« Développer la tech dans les territoires est primordial pour les emplois de demain » (Jean-Noël Barrot, ministre du Numérique)

ENTRETIEN EXCLUSIF. Le gouvernement dévoile ce jeudi 2 février les 16 Capitales et les 32 Communautés françaises labellisées pour la période 2023-2025 par la Mission French Tech. L'objectif : développer et faire rayonner la tech sur tous les territoires, y compris dans les Outre-Mer et à l'étranger. Le ministre délégué au Numérique et aux Télécommunications, Jean-Noël Barrot, et la directrice de la Mission French Tech, Clara Chappaz, expliquent dans une interview croisée la stratégie du gouvernement, le rôle et les missions des Capitales et Communautés French Tech, et la raison d'être de la French Tech pour les dix prochaines années.
Sylvain Rolland
Clara Chappaz, directrice de la Mission French Tech, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique et aux Télécommunications.
Clara Chappaz, directrice de la Mission French Tech, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique et aux Télécommunications. (Crédits : Minefi)

LA TRIBUNE - La Mission French Tech labellise 16 Capitales et 32 Communautés French Tech pour la période 2023-2025, ainsi que 67 Communautés à l'international. A quoi servent-elles ?

CLARA CHAPPAZ - Les Capitales et les Communautés sont des structures privées, majoritairement associatives, qui travaillent avec la Mission French Tech pour faire rayonner chaque écosystème d'innovation partout en France, y compris dans les régions et territoires d'Outre-Mer, et à l'international. A chaque endroit où il y a un écosystème tech, il peut y avoir une Capitale ou une Communauté. La labellisation permet de le mettre en valeur, de structurer le collectif et de l'amplifier en fédérant les énergies. C'est le but de la Mission French Tech depuis sa création il y a dix ans : développer les écosystèmes d'innovation en partant du principe que les meilleurs alliés des entrepreneurs, ce sont les autres entrepreneurs, avec l'Etat en soutien pour leur donner les outils dont ils ont besoin pour briller.

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Quelle est la différence entre les Capitales et les Communautés ?

CLARA CHAPPAZ - Les Capitales sont au nombre de 16 -13 depuis 2019 et 3 nouvelles- et sont les relais de la Mission French Tech sur le territoire national. Elles disposent de deux salariés à temps plein pour gérer la structure et mener leurs projets. Leur but est de contribuer à faire émerger des startups de rang mondial en déployant les différents programmes nationaux comme le French Tech Central [le « guichet unique » des startups pour faciliter leurs relations avec l'administration, Ndlr], le French Tech Tremplin [programme d'inclusion dédié notamment aux entrepreneurs étudiants boursier ou issus des Quartiers prioritaires de la ville (QPV), Ndlr] et le French Tech Rise [programme d'aide au financement pour les startups en régions, Ndlr]. Leur conseil d'administration doit être composé de 70% d'entrepreneurs au minimum pour s'assurer que le pilotage reste aux mains des entrepreneurs et ne puisse pas servir d'autres intérêts.

JEAN-NOËL BARROT - Les Capitales doivent aussi mener des actions sur leur territoire, essentiellement des événements, qui doivent s'inscrire dans les trois grandes priorités stratégiques de la Mission French Tech. Nous partons du principe que la tech doit servir l'intérêt général, et que le rôle de l'Etat est d'aider l'écosystème à développer en France des innovations qui vont apporter des solutions aux grands défis de la décennie : celui de la transition écologique, celui de la souveraineté numérique -grâce aux deeptech et aux startups industrielles notamment- et celui de l'inclusion, en faisant en sorte qu'il y ait davantage de femmes, de personnes issues des quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou de territoires ruraux qui innovent. Les Capitales sont aussi associées aux réflexions stratégiques de la Mission French Tech sur les actions à mettre en place pour répondre à ces trois grands défis.

CLARA CHAPPAZ - De leur côté, les Communautés sont au nombre de 32 en France, dont deux nouvelles par rapport à la période 2019-2022, et 67 à l'international -neuf nouvelles- dans 52 pays. Contrairement aux Capitales, les Communautés reposent sur des bénévoles. Elles ont aussi vocation à animer la communauté entrepreneuriale locale, à la faire rayonner, et à intensifier les collaborations entre les startups et avec les autres acteurs du territoire, autant publics que privés. Mais elles n'ont pas de salariés.

La nouveauté 2023 pour les Communautés est que chacune est désormais rattachée à une Capitale French Tech. L'idée est de mieux les inscrire dans le collectif, de partager les bonnes pratiques et de leur faire bénéficier de l'expérience des Capitales. A l'inverse, certaines initiatives des Communautés ont vocation à se généraliser. Par exemple, la Communauté d'Angers a organisé en novembre un événement intitulé Connected Women, pour mettre en relation des collégiennes et des lycéennes avec l'écosystème tech local. C'était un grand succès et il n'y a aucune raison que ce ne soit pas repris ailleurs.

Média implanté dans tous les territoires, La Tribune a mobilisé ses rédactions à l'occasion de la labellisation des Capitales et Communautés French Tech. En plus de cette interview exclusive, retrouvez nos articles et reportages partout en France. Partez en Bourgogne-Franche-Comté à la rencontre d'un écosystème en pleine expansion nouvellement labellisé ; à Paris-Saclay dans l'antre des deeptech françaises ; à La Réunion, première Capitale d'Outre-Mer qui souhaite devenir le porte-voix des innovations ultramarines ; à Toulouse, Capitale renouvelée au fort dynamisme ; ou encore aux pieds du Mont Blanc où une nouvelle Communauté s'efforce de rassembler un écosystème naissant.

Quels sont vos objectifs pour la nouvelle période de labellisation 2023-2025 ?

JEAN-NOËL BARROT - Notre volonté est d'amplifier l'excellent travail accompli depuis 2019. D'abord, en étendant le réseau avec trois nouvelles Capitales et onze nouvelles Communautés au total, et aussi en renforçant la structuration de l'écosystème, avec des équipes dédiées au sein de la Mission French Tech pour accompagner le déploiement des programmes. Notre but est aussi de renforcer les interactions et la collaboration entre les Capitales, qui doivent davantage travailler entre elles.

Comment le dispositif est-il financé ?

CLARA CHAPPAZ - La Mission French Tech dispose d'un budget dédié aux Capitales de 2,6 millions d'euros cette année. Cette somme finance les deux employés de chaque structure et des actions que les Capitales doivent mener pour déployer nos programmes, ainsi qu'un événement annuel. La French Tech Alpes par exemple, a choisi d'organiser un sommet inter-Capitales autour de notre programme Green20, pour échanger sur les bonnes pratiques dans l'accompagnement des startups de la transition écologique.

Il y a un deuxième outil de financement qui est le French Tech Community Fund. C'est un appel à projets qui vise à soutenir des initiatives portées par l'écosystème. 3,6 million d'euros ont été déployés pour 2022-2023. Enfin, chaque Capitale et Communauté compose son propre budget en fonction aussi des financements locaux qu'elle obtient. Des Régions, des CCI, des acteurs privés peuvent être partenaires et cofinancer la structure.

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Les trois nouvelles Capitales sont Bourgogne-Franche-Comté, Paris-Saclay et La Réunion. Pourquoi les avez-vous choisies ?

CLARA CHAPPAZ - Je précise que tout est organique. Autant pour les Capitales que pour les Communautés, nous recevons des candidatures d'acteurs qui ont la volonté et la capacité de se structurer. Pour obtenir notre labellisation, il faut respecter certains critères comme avoir un conseil d'administration composé à 70% d'entrepreneurs avec un tiers de femmes, et présenter une feuille de route. Des jurys sont montés pour examiner la solidité du dossier et accorder ou pas la labellisation. Bourgogne-Franche-Comté était une Communauté qui s'est illustrée par sa capacité à prendre de l'ampleur, il était naturel qu'elle devienne une Capitale, d'autant plus que la région n'en comptait aucune. Paris-Saclay s'est illustré grâce aux nombreuses deeptech qui naissent sur son territoire, ce qui résonne avec nos axes stratégiques. Enfin, La Réunion avait un projet très fort et c'est la première fois qu'on a une Capitale en Outre-Mer.

Le développement de la tech dans les territoires semble être une priorité politique pour le gouvernement. Mais l'Ile-de-France concentre toujours 50% des startups et 75% des fonds levés, et ces chiffres restent stables depuis des années...

JEAN-NOËL BARROT - Il est primordial de continuer à développer la tech dans les territoires. D'abord car une partie des emplois de demain en dépendent, et aussi parce que c'est par l'innovation qu'on répondra collectivement aux grands défis de la décennie comme la souveraineté nationale, la transition écologique, l'inclusion et la réindustrialisation.

Le plus important pour nous, c'est l'empreinte que les startups laissent sur leur territoire. OVHCloud dans le Nord, c'était une petite startup qui est devenue une licorne, puis une entreprise cotée qui est entrée dans le SBF120. Depuis vingt ans, OVHCloud a créé des milliers d'emplois et a engendré un véritable écosystème d'entreprises et d'innovations dans toute sa région. C'est le genre de succès que nous voulons répliquer partout, car les startups ont la capacité de revitaliser les territoires, notamment les plus abîmés par le déclin industriel de la fin du XXè siècle. C'est pourquoi nous sommes très fiers que la moitié des startups françaises se déploient dans tous les territoires. L'activisme de la Mission French Tech depuis 10 ans est l'une des raisons de ce dynamisme, qu'on ne retrouve pas dans d'autres pays et notamment au Royaume-Uni, où Londres concentre l'essentiel des startups.

De manière générale, je pense que les Capitales et les Communautés French Tech sont l'arc-de-voûte du succès de la French Tech. Depuis 2017, il y a une forte montée en puissance des écosystèmes d'innovation, et une nette accélération depuis trois ans. La France compte le premier écosystème greentech et le premier écosystème fintech de l'Union européenne [depuis la sortie du Royaume-Uni, Ndlr]. En 2022 les levées de fonds des startups ont progressé de 16% en France, à 13,5 milliards d'euros, alors qu'elles ont régressé en Allemagne et au Royaume-Uni. Nos programmes ont permis d'accompagner 1.000 entrepreneurs et aspirants entrepreneurs avec Tremplin. Le Next40 et le French Tech 120 rayonnent en France et à l'international. Ces programmes n'auraient pas pu connaître le succès sans l'appui et l'énergie des Capitales et Communautés, qui sont un réseau de solidarité qui fédère 6.000 startups et 1.400 bénévoles.

Les startups en région ont toujours du mal à trouver des financements, en partie car l'écosystème d'investisseurs est concentré sur l'Ile-de-France. Comment mieux flécher les fonds dans les régions ?

JEAN-NOËL BARROT - Le programme French Tech Rise permet à des startups sélectionnées dans tous les territoires de pitcher devant les investisseurs les plus renommés de la place. 20 startups viennent d'en bénéficier avec la deuxième promotion. Mais je suis conscient qu'il faut aller plus loin. Le gouvernement vient de créer le French Tech Finance Partners, qui rassemble 16 des leaders de l'investissement français. Nous lui avons confié la mission de formuler des propositions avant le début du printemps, pour développer à la fois le financement des deeptech et le financement des innovations dans tous les territoires, deux sujets intimement liés par ailleurs puisque la recherche française est très décentralisée.

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La Mission French Tech a été créée il y a dix ans avec l'objectif de faire émerger des écosystèmes de startups partout en France. C'est désormais le cas. Quelle est la nouvelle raison d'être de la French Tech pour les dix ans à venir ?

JEAN-NOËL BARROT - A l'origine, la Mission French Tech voulait engendrer une petite révolution culturelle en fédérant les énergies et les innovations pour changer la culture de l'entrepreneuriat en France. La mission est réussie et on l'a encore vu cette année au CES de Las Vegas, où la France a présenté début janvier la plus grande délégation de startups et obtenu les prix d'innovation les plus prestigieux.

Désormais, il faut se projeter sur les dix ans qui viennent avec un certain nombre de priorités. La première est d'aider les startups et les licornes -nous sommes passés de 3 licornes en 2017 à 29 aujourd'hui-, à poursuivre leur croissance et à financer leur développement. Le plan Tibi et l'initiative Scale-Up Europe débloquent des fonds en ce sens et contribuent à faciliter les introductions en Bourse. Nous avons sur la table une série de chantiers pour lever ces derniers freins, y compris un chantier réglementaire. La Mission French Tech doit aussi poursuivre le travail d'implantation de la tech dans tous les territoires, pour que la diversité de la France soit représentée dans l'écosystème. L'égalité femmes/hommes doit être davantage marquée. Il faut aussi dans les dix années à venir prendre le virage de la souveraineté numérique et de la deeptech, notamment en accélérant les créations d'entreprises issues des laboratoires de recherche. La labellisation de Paris-Saclay en tant que Capitale French Tech est à ce titre un signal fort.

CLARA CHAPPAZ - Les Capitales et les Communautés s'inscrivent dans cette continuité stratégique. Elles ont aussi un vrai rôle à jouer pour accompagner les entrepreneurs à bénéficier du plan France 2030. Des masterclass sont organisées partout pour comprendre comment postuler et s'inscrire dans les dispositifs France 2030. Même si les startups ont bien grandi par rapport à 2013 et que les levées de fonds ont battu un record en 2022, il reste encore un énorme potentiel en France et à l'international pour les startups. Nous avons fait du chemin, mais l'écosystème peut et doit encore grandir et se renforcer.

Le secteur de la tech vit en ce moment sa première crise sérieuse depuis celle du début des années 2000, avec un effondrement des valorisations et une chute des levées de fonds depuis le deuxième semestre 2022. Comment gérer cette nouvelle donne ?

JEAN-NOËL BARROT - Les cycles ont toujours existé et existeront toujours. La différence avec la crise des années 2000, c'est que grâce au coup d'accélérateur impulsé depuis dix ans par la Mission French Tech, l'écosystème est suffisamment mature et robuste pour résister à cette période d'incertitude. Certains acteurs seront bousculés, c'est sûr, mais l'écosystème dans son ensemble est solide et fort sur ses bases.

CLARA CHAPPAZ - La dynamique collective construite depuis dix ans fait la force de la French Tech et agit comme un amortisseur de crise. Les entrepreneurs sont très au courant du changement de paradigme et de l'importance nouvelle du critère de rentabilité pour lever des fonds. La différence est qu'ils ont cet écosystème sur lequel s'appuyer. Et c'est quand la crise est là que cette notion d'écosystème, qui est au cœur de la raison d'être de la French Tech, prend tout son sens.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

Sylvain Rolland

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Commentaires 5
à écrit le 03/02/2023 à 12:19
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Le seul territoire que je connaisse, c'est la France !

le 03/02/2023 à 13:17
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C'est-à-dire le tiers-monde 2.0

à écrit le 03/02/2023 à 8:40
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Un économiste cursus Sciences PoPo, fils De qui s'interresse à la Tech lire le numérique pas étonnat que ce truc déborde, Encore un effort et il finira à l'institut du monde Arabe

à écrit le 02/02/2023 à 13:59
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Ce qui est primordial ce serait surtout d'assurer notre autonomie alimentaire. Or aujourd'hui, nous sommes trop dépendants des énergies fossiles et des machines. Les gadgets, le luxe et la surveillance de masse sont loin d'être prioritaires

à écrit le 02/02/2023 à 11:22
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Commencez déjà par solutionner la protection des données numériques. Une catastrophe dans ce pays.

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