Octobre morose dans un monde en colère

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Dans un monde en colère, quelles chances encore pour la paix ? Alors que tous les indicateurs virent au rouge, l'économie mondiale risque de traverser un sérieux coup de froid. Heureusement, il nous reste les Rolling Stones...
Philippe Mabille
(Crédits : CARL RECINE)

« Angry » (et non pas Angie), c'est l'un des titres phares du nouvel et dernier (oui à l'unanimité selon la rédaction, non, selon moi, car ils sont immortels) album des Rolling Stones, sorti ce vendredi, à écouter absolument. Angryvery angry, c'est aussi la tonalité de la semaine d'un monde en colère, plongé dans une impasse dangereuse dans l'Orient compliqué. Il faut louer la prescience des Stones : déjà, en 2020, ils sortaient Living in a ghost town, un titre datant de 2015 mais opportunément sorti le 23 avril en plein confinement mondial, comme un avertissement au monde qui nous attend. Angry connaîtra-t-il le même destin ? Espérons que non ! Et qu'à la colère succédera la paix, même si elle semble encore lointaine...

L'édition de la semaine de The Economist interroge : « Where will this end ? » avec la photo d'une fillette blessée à Gaza. Et le magazine britannique de compter les morts vendredi soir : plus de 1.400 pour Israël avec plus de deux cent otages qui seraient encore en vie mais prisonniers du Hamas (qui a libéré deux américaines vendredi soir) ; et déjà plus de 4.150 morts civils des bombardements israéliens dans la bande de Gaza. L'horreur de part et d'autre. Sans répit.

En colère, la « rue arabe » après l'explosion d'un hôpital dont les deux camps rejettent la responsabilité l'un sur l'autre. En colère, le peuple israélien, contre les terroristes du Hamas mais aussi pour beaucoup contre la politique irresponsable de Netanyahu... En colère, les populations musulmanes qui ont manifesté dans les pays occidentaux. Oui, où tout cela finira-t-il ? Où conduira toute cette colère ? Y a-t-il encore une voie pour la paix ? Ou bien entrons-nous dans une logique de guerre qui embrasera tout le Proche et le Moyen-Orient ? Et nous avec ?

En 1987, l'armée américaine avait inventé un acronyme, VUCA, pour décrire l'avenir du monde au sortir de 40 ans de guerre froide. VUCA pour Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity. Cette définition, apparue dans le grand public en 1991 après la chute de l'URSS, est devenue très populaire dans les écoles de management  pour préparer les chefs d'entreprise à affronter un monde fragmenté. L'une des réponses envisagées, pour s'adapter à cet univers volatil, incertain, complexe et ambigü : l'agilité et la réactivité des forces spéciales. 

Force est de constater que 30 ans plus tard, à l'heure où l'armée de Tsahal et ses forces spéciales 
s'apprête à entrer dans Gaza, une opération lourde d'inconnues, ce monde VUCA devient notre nouvelle réalité. Quoi que à l'acronyme pourrait s'ajouter une nouvelle initiale, le D de Dangerous. Dans sa vision du monde en 2040, dont le dernier opus a été publié en 2021, la CIA avait prédit un monde fragmenté et des démocraties occidentales contestées de l'intérieur, dans un contexte de crise démographique mettant à mal l'Etat Providence et de pression migratoire accentuée par l'intensification des dérèglements du climat.

Ce qui est dérangeant dans ce morose mois d'octobre 2023, c'est qu'il semble confirmer toutes ces prévisions. Pour l'économie aussi, nous sommes sans doute à un tournant, et les mauvais signaux se multiplient sur fond de tensions internationales. La baisse des résultats des entreprises (trop tard pour taxer les superprofits, ils n'y en a déjà plus...), le début de plongeon des marchés d'actions, enfin conscients que la hausse des taux d'intérêt s'installe dans la durée, la pression sur les dépenses publiques (l'article 49-3 a déjà été invoqué pour voter le budget de la France, sans attendre le verdict des agences de notation sur notre dette), le retournement du climat des affaires, en France comme en Europe, annoncent des jours sombres.

A peine votée, la loi Plein emploi voit son objectif devenir un horizon plus lointain, plus incertain. Emmanuel Macron en vient même à renoncer partiellement à sa politique pro-business : même le Medef se met en colère. Très « angry », le patronat a signé ce vendredi un communiqué au vitriol pour critiquer la possible remise en question de la politique d'allégement des charges sociales entre 2,5 et 3,5 SMIC, qui va faire remonter le coût du travail.

Et ce n'est sans doute que le début d'un hiver des mauvaises nouvelles à venir : le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale se présente très mal, avec la menace à peine voilée d'une motion de censure et d'une chute du gouvernement Borne, la droite étant vent debout contre la ponction envisagée sur la caisse des retraites complémentaires et le doublement à 1 euro de la franchise sur les boîtes de médicament. L'impasse budgétaire devient une impasse politique, et même le récit sur la transition écologique ne passe plus.

Malgré un succès pour la France à Bruxelles, rien ne prouve que l'accord passé pour réformer le marché européen de l'électricité bénéficiera au consommateur, ménage ou entreprise, tant l'impasse financière pour l'entreprise EDF est lourde. Avec des taux d'emprunt de 4% à 5%, la rentabilité des investissements dans les énergies nouvelles, renouvelables ou nucléaire, est mise à mal. Payer moins cher l'électricité décarbonée de demain, c'est une promesse de Macron qui sera bien difficile à tenir sans nouvelles dépenses publiques de solidarité.

Dans ce monde VUCA, les questions de souveraineté, énergétique, alimentaire et technologique, seront plus importantes que jamais. Une autre guerre, stratégique, se déroule sous nos yeux. Elle oppose le monde occidental et la Chine, au travers de multiples exemples. Ce sont les Etats-Unis qui freinent l'exportation des super-puces Nvidia à la Chine, ingrédient indispensable de l'intelligence artificielle, comme le raconte Guillaume Renouard. La Chine, de son côté, commence à prévoir des restrictions sur l'exportation des graphites nécessaires pour la nouvelle industrie des batteries électriques, pour conserver son avantage comparatif.

La Chine, ce troisième front qui ne se matérialise pas encore, mais commence à faire peur, au point que les entreprises occidentales sont de plus en plus nombreuses à réduire leur exposition industrielle, à l'image de Stellantis, qui vient d'y céder trois usines. La guerre est aussi économique et à Bercy on s'y prépare, averti par la montée des menaces étrangères sur les entreprises françaises. Notre journaliste Michel Cabirol y consacre une enquête en quatre volets qui commence par une plongée au cœur du SISSE, le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques, un organisme du ministère de l'Économie créé en 2016. Il constate une croissance de plus de 150% en quatre ans du nombre d'alertes de sécurité économiques sur des entreprises françaises depuis 2020. La suite de notre série sur latribune.fr lundi prochain et pour les plus révolutionnaires d'entre vous, la suite de cet octobre morose dans La Tribune Dimanche, ce dimanche.

Et pour finir, un anniversaire, que l'on s'apprête à célébrer, celui de l'irruption de l'IA générative dans nos vies. Bientôt un an que ChatGPT est apparu, le 30 novembre 2022. En un an, 180 millions d'utilisateurs et 10 milliards de visites. Un bilan carbone sans aucun doute désastreux, une source nouvelle d'opportunités pour l'économie, mais aussi une remise en question pour le travail humain. Pour en savoir plus, lisez l'entretien accordé par Martin Pavanello, le patron de Mister IA, à Sylvain Rolland.

Et si vous êtes à Marseille le 24 novembre, nous vous invitons au Stade Vélodrome pour assister à l'AIM (Artificial Intelligence Marseille), un événement organisé par La Tribune et La Provence qui permettra de célébrer dignement cet anniversaire. Seront présents de nombreux acteurs de l'IA en France ainsi que le commissaire européen Thierry Breton pour parler des enjeux stratégiques et éthiques de cette révolution technologique. Les inscriptions sont à faire ici.

D'ici là, bonne lecture de votre nouveau quotidien papier, La Tribune Dimanche, dans vos kiosques ou en numérique, et très bon week-end !

Philippe Mabille, Directeur de la rédaction

@phmabille

Philippe Mabille

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Commentaires 4
à écrit le 22/10/2023 à 21:13
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Exile on main street, Sticky fingers sont avec Let il bleed (mon préféré de ces 3 albums. ) . Les chansons I can't get No et Sympathy for the devil l'essence des Stones. Une époque où ce n'était pas "mieux avant" sur toute la ligne...mais mieux av...

à écrit le 21/10/2023 à 8:07
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Un monde dans l'impasse financière d'abord et avant tout. Nos dirigeants sont nuls.

le 21/10/2023 à 10:43
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Nuls peut être mais qui les a élus ? Pour le reste ils sont les jouets de cette nébuleuse qu'est la finance internationale qui se situe hors du champs d'action des états et autres institutions internationales .Et cette nébuleuse n'est jamais à court...

le 21/10/2023 à 13:05
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"Nuls peut être mais qui les a élus ?" Les souris, parce qu'elles n'ont pas le choix, puisque jamais d'autres souris ne se présentent ce sont toujours des chats les candidats, donc les souris votent pour les chats.

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