Le déploiement de la fibre en France est jusqu'à présent présenté comme un succès. Il faut dire que dix ans après le début de ce chantier, le plus important dans l'Hexagone, plus de huit Français sur dix ont accès à cette technologie, qui permet de bénéficier d'un Internet à très haut débit. Mais depuis deux ans, les Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free lèvent le pied sur leurs déploiements, quand ils n'ont pas, à certains endroits, levé le camp. Cela inquiète le gouvernement, l'Arcep, le régulateur des télécoms, comme les collectivités. Beaucoup se demandent, désormais, si la promesse d'Emmanuel Macron d'apporter la fibre à tous les Français d'ici 2025 sera tenue. C'est précisément pour éviter un échec et relancer le déploiement de cette technologie que le gouvernement vient de conclure un deal avec Orange.
Christel Heydemann, la patronne de l'opérateur historique, et Marina Ferrari, la nouvelle secrétaire d'Etat en charge du Numérique et des Télécoms, ont officiellement signé ce nouvel accord ce mardi matin à Dunkerque. Que contient-il ? En premier lieu, Orange s'est engagé, dans les villes moyennes et périphéries des grandes agglomérations, à rendre raccordables à la fibre 1,12 million de locaux supplémentaires d'ici la fin 2025.
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L'opérateur était, jusqu'à présent, jugé très en retard dans ces territoires. Orange s'était, il y a plusieurs années, engagé à couvrir environ 13 millions de locaux d'ici à la fin 2022. Mais il n'a pas respecté le calendrier. L'opérateur a récemment été sanctionné à ce sujet par l'Arcep, via une amende de 26 millions d'euros. Ses nouveaux engagements doivent permettre, selon le gouvernement, d'atteindre un niveau de couverture de 98,5% dans les villes moyennes d'ici la fin 2025.
Orange devra, en outre, mettre les bouchées doubles pour déployer la fibre dans 55 intercommunalités où il est particulièrement en retard dans le déploiement de la fibre. Parmi elles, on trouve notamment la Communauté urbaine de Dunkerque, où s'est déroulée la signature du deal avec l'Etat. Dans le cadre de ses déploiements, Orange va, chose nouvelle, mettre en place un système de raccordement sur demande (RAD). Ce dispositif permet à chaque Français qui en fait la demande d'être raccordé à la fibre dans les six mois.
« Privilégier l'intérêt général »
Mais ce n'est pas tout. Orange a aussi pris l'engagement d'accélérer le déploiement de la fibre dans les zones dites « très denses » - c'est-à-dire les grands centres urbains. Ici, l'objectif, pour l'opérateur, est d'atteindre un niveau de couverture de 96%, contre 92% aujourd'hui.
A Dunkerque, Marina Ferrari s'est félicitée de cet accord. Si l'Etat a choisi la voie d'un deal plutôt que celle d'une nouvelle sanction contre Orange pour ne pas avoir tenu ses précédents engagements, c'est, a affirmé la ministre, pour « privilégier l'intérêt général ». Le gouvernement redoutait qu'Orange conteste une nouvelle sanction, synonyme de « délais de procédure très longs », lesquels auraient mis à mal l'objectif d'une généralisation de la fibre en 2025. De son côté, Christel Heydemann a jugé que l'opérateur historique démontrait, avec cet accord, sa détermination à renforcer « son effort de guerre » pour déployer la fibre. En cas de manquement, « nous acceptons d'être sanctionné », a-t-elle même lancé en gage de bonne foi.
La grosse colère des SFR, Bouygues Telecom et Free
Cet accord fait toutefois déjà l'objet de critiques. Dans un avis publié ce mardi, l'Arcep « regrette » notamment que les nouveaux engagements d'Orange soient désormais « limités dans le temps ». L'autorité déplore aussi un objectif de couverture en fibre des villes moyennes moins ambitieux, puisqu'il s'élève à 97%, contre 100% auparavant. « En d'autres termes, 3% des locaux des zones concernées pourraient ne pas être raccordables à fin 2025 », insiste le régulateur. Interrogé par La Tribune, l'Arcep affirme que « malgré certaines réserves, cet accord, s'il est correctement mis en œuvre, est en mesure de faire progresser de façon sensible la couverture de la France en fibre optique ».
Et qu'en pensent les opérateurs alternatifs ? SFR, Bouygues Telecom et Free ne cachent pas, pour leur part, leur colère. Ils fustigent aussi, nous dit l'un d'entre eux « l'abandon » de l'objectif de « complétude » des déploiements, ou encore le fait que certains engagements d'Orange, dans les grandes villes notamment, ne sont pas juridiquement contraignants.
« Nous l'avons en travers de la gorge »
« Les engagements sont moins bons que les précédents à maints égards, fulmine un dirigeant d'un opérateur concurrent. Orange va en plus bénéficier d'une clause particulièrement large pour se désengager. » En résumé, « Orange a enfreint le code de la route, et pouf, il change le code de la route !, s'étrangle-t-il. C'est un truc de fou ! » Des propos auxquels souscrit un patron d'un groupe rival : « Dur de dire autre chose », s'agace-t-il. « Ca nous rend malade, tempête un haut cadre d'un opérateur concurrent. Orange a gagné trois ans pour des engagements revus à la baisse. Nous l'avons en travers de la gorge. »
Les collectivités, elles, veulent croire que cet accord va améliorer les choses. « Je demande à voir, nous indique Patrick Chaize, le président de l'Avicca et sénateur (LR) de l'Ain, une influente association représentant les collectivités investies dans le numérique. Je suis à la fois confiant tant je pense que c'est une dernière chance pour Orange, mais aussi vigilant pour suivre avec attention ce qu'il va se passer. » L'opérateur historique est, en clair, attendu au tournant.
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