Prix du lait : pourquoi la décision du groupe Even de mieux rémunérer ses producteurs fait grincer des dents

Depuis début février, le groupe coopératif Even, leader de la production de lait en Bretagne, est assigné au tribunal par la coopérative Eureden, actionnaire minoritaire de sa filiale Laïta (Paysan Breton, Madame Loïk), pour iniquité de rémunération entre les producteurs de lait. Ceux d'Even bénéficieront, en effet, au titre de 2023 d’un tarif supérieur à celui des autres entreprises laitières. Le groupe justifie ce modèle comme un moyen de fidéliser ses coopérateurs pour répondre aux défis de la filière du lait.
Les bons résultats de la coopérative Even en 2023 vont être redistribués aux éleveurs sous la forme d'un prix du lait plus rémunérateur. La filiale Laïta, connue pour ses marques Paysan Breton et Madame Loïk, représente 64% des revenus du groupe.
Les bons résultats de la coopérative Even en 2023 vont être redistribués aux éleveurs sous la forme d'un prix du lait plus rémunérateur. La filiale Laïta, connue pour ses marques Paysan Breton et Madame Loïk, représente 64% des revenus du groupe. (Crédits : Groupe Even)

La bonne rémunération des producteurs de lait de Laïta, dont le Groupe Even (Paysan Breton, Madame Loïk, fromages à pâtes molles...) détient 51%, agite les exploitants. Basée à Ploudaniel, la coopérative, qui tire de la filière lait et de cette filiale 64 % de ses recettes, a dégagé en 2023 un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros, en hausse de 6,7% sur un an pour 16,2 millions d'euros de bénéfices, selon les résultats publiés le 5 avril.

Leader du lait en Bretagne et quatrième transformateur laitier en France avec 408 millions de litres de lait collectés en 2023, dont 15 millions en bio, elle a donc décidé de fidéliser son millier de producteurs adhérents (575 exploitations dans le Finistère et les Côtes d'Armor) en leur redistribuant 10,2 millions d'euros (25 euros pour 1.000 litres). Ce retour de résultat sera soumis à l'approbation de l'assemblée générale du 28 juin prochain et porte le prix du lait à 488,70 euros pour 1.000 litres en 2023 (contre environ 460 euros pour le prix de base). Soit une hausse de 5,2% par rapport à 2022.

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Les coopérateurs d'Eureden pénalisés ?

« Cette année, le prix du lait est le plus élevé de tous les temps. La conjoncture laitière s'est révélée satisfaisante pour les producteurs coopérateurs et pour Laïta en 2023, comme en 2022 » juge Christian Griner, directeur général d'Even, rappelant que la Bretagne est moins soumise à la sécheresse et aux pénuries de fourrage. « L'évolution du prix de base tient aussi compte de la conjoncture inflationniste qui augmente de nombreuses charges, répercutées sur les prix. Sur le marché européen et mondial, la différence entre l'offre et la demande se réduit, au bénéfice d'un meilleur équilibre » détaille-t-il.

En affichant un prix du lait payé plus attractif que celui des autres entreprises laitières généralistes françaises, le groupe aux 6.000 collaborateurs, récompense certes son « cheptel » de producteurs, mais il s'est aussi attiré les foudres de l'organisation des producteurs (OP) de lait de la coopérative Eureden. Également actionnaire à 18% de Laïta, elle fournit 30% des volumes qui sont ensuite transformés en beurre, en poudre de lait ou en fromage.

Accusant le Groupe Even « d'iniquité de traitement envers ses fournisseurs », Eureden l'a assigné début février en justice pour « non-respect du droit à ristourne prévu dans le droit coopératif pour tout associé coopérateur ». Le manque à gagner s'établirait à deux millions d'euros sur les cinq dernières années.

Renforcer le sentiment d'appartenance au groupe

Tandis que la FDSEA (branche départementale de la FNSEA, principal syndicat agricole) et les Jeunes Agriculteurs estiment que, dans un contexte de baisse de la production laitière, « le pouvoir devrait être dans les mains des producteurs », rapportait Le Télégramme mardi 16 avril, Christian Griner, interrogé sur ce point, ne souhaite pas s'exprimer sur une procédure en cours.

Le directeur général préfère mettre l'accent sur « la résilience du modèle coopératif d'Even et la pertinence de sa stratégie » qui permettent à ses éleveurs de bénéficier d'un prix du lait plus rémunérateur.

Quatrième transformateur laitier en France, Even se classe parmi les dix premières coopératives en Europe et réalise 40% de son chiffre d'affaires à l'export. Constituée en quatre pôles (Even Amont, Laïta, Even Distribution, Even Développement), son activité centrée sur la valorisation du lait et du lactoserum est diversifiée y compris sous marque distributeur et dans la distribution commerciale de produits alimentaires (restauration rapide, surgelés Argel).

Face aux défis auxquels la filière lait est confrontée, et particulièrement au déclin de la démographie agricole (un exploitant sur deux en retraite sous dix ans), la coopérative avoue tendre au renforcement du « sentiment d'appartenance au groupe » et de l'attractivité des métiers.

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Empreinte carbone réduite de 30% en 2030

En 2023, Even a, d'ailleurs, accueilli quinze jeunes coopérateurs durant la dernière campagne laitière et, au-delà des prix du lait, a facilité leur intégration par le programme « Bien dans ma coop » (conseils sur les achats d'aliments et les approvisionnements) et par une dotation Jeune Coopérateur de 12.000 euros sur cinq ans.

« Les exploitations (100 hectares environ) ont tendance à se regrouper autour de plusieurs associés agriculteurs et d'un salarié pour un cheptel moyen de 80 vaches » précise Christian Griner.

« Nous encourageons aussi depuis 2020 via le fonds RSE-Amont les pratiques durables de nos coopérateurs à l'aide d'une dotation de 4 €/1000 litres de lait. 90% des adhérents en ont bénéficié l'an dernier pour mettre en place des actions améliorant l'empreinte environnementale de leur exploitation, la qualité de l'eau, la biodiversité, mais aussi les conditions de travail et le bien-être animal » ajoute le directeur général.

Depuis la crise de la Covid-19, le contexte géopolitique et économique incertain ainsi que la hausse des prix de l'énergie poussent Even à transformer son modèle, sur le plan de la production comme des ressources humaines. La coopérative s'est fixée l'objectif de réduire de 30% son empreinte carbone en 2030 et, l'an passé, elle a injecté 68 millions d'euros pour renforcer sa performance industrielle et logistique, améliorer les conditions de travail et accompagner sa transition écologique.

Outre des réflexions sur la réutilisation des eaux industrielles et la méthanisation des déchets agricoles, son prochain chantier phare sera l'entrée en service en 2025 sur le site de Laïta à Créhen d'une chaudière biomasse d'une capacité de 9 mégawatts. Elle couvrira 70% des besoins en vapeur de l'usine en substitution du gaz naturel.

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Commentaires 2
à écrit le 19/04/2024 à 8:51
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Qu'un modèle agro-industriel évolue rien qu'un peu est déjà une révolution du secteur en soi. On part de loin là, très loin et encore c'est pas sûr que nous en partions. Si les gars ne sont pas surveillés chaque seconde machinalement ils reprendront ...

le 19/04/2024 à 11:51
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Réflexion philosophique hors sujet , ici il est question de juste rémunération des producteurs face à l'agro-industrie.

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