturel fossile, dont le pays espère se sevrer d'ici à quelques décennies grâce à des innovations de rupture.

Car ces technologies ne suffiront pas : les métiers et compétences devront eux aussi s'adapter aux profondes mutations de l'industrie. Un « aspect ressources humaines tout aussi important » qui n'est pourtant « pas vraiment abordé » dans les scénarios RTE « Futurs énergétiques 2050 » publiés en octobre par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité et mis en avant par les pouvoirs publics, regrette Philippe Lesoil. Directeur du projet d'Engagement de Développement de l'Emploi et des Compétences (EDEC) signé le mois dernier avec le ministère du Travail, il devra livrer dès le 1er trimestre 2022 des données qualitatives et quantitatives sur le sujet.

Photographie de « l'équipe de France du gaz »

La filière du gaz marche ainsi sur les pas de celle du nucléaire, qui s'était pliée au même exercice l'an dernier, de manière à recenser les besoins nécessaires sur le territoire pour répondre aux enjeux futurs (en l'occurrence, la construction présumée de 6 EPR, pas encore confirmée par l'exécutif). Pour le gaz, il s'agira donc d'abord de dresser un diagnostic concret des emplois et compétences dans les différentes branches, afin d'anticiper « ceux qui vont croître, et ceux qui vont décroître », précise Philippe Lesoil.

« Il n'y a jamais eu de photographie globale de l'équipe de France du gaz. Même si le pays n'en produit presque plus directement sur son sol, on estime qu'elle est composée de 130.000 emplois, dont environ 20.000 en mutation d'ici à 2030. Mais c'est un calcul fait avec des cartographies incomplètes, avec des méthodologies variées et à des moments différents », ajoute-t-il.

Le diagnostic ainsi dressé devra permettre d'anticiper les besoins, « notamment en termes de formations et de basculement des métiers », d'identifier « les futures crises sociales », et de faire face aux « évolutions technologiques et réglementaires », comme la RE2020 qui vise à éviter le gaz dans les nouveaux logements, explique Philippe Lesoil. Autant d'enjeux imbriqués, aux conséquences multiples pour les salariés.

« L'objectif est d'arriver à se projeter, à l'aune de la mutation assez profonde qui s'engage. Car celle-ci doit être progressive, pour éviter une transition brutale en matière d'emplois », fait valoir Thierry Chapuis, Délégué Général de l'Association Française du Gaz.

Cibler les métiers en tension

Concrètement, la montée de l'hydrogène bas carbone (produit par électrolyse de l'eau) et du biogaz (obtenu à partir d'intrants agricoles transformés dans un méthaniseur), en même temps que le lent déclin du gaz naturel fossile, transformeront une bonne partie des emplois. Et en créeront d'autres, avec une relocalisation d'une partie de la production. « Ce sont aujourd'hui des techniques balbutiantes, mais qui bénéficient d'investissements importants et d'un engouement très fort », explique Thierry Chapuis.

« Le compteur tourne : il y a déjà de 2.000 personnes dans la filière hydrogène aujourd'hui. Dans huit ans ce sera 100.000, selon France Hydrogène. On peut devenir leader mondial à la matière, grâce à une meilleure technologie, mais il faut aussi se mettre en position de préparation des compétences », avance Philippe Lesoil.

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Notamment pour les postes en tensions, comme les électrotechniciens, les techniciens de maintenance, les ingénieurs ou encore les soudeurs, qu'on trouve dans plusieurs filières industrielles. Ces derniers, par exemple, « pourraient basculer entre autres vers la production d'hydrogène ou de biométhane », considère Philippe Lesoil. « Ces nouveaux métiers seraient proches des leurs. Mais comme ils ne les connaissent pas aujourd'hui, ou que les accompagnateurs ne les aiguillent pas, la question n'avance pas », ajoute-t-il.

« Un méthaniseur, ça peut représenter 3 ou 4 emplois directs. On est aujourd'hui à 4 à 5 TwH (terawatt-heure) par an, soit environ l'équivalent d'un réacteur nucléaire, et ça va s'accélérer. C'est une vraie industrie qui sortira de terre, avec une proximité avec l'industrie gazière historique », note Thierry Chapuis.

Des enjeux de formation et d'attractivité

Alors, pour enclencher le mouvement, l'EDEC doit notamment servir à engranger des actions pilotes, comme la mise en place de formations diplômantes « multi-gaz ». Le but : permettre aux futurs salariés de « rebondir » vers l'hydrogène ou le biométhane au cours de leur carrière, afin de répondre aux exigences de la Programmation pluriannuelle de l'énergie en la matière (2019-2028), mais également « éclairer » la prochaine feuille de route.

Ainsi, l'EDEC devra conduire à mettre en place des « passerelles » entre les filières « en mauvaise santé » et celles en croissance, « qui demandent de la ressource ». Mais aussi attirer des personnes éloignées de l'emploi vers des stages immersifs dans des entreprises partenaires, comme GRTZ Gaz, GRDF, Franche Hydrogène Région ou encore France Biométhane, entre autres. Un dispositif déjà amorcé dans la région Auvergne Rhône Alpes, mais que l'EDEC devra « booster », affirme Philippe Lesoil.

Ce n'est pas tout : l'EDEC devra également engendrer des animations de proximité via les antennes régionales de l'AFG (association française du gaz), de manière à lutter contre la « méconnaissance » des enjeux de la filière gaz.

« Il faut que les techniciens se parlent entre eux, pour créer une communauté et que ces nouveaux métiers deviennent attractifs, percutants et pertinents. En effet, on assiste déjà parfois a des difficultés de recrutement, notamment pour les méthaniseurs qui se trouvent souvent en zone rurale », précise Philippe Lesoil.

Enfin, un portail GPEC (Gestion prévisionnelle emplois et compétences) verra le jour, pour connaître le nombre d'apprentis, de formations et de salariés « territoire par territoire », et permettre à chacun de s'informer sur les postes et métiers affiliés à chaque domaine. De quoi, espère Philippe Lesoil, permettre à l'industrie de s'adapter en amont, pour ne pas avoir à supprimer des emplois dans certaines branches, et en manquer dans d'autres.

Lire aussi 6 mnLa méthanisation ne suffira pas à décarboner l'agriculture

Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 06/12/2021 à 16:21
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Pour le réchauffement climatique, il est bien trop tard. Si nous ne consommons plus de gaz, le Chinois, les Indiens, se feront un plaisir de le faire pour le substituer au charbon et il y a fort à parier que le jour où pétrole et gaz seront rares e...

à écrit le 06/12/2021 à 16:21
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Pour le réchauffement climatique, il est bien trop tard. Si nous ne consommons plus de gaz, le Chinois, les Indiens, se feront un plaisir de le faire pour le substituer au charbon et il y a fort à parier que le jour où pétrole et gaz seront rares e...

à écrit le 06/12/2021 à 14:02
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il faut compter sur le biogaz et le recyclage des matières premières et terres rares que nous trouvons partout chez les consommateurs :)

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