Menaces sur les métiers du 7e art

HOMO NUMERICUS. La grève des scénaristes et acteurs d'Hollywood dure depuis plus de quatre mois. Au cœur de ce conflit, le rôle grandissant de l'intelligence artificielle. Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
(Crédits : Mike Blake)

Les scénaristes et acteurs d'Hollywood ne manquent ni d'imagination ni d'humour, surtout lorsqu'il s'agit de créer des messages sur leurs piquets de grève visibles depuis près de 150 jours devant l'entrée des grands studios :

« L'IA c'est ET en pire » (en référence au film de Steven Spielberg) ou «ChatGPT, tu ne sais pas écrire "je t'aime!".

Des slogans chocs pour appuyer là où ça fait mal ; en complément à leurs revendications salariales, la peur d'être progressivement remplacés par des intelligences artificielles (IA) génératives. Ce scenario n'a rien d'un film de science-fiction tant le risque existe du fait de l'avancée rapide de ces technologies qui, à coup de modèles de langage, peuvent, en quelques secondes, créer des images surgies de nulle part ou des textes sans qu'acteurs ou scénaristes en soient à l'origine.

Scénaristes, monteurs, traducteurs...

Au-delà de ces métiers de scénaristes et d'acteurs, d'autres, à l'instar des monteurs ou des traducteurs, peuvent également se sentir menacés par ces IA qui envahissent les métiers du 7e art.

Pour ces derniers, l'arrivée sur le marché d'outils comme Runway qui permet d'obtenir des images animées à partir d'une simple description ou HeyGen, start-up californienne spécialisée dans la création d'avatars vidéo et capable de doubler des dialogues dans une dizaine de langues tout en agissant sur la synchronisation labiale afin de rendre la diction à l'écran encore plus crédible, peut légitimement faire craindre ce grand remplacement des IA au détriment des artistes ou professionnels du cinéma dans toutes ses composantes.

Bref, de nombreuses interrogations qui cristallisent le débat sur la complémentarité « Hommes-Machines » en matière de créativité et, de manière très concrète et immédiate, l'épineuse question de la rémunération de ces œuvres et des droits d'auteurs associés.

Maître dans l'art d'imiter les artistes

Le recours aux technologies à base d'IA pour transformer la production cinématographique fait partie des pratiques établies. Qu'il s'agisse de créer des décors artificiels, d'ajuster les dialogues sans avoir recours aux comédiens ou de créer/ rajeunir des personnages (le dernier Indiana Jones est un modèle du genre avec un Harrison Ford, 80 ans « dans la vraie vie », qui n'en parait que 50 grâce à une recomposition de l'image rendue possible par un algorithme nourri d'anciens rushs du comédien), l'IA s'avère déjà être une aide précieuse pour optimiser les étapes techniques de la création d'un film.

Si, pour l'heure, l'IA se contente de « remouliner » du contenu à l'origine fabriqué par des humains, le sous-jacent de cette grève hollywoodienne porte sur la question de l'étendu de la « créativité » des machines, si tenté que l'on puisse employer ce terme tel que nous, humains, le comprenons.

On objectera à juste titre que cette idée d'imaginer des machines « créatives » fait, depuis les années 1950, fantasmer tous ceux qui prophétisent que l'IA pourrait un jour devenir des maîtres dans l'art d'imiter les artistes. Pourtant, les IA tendent déjà à le devenir notamment du fait de leurs « hallucinations » - des réponses fausses, mais présentées par la machine comme des faits certains et véridiques. Sans qu'il soit toujours possible d'expliquer le comment, de tels phénomènes spontanés, certains se prennent à extrapoler que ces « fausses réponses » puissent demain se transformer en de futurs actes créatifs inattendus. Après tout, et sur le seul sujet des IA qui sont capables de générer des images nouvelles, à l'instar des logiciels Dall-E ou Midjourney, les résultats produits peuvent donner à penser que ces productions relèvent d'un début de process créatif original.

Réussir à modéliser le processus créatif ?

Pour en avoir le cœur net, il faut se tourner vers les travaux de neuroscientifiques qui étudient le processus créatif humain pour comprendre qu'imaginer et produire du contenu est d'une infinie complexité. À ce titre, les métiers du 7e art peuvent être rassurés. Résultat de mécanismes complexes qui, dans le cerveau humain, font intervenir réseaux et connexions cérébraux distincts, on a du mal à imaginer qu'une machine puisse un jour réussir à modéliser, inventer et créer quelque chose qui soit totalement original, et cela via un « simple » process mécanique.

Les meilleurs spécialistes de l'IA le disent : l'expérience humaine, faite de sensibilité et d'émotions, ne peut être ni conceptualisée ni remplacée par des machines. Et les scientifiques qui scrutent le cerveau humain rajoutent que créativité et émotions font cause commune. Sans émotion, point de créativité et sans créativité, point d'émotions. Suggèrerons aux grévistes d'Hollywood qu'ils rajoutent ce slogan sur leurs pancartes :

« Chères IA, ce n'est pas demain que vous nous délogerez ! »

Philippe Boyer

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Commentaires 2
à écrit le 22/09/2023 à 8:36
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Quand on utilise le vocable 7ième art pour parler des jeux du cirque, la qualification « artistes » en lieu et place de saltimbanques, on acte la déchéance de nos sociétés.. Tous les techniciens qui peineront à trouver leurs places d’intermittents du...

à écrit le 22/09/2023 à 8:26
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«ChatGPT, tu ne sais pas écrire "je t'aime!" C'est très bon en effet. "leurs « hallucinations » - des réponses fausses, mais présentées par la machine comme des faits certains et véridiques" Ou comment un mot suggère l'inverse de la réalité à savoir ...

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