Kyutai : Xavier Niel, Rodolphe Saadé et Eric Schmidt lancent un OpenAI à la française

Les hommes d'affaires Xavier Niel (Iliad), Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Eric Schmidt (ancien PDG de Google) ont lancé ce matin Kyutai, un laboratoire de recherche en intelligence artificielle en « open science » à but non lucratif. Basé à Paris et doté de près de 300 millions d'euros, il débute avec une équipe de six chercheurs de haute volée. Son objectif : proposer une offre attractive aux meilleurs talents français, tentés de partir à l'étranger.
François Manens
De gauche à droite : Eric Schmidt, Rodolphe Saadé, Xavier Niel.
De gauche à droite : Eric Schmidt, Rodolphe Saadé, Xavier Niel. (Crédits : AI-Pulse)

La France a enfin son OpenAI. Trois milliardaires - Xavier Niel, président d'Iliad, Rodolphe Saadé, président de CMA CGM [propriétaire de La Tribune, Ndlr] et Eric Schmidt, ancien PDG de Google - ont lancé ce vendredi un laboratoire de recherche de pointe en intelligence artificielle, à but non lucratif et entièrement financé par le secteur privé. Son nom ? Kyutai, pour « sphère » en japonais. Mais aussi, et difficile d'y voir un hasard, pour « cute AI » (« jolie IA », en anglais).

Présentée en grande pompe à Station F, le vaisseau amiral de la French Tech fondé par Xavier Niel en 2017, en présence des trois hommes d'affaires, la structure se lance avec près de 300 millions d'euros de dotation, dont 100 millions d'euros d'Iliad, 100 millions d'euros de CMA CGM, et près de 100 millions d'euros de la fondation d'Eric Schmidt avec d'autres investisseurs. De quoi alimenter son fonctionnement pendant « au moins quatre ans », dixit l'hôte des lieux. A l'instar d'OpenAI avant son changement de structure en 2019, Kyutai publiera tous ses travaux de recherche en « open science  », c'est-à-dire en accès libre et gratuit. Les fondateurs du laboratoire espèrent en faire une plaque-tournante de l'écosystème français, capable de garder ou faire revenir les meilleurs chercheurs tricolores, et pourquoi pas européens et mondiaux.

Lire aussi« La France à elle seule peut se hisser parmi les leaders mondiaux de l'intelligence artificielle » (Xavier Niel, Iliad)

Une équipe de recherche issue des Gafam

Les chercheurs de Kyutai se pencheront sur la création de très grands modèles multimodaux capables de générer du texte, du son et des images, ainsi que sur la création des algorithmes nécessaires à l'amélioration de la fiabilité et de l'efficacité des IA. Pour entraîner leurs intelligences artificielles, ils auront un accès privilégié au supercalculateur de Scaleway (filiale du groupe Iliad) -le plus gros de l'écosystème privé en Europe-, doté des processeurs derniers cris de Nvidia incontournables pour la recherche avancée.

Situé à Paris, le laboratoire se lance avec une équipe de six pointures françaises du secteur, composée de trois anciens de Fair Paris (le laboratoire de recherche en IA de Facebook) - Alexandre Défossez, Edouard Grave et Hervé Jégou -, de deux anciens de Google DeepMind - Laurent Mazaré et Neil Zeghidour -, et de Patrick Pérez, qui était précédemment directeur de l'IA chez Valeo. Ce dernier prend la casquette de directeur général de Kyutai, avec pour mission de recruter d'autres chercheurs expérimentés, et d'accueillir les étudiants des meilleures formations françaises et européennes pour leurs stages, doctorats et post-doctorats.

Pour accompagner cette équipe prestigieuse, Kyutai s'est dotée d'un conseil scientifique auquel siègeront trois figures mondiales de l'IA : la Sud-Coréenne Yejin Choi, directrice de recherche à l'Allen Institute for AI (AI2) ; l'Allemand Bernhard Schölkopf, directeur de recherche au Max Planck Institute ; et enfin le Français Yann Le Cun, directeur de l'IA du groupe Meta, reconnu comme un des pères de l'apprentissage profond.

Kyutai va révéler « la sauce secrète » de ses avancées scientifiques

Kyutai a de grandes ambitions scientifiques. L'équipe de chercheurs veut découvrir de nouveaux modèles et architectures, qui permettront d'améliorer les capacités de perception et l'intelligence des modèles fondamentaux. Chacune de ces avancées sera ensuite présentée sous toutes les coutures à la communauté grandissante de l'intelligence artificielle. « Le principe d'open science va encore plus loin que l'open source. Non seulement nous partagerons le code source de nos modèles mais nous partagerons aussi nos modes d'entraînement, c'est-à-dire comment nous sommes arrivés à nos résultats. En quelque sorte, nous expliquerons la sauce secrète de nos recettes, afin que d'autres puissent reproduire ce que nous faisons à l'identique », développe Hervé Jégou.

Parmi ses premiers projets, l'équipe de chercheurs a confirmé en conférence de presse qu'elle allait construire un LLM (un grand modèle de langage, qui sert de fondation à des outils comme ChatGPT) from scratch, c'est-à-dire de zéro. Mais ce n'est pas pour se lancer dans la bataille à la performance. « Pour atteindre nos objectifs de recherche fondamentale, nous devons pouvoir intervenir à n'importe quel niveau du modèle que nous manipulons. Donc nous devons maîtriser l'intégralité des détails techniques », explique Edouard Grave. Autrement dit, Kyutai va se doter d'un LLM qu'elle pourra démonter telle une sculpture en Lego, afin de pouvoir observer chaque pièce. Mais avec l'expérience des chercheurs du laboratoire dans le domaine, cette étape s'apparente à une formalité.

Interrogée sur la manière dont elle évaluera la réussite de sa recherche, l'équipe de chercheurs s'accorde déjà, par la voix de Laurent Mazaré : « Notre réussite se mesurera dans notre capacité à faire des outils qui seront pris en main par la communauté et qui alimenteront l'écosystème des startups ». Le laboratoire compte prendre le temps de poser des bases solides pour ses futurs travaux de recherche, ce qui ne l'empêche pas de projeter un premier succès « dès l'an prochain ».

Pas de virage commercial à l'horizon

Kyutai se veut non lucratif, exactement OpenAI et DeepMind à leurs débuts. Mais le premier a changé de structure en 2019, en même temps que le premier investissement de Microsoft. Le second a été racheté par Google en 2014 et est désormais fusionné avec le reste des équipes du groupe. Autrement dit, le modèle du laboratoire de recherche ouvert à but non lucratif a du plomb dans l'aile. Il faut dire qu'une telle structure coûte cher. Pour commencer, elle nécessite d'importantes capacités de calculs -qui consommeront l'écrasante majorité de la dotation du laboratoire, dixit David Pérez. Il faut aussi pouvoir recruter les meilleurs spécialistes, qui croulent sous les propositions d'emplois.

Mais Kyutai avance des solutions à ces deux enjeux. Pour ce qui est de l'infrastructure informatique, Scaleway facturera seulement le coût d'opération de son supercalculateur, qui certes ne suffira pas, mais donne première issue. Quant au recrutement des chercheurs, Xavier Niel précise à La Tribune que Kyutai pourra s'aligner sur les meilleurs standards du marché. Les milliardaires versent donc d'importantes sommes d'argent dans une initiative sans finalité commerciale. Une pure philanthropie ? Pas seulement.

« Kyutai s'inscrit dans le même cadre que Station F ou l'École 42. Il répond à une volonté collective d'aider à l'émergence d'un secteur entier en France. Car nous pensons que ce dernier va aider à créer de la valeur pour le pays », explique à La Tribune Xavier Niel.

Un point confirmé par Séverine Grégoire, directrice de la division IA du Groupe CMA CGM : « Nous allons bénéficier de leurs travaux de recherche au même titre que tout le monde grâce à l'approche en science ouverte, et nous serons les premiers pour appliquer les résultats de la recherche s'ils s'appliquent à nos cas d'usage. Mais nous savons aussi que le laboratoire va créer de l'émulation, et nous permettre de tisser des liens avec les chercheurs, qui pour certains créeront des startups ».

Au-delà des déclarations d'intentions, le statut juridique de Kyutai le protégera quoi qu'il arrive d'un virage commercial, puisque le changement de stratégie opéré par OpenAI est tout simplement impossible en France. Reste que pour garder ses ambitions au-delà des quatre années provisionnées par la dotation initiale, le laboratoire devra trouver des financements. Et d'après Xavier Niel, ce ne devrait pas être trop compliqué : de premières sociétés auraient déjà manifesté oralement leur intérêt pour la fondation. « Le projet va potentiellement attirer davantage d'investisseurs, et ils sont les bienvenus ! », invite d'ores et déjà Rodolphe Saadé.

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 18/11/2023 à 9:45
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"écosystème français" Je dirais "écosystème privé français" . Une nuance de poids, car il implique qu'il y a une volonté d'aboutir ce qui est positif. Il va faire concurence au méga projet très cher européen de Thierry Breton, avec 10 ans de retard...

à écrit le 17/11/2023 à 19:57
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Bof encore une idée fumeuse sans avenir. Dans un pays dont les habitants sont chaque jour plus réfractaires au progrès un esprit brillant sera beaucoup plus avisé de vendre ses talents aux USA. En outre les USA et d'autres pays ont pris une belle a...

à écrit le 17/11/2023 à 14:05
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Plutot une bonne nouvelle. Apres c est un peut surprenant de voir l ex PDG de google (americain) . mais bon si ca peut inciter des gens a rester en france ou lieu d aller aux USA (meme si franchement on est quand meme mal barré en france vu que la pr...

à écrit le 17/11/2023 à 12:44
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[Les hommes d'affaires Xavier Niel (Iliad), Rodolphe Saadé (CMA CGM) et Eric Schmidt (ancien PDG de Google) ont lancé ce matin Kyutai, un laboratoire de recherche en intelligence artificielle en « open science » à but non lucratif]🤔 Tiens donc, dans ...

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